Textes des autrices et auteurs du cercle d’écriture longue

        Librement inspiré d’après un fait divers tragique paru dans le Figaro du 03/04/202

TRAESIE

L’EAU

Ils m’ont appelé « La Luche ».

Accent paysan frontalier,

Lumière Ibère francisée.

De petits lacs en cascades je trébuche.

Mes abords déboisés,

Confèrent à mon cours

Un rayonnement vif et irisé,

Tout au long de mon parcours.

Sur mes sentes voisines

 De leurs amours, leurs chagrins, leur quotidien

En cheminant ils me bassinent.

De ma chienne, je leur réserve un chien.

Trop de niaiserie et je fulmine.

D’eau céleste je me gonfle,

Mon humeur devient assassine

Et mon doux chuintement soudain ronfle.

Justement, ces deux-là, je les connais.

Accompagnés de leur infâme quadrupède,

Chuchotant ils ourdissent les méfaits.

De leur industrie cachée dans la pinède,

Dans mon onde ils versent en secret

Un abominable poison.

De l’œuvre de Dieu ils n’ont aucun respect,

Saccagent mes algues et tuent mes jolis poissons

LE CORBEAU

 Je les vois arriver de loin. C’est un des aspects pratiques de mon existence, être en hauteur, au-dessus du lot, doté qui plus est par Dame Nature d’une vue perçante. C’est un jour de début novembre comme les autres. Une fine brume monte de la terre encore chaude de ces jours d’été pas si lointains. Le soleil tente une timide percée, donne au paysage un air fantomatique. Mes congénères se moquent de moi lorsque j’essaie de les sensibiliser à la beauté qui nous entoure, croa, croa, croa, bande d’imbéciles ignorants.

   Ils sont deux, des humains, un homme et une femme. Un chien jaune court devant eux, la truffe en alerte. Instinctivement je me méfie des chiens, ils essaient de débusquer les dernières noix de la saison sous les tapis de feuilles, les fendent en deux grâce à leurs dents longues et pointues, les croquent bruyamment sans les savourer. Lorsque je n’étais encore qu’un frêle oisillon ma mère me mettait en garde, tout sauf les chiens me disait-elle. Celui-là n’a pas l’air d’échapper à la règle. Je darde sur lui un regard sombre, le regard de celui qui tient à préserver ses gourmandises automnales.

                  CHARLES                                                                                                         AGATHE

Bedonnant, endimanché, Charles Pérouse                                              Le repas n’a pas duré,

Tout à ses pensées, sur le lé nord de la rivière                                        En même pas 5 min

Se traînait au bras de sa jacassante épouse.                                            Il a tout avalé.

Agathe Montalembert, héritière de la soufrière.                                   Du calme, pas de dispute,

La tripaille révoltée du régime imposé,                                                    C’était bien la peine

Par ce nabot médical jaloux de sa circonférence                                   De s’en donner,

Sous prétexte de cholestérol, ses assiettes dorénavant dosées,          Pour la cuisine saine,

Par sa moitié intransigeante, appliquant la sentence.                Le merci, elle pouvait toujours l’espérer.

Les patati et patata dans l’atmosphère se dissolvaient                          Agathe ressaisis toi !

L’incontinence verbale de sa bourgeoise                                                  Un petit tour te calmera,

N’exigeant pas de réponse, il attendait                                                     On passera par le bois,

Patient, absent, sans chercher de noise                                                    Et la belle eau on longera.

Dans une heure au plus tard

Il dévorerait avec délice

À la table et au plumard                                                                              Avec un peu de chance

Les mets interdits de la délicieuse Alice                                                   Je rencontrerai Marie-Laurence.

Shootant par inadvertance                                                                         Ce mufle balourd

Dans une pomme de pin,                                                                            Que je traîne depuis trente ans

Geste apparemment sans importance,                                                     Il n’y a pas pire sourd !

Qui allait hâter sa fin                                                                                    Je parle dans le vent.

                                                                                                     Santé, argent, vacances,

                                                                                                     On dirait que pour lui rien n’a d’importance.

                                                                                                     Mais bon Dieu ! Cet homme A quoi il pense ?

                                                                                                      Juste à remplir sa panse ?

                                                                                                      Heureusement qu’il y a youki

                                                                  Le youki à sa maman, surexcité,

                                                                  Voyant le cône sautiller,

                                                                  Ventre à terre partit en trombe,

                                                                  Se fantasmant happeur de palombes.

                                                                                                      Mon saucisson sur pattes chéri

                                                                                                      Soleil de ma vie stérile

                                                                                                      Tu vaux bien mieux que ce gros débile

,                                                                                                    

Ce qui devait, arriva.                                                                Qu’est-ce qui te prend mon avorton ?

La berge il rata,                                                                         Tu ne sais pas nager

Roule, boule, patatras

Et dans la Luche ploufa !

                                                       YOUKI

Ha,ha,ha,ah,ah,ah,ah putain j’ai soif !

Tous les dimanches c’est pareil,

Dix bornes sous le soleil,

Et en plus il faut que j’aie l’air jouasse !

Ils ne se rendent pas compte,

Ces deux mastodontes,

D’ici au pont,

Pour moi c’est un marathon

Ta baballe improvisée,

Tu voudrais que je te la ramène ? et content ?

Tu peux toujours te brosser,

 J’irai au gué en flottant doucement.

Le canal longe le sentier. Je n’y vais jamais, ni pour boire, ni pour rafraichir mon plumage. Ces berges sont trop abruptes et je suis un piètre nageur. Le chien ne lève pas le nez du sol, s’élance en trottinant, accélère, dévie soudain de sa trajectoire, se rapproche dangereusement de l’eau. Croa, croa, il est fou ! je ne m’empêcher de tenter de l’avertir.

Allez j’y vais !

 Je fais semblant de tomber.

 Une de ses pattes franchit la berge, se retrouve en suspension au-dessus de l’eau. L’inévitable ne manque pas de se produire ainsi que je l’avais pressenti, dans la précipitation son corps tout entier bascule dans le canal. Le bruit de sa chute résonne dans l’air clair. Une gerbe d’éclaboussures déchire la surface comme un gros champignon, retombe en des milliers de gouttelettes. C’est beau ce scintillement, je crois que je suis, malgré tout, admiratif.

   Le chien frappe violemment l’eau avec ses pattes, secoue les oreilles, tente de se rapprocher de la berge. La femme pousse un cri d’horreur, se met à courir suivie par l’homme. Leur course saccadée fait trembler le sol, un grondement résonne, monte jusqu’à la branche sur laquelle je me tiens, mon équilibre soudain précaire, mon corps tendu. Je bande mes muscles, prêt à m’envoler si mon instinct me souffle que le danger est imminent,

                                                    LES PEROUSE

A : -Mon Dieu le courant est fort ! il va se noyer !

      Vite Charles, va le chercher !

C : – Ça ne va pas non, avec mon costard à trois mille balles !

       Et mes pompes sur mesure, il faudrait que je me mette à la baille ?

A : – Dépêche-toi abruti !

Je m’en fiche de tes habits

De toute façon,

C’est moi qui ramène les ronds

C : -Si tu y tiens tant à ton clébard

      Cherches le toi-même, ce salopard !

Vers les flots, il la pousse violemment

A sa manche elle se retient in extremis et tous deux tombent dans le torrent !

Les deux humains sautent dans l’eau. La gerbe d’écume qu’ils soulèvent fait disparaitre le chien en quelques secondes. J’esquisse un mouvement de recul, mes ailes sur le point de se déployer. Ils refont surface, la femme hurle, ses gestes sont maladroits, saccadés, désordonnés. Engoncée dans son manteau, elle peine à maintenir sa tête hors de l’eau. Elle boit la tasse, sa bouche grande ouverte tente d’aspirer goulument l’air, des gargouillis montent du fond de sa gorge. Elle coule à pique sans crier gare comme entrainée par quelques mystérieuses créatures venues des profondeurs. L’homme crie un nom que je ne comprends pas. Il plonge. Le canal se referme sur lui, les flots ne se rouvriront pas !

Mon heure est enfin venue !

Dans la nuit un violent orage

A gonflé mon flux.

Avec délice et plein de rage

Je happe le crétin canin,

Il se débat, s’affole et aboie

Tout à leur désarroi je scelle leur destin.

Ils sautent en moi et je les noie !

Du chienchien je n’ai que faire,

Alors magnanime,

Je le laisse s’extraire

Les autres, ordures pusillanimes,

Je les tourbillonne,

De leurs toxines je les gave,

À jamais je les bâillonne,

Et plus tard, vomis leurs mortes épaves.

C’est moi le poisson rouge, survivant d’un bocal jeté à la Luche comme un vieux papier, dans cette eau qui sent le bouge. Ça pue vraiment la vase et ce jus triste m’a grisé la peau. « Pas de problème » m’a dit Dany un compère de bocal qui maraude entre les algues et les vieilles carcasses. « Ce qu’il te faut c’est une bonne lampée de bourgeois quand l’occasion se présente. Une petite entaille dans le cou, tu aspires c’est chaud et vite fait » J’ai la bouche un peu entamée ces temps-ci parce qu’un pêcheur a voulu faire le malin. Mais ça ira

Aujourd’hui ils étaient deux. J’ai pris l’homme, Dany le rouge préfère les femmes. Incision, aspiration, coloration. Du beau rouge. On a laissé le chien tranquille, on n’est pas des brutes nous !

Le chien s’éloigne paisiblement, ses pattes ont trouvé un rythme régulier, ses longs poils dorés flottent autour de lui comme les volants sur la robe d’une danseuse de flamenco. Je le trouve élégant, gracieux, lui envie son aisance. Un couple de canards le regarde passer, à peine étonné de sa présence. Quoi de plus normal qu’un chien qui barbote dans le canal après tout. Je me dis que le monde est en train de devenir fou.

   Il s’approche de la berge, y pose ses deux pattes avant, hisse son postérieur, s’ébroue vigoureusement. Des gouttes d’eau montent jusqu’à moi, glissent sur mon plumage. Je secoue légèrement la tête, est-ce par gêne ou en signe de protestation, je suis incapable de le dire.

   Le canidé s’éloigne sur le sentier, reprend sa quête où il l’avait laissée. Je tremble à nouveau pour mes noix. Pour un peu rien n’a changé.

Pinnipèdes outrés,

Sur le sable                                 

ils gisent.

Ma nature outragée,

Est vengée, enfin je dialyse.

   LE PECHEUR, LE FLIC, LE POMPIER ET LA JOURNALISTE

PECH : – Comme tous les dimanches,

               Je longeais la Luche

               Avec mon manche.

          Au loin j’entrevois deux baudruches

          Sur le bord échouées

          Je me dis sacre bleu ! encore deux noyés !

          Ça avait déjà mal commencé,

          En trois heures juste une touche !

          Un petit rouge assez louche,

          Que j’ai aussitôt rejeté.

FL : – Et sinon, aux alentours,

         Il a vu personne ?

         A part les vautours,

        (En regardant la pigiste garçonne)

POMP : – Pour ces deux-là

                 Il n’y a plus rien à faire

                 Ils ont passé de vie à trépas,

                 Et avalé la moitié de la rivière !

                 D’ailleurs c’est étonnant

                 Qu’ils en aient bu tant

                 D’après votre légiste

                 C’est peut-être une piste

JOUR : – On suspecterait un homicide ?

                Un crime crapuleux ?

                Sous leurs airs placides,

                Ce sont peut-être des mafieux !

FL : – Holà, holà, voilà qu’elle s’emballe !

         Ce sont les époux Pérouse,

         De la bourgeoisie locale !

         Pas la camarilla andalouse !

         Pour l’instant

         On s’en tient à l’accident

        Pour vous c’est peut-être frustrant,

        Mais pour moi c’est évident !

JOUR : – C’est raté pour le Pulitzer !

               Un banal fait divers,

                J’ai juste le temps pour l’édition du soir,

                Je ponds quatre lignes et au revoir.

PECH : – C’est bon ?

               Je peux rentrer ?

               C’est pour mes lardons,

               Ils voulaient aller au ciné.

FL : – Vous passerez demain

         Faire votre déposition,

         Ou chez l’échevin,

         Vous avez le choix de l’option.

POMP : – Bon on les a emballés,

                 Je les dépose au funérarium,

                 Les canalisations ont dégueulées,

                 La morgue ressemble à un aquarium !

FL : – Pour moi c’est okay,

         Et vire-moi ces nécrophiles !

         Quelle bande de toqués !

         Tiens, ça sent la chlorophylle !

POMP : – Ça doit être mon chwing,

                 Y’a pas mieux quand ça schlingue !

                 Bon, salut mon Paulo,

                 Et la bise à Véro !

Dédié à Sabine, en remerciement pour son travail au cours de l’atelier « écriture longue » 2022-2023

Caroline, Michel et Pascal

De la fenêtre / L’aveu

    J’habite dans cet appartement en rez de jardin depuis très exactement trente- deux ans quatre mois et douze jours. J’ai refait trois fois le papier peint du séjour, deux fois celui des trois chambres, remplacé la baignoire par une douche à l’italienne, la plaque de cuisson au gaz par une à induction. J’ai tenu mon intérieur, mené mon fils jusqu’à la fin de son école d’ingénieur, aidé mon mari à transmettre son cabinet de dentiste à une jeune consœur avant de l’enterrer deux ans plus tard à peine après qu’un infarctus foudroyant l’a terrassé dans la rue.

   Je ne me suis pas remariée. Je ne m’imaginais pas devoir recréer de nouvelles habitudes avec un autre homme, m’habituer à l’odeur de sa peau, au toucher de sa barbe ni à lui dévoiler mon corps nu une fois que nous nous retrouverions au lit. Mathieu vient passer les fêtes de Noël avec moi et une semaine chaque été au mois d’août. Je sais qu’il me voit vieillir, ma démarche se fait plus raide, je ne descends plus que rarement la colline Saint Jean pour me rendre en ville. J’ai accepté sans difficulté la présence d’Anna ma femme de ménage que mon fils m’a persuadée de prendre quatre heures par semaine tous les mardis matin. Je me réjouis de sa venue, j’aime voir sa silhouette menue virevolter entre mes meubles, la fleur en plastique qu’elle pique dans sa chevelure sombre, son bavardage incessant ponctué d’éclats de rire qui emplissent tout l’appartement, comblent les vides, résonnent encore dans ma tête lorsqu’elle est partie.

   Au bout de mon jardin trône la piscine commune à tous les résidents. A la belle saison je m’installe sur ma terrasse, je goûte la caresse du soleil sur mon visage, descends le store lorsque sa chaleur devient trop prégnante. Je relève un peu ma robe sur mes cuisses, ma peau brunit, prend une couleur caramel, elle fait oublier les varices qui courent de manière anarchique jusqu’à mes chevilles. Les journées s’écoulent, indolentes, paresseuses, rythmées par le passage de mes voisins au bord de l’eau. Je les observe sans vergogne, avec gourmandise comme on suivrait un de ces feuilletons télévisés aux rebondissements multiples qu’on nous passe avant les journaux télévisés du soir. La piscine commence à s’animer vers dix heures. L’eau est calme, turquoise, lisse, fait miroiter les rayons du soleil. Ceux qui viennent le matin affichent la panoplie du parfait nageur, maillot à la coupe sportive, bonnet de bain, lunettes. Ils ont des allures d’extra-terrestres, fendent les flots en rythme, bras, jambes, respiration, un, deux, trois, quatre, dessinent un mince filet d’écume, des ondes légères qui font clapoter les volets des skimmers. En sortant ils tapotent du bout de leur serviette molletonnée ce corps qu’ils essaient de maintenir en forme à tout prix au mépris du temps qui passe qui eux ne les dévorera pas, ventre ferme, pectoraux bien dessinés, cuisses et mollets galbés. Ils s’exposent peu au soleil de midi, celui qui éblouit, brûle la peau, assèche, assomme. L’heure du déjeuner est l’occasion d’une pause. L’eau redevient d’huile comme la mer que je ne vois plus depuis ma terrasse. La ville a fait agrandir la maison de retraite située en contrebas, cinq étages ont poussé d’un coup, sans crier gare, me privant des flots bleus, des bateaux, des mouettes. A l’assemblée générale de la copropriété on nous a dit qu’il n’y avait rien à faire, c’était d’utilité publique. Le maire est resté sourd à nos lettres de protestation, aucun d’entre nous n’a voulu aller en justice. Les vieillards parqués là se cachent derrière des voilages, des baies vitrées qui ne s’ouvrent jamais, des balcons nus, bétonnés qui restent déserts, des pierres tombales qu’on a oublié de fleurir. On devine que la climatisation tourne à plein régime. A Noël dernier j’ai dit à Mathieu que si je devais finir là-bas je voudrais un des appartements du dernier étage pour avoir l’illusion de plonger dans la Méditerranée, je rajouterais un store rayé bleu et blanc comme j’en ai toujours rêvé, un transat assorti. Mathieu m’a embrassée doucement sur la joue, « Tes désirs seront des ordres ma petite mère » a-t-il murmuré. Lorsque sa peau a effleuré la mienne j’ai cru l’espace d’un instant retrouver un peu de l’odeur de son père, fruitée, ronde, pleine de soleil.

   Vers treize heures trente le portillon d’accès à la piscine grince de nouveau. Les trois petits espagnols du premier étage ouvrent le bal, jettent leurs claquettes dans un buisson d’agapanthes, leurs serviettes sur les dalles chaudes. Ils se laissent glisser dans l’eau avec des cris de ravissement, remontent par l’échelle à grandes enjambées impatientes chercher des lunettes, un tuba, pour une chasse au trésor dont ils ramèneront seulement quelques carreaux de mosaïque que le temps a décollés, les aligneront comme des trophées sur le rebord, fiers d’exposer leur butin. Les époux Selly les suivent de près, tout en rondeurs et tatouages ethniques souvenir de dix ans passés sur l’île de la Réunion. Ils ont l’air de pirates, altiers, conquérants, occupent tout le petit bain dans lequel ils semblent mariner comme des tranches de carpaccio, repoussent les petits espagnols vers les profondeurs, esquissent de vagues mouvements avec les bras pour une nage immobile, scrutent les lieux derrière des verres sombres. Ils regardent parfois dans ma direction, nous nous saluons d’un signe de tête, nos lèvres bougent à peine. Je devine ce qu’ils disent de moi, « Pauvre Madame Perron-Dumas, c’est triste de finir seule. »

   C’est au tour de Monsieur Morret de faire son entrée, sanglé dans un mini slip de bain rouge qui rend son ventre encore plus gros, la peau tendue autour de son nombril proéminent qui pointe tel un doigt accusateur. Un jour Anna est venue l’après-midi, le matin elle avait dû se faire poser une couronne chez le dentiste, je lui avais montré discrètement la silhouette de Monsieur Morret en chuchotant que son maillot était si petit qu’on pouvait légitimement se demander s’il y avait quelque chose dedans. Nous avions ri de concert comme deux gamines, Anna avait mis la main devant sa bouche pour étouffer son rire qui risquait de traverser les minces buissons de céanothes qui bordent mon jardin, et pour lutter contre les effets de l’anesthésie qui se dissipait, tiraillait ses gencives, gênait son élocution. Plusieurs têtes s’étaient redressées à la manière des chiens de garde lorsqu’ils croient qu’ils ont entendu quelque chose. Je ne crois pas que les mots que j’avais prononcés aient été clairement perçus, et quand bien même avais-je pensé, soudain rendue bravache par notre hilarité commune à Anna et moi

    Si Raoul avait vécu je me demande si mes journées se seraient déroulées ainsi, si j’aurais au contraire continué à profiter des joies de l’eau, à goûter au sentiment de partage, d’échange avec mes voisins. Raoul, je détestais son prénom, j’évitais de l’appeler en public, usant et abusant des mon chéri banals qui sonnent faux au bout de trente ans de mariage. Je n’ai pas réussi à trouver de diminutif, comment raccourcir un prénom de deux syllabes ? Je n’ai pas voulu verser dans les mon petit canard mamour mon cœur, à seulement les prononcer un goût sucré aurait envahi toute ma bouche jusqu’à l’écœurement. Lorsqu’on me demandait quel était le prénom de mon mari je le lâchais dans un souffle, me tournais de trois-quarts, éloignais mon visage de celui de mon interlocuteur qui fronçait les sourcils dans un effort de concentration, doutant du prénom démodé que je venais d’avouer comme on avoue un crime, acculé à la vérité.

   L’ombre des grands pins grandit autour de la piscine. Mes voisins replient les parasols, se parent d’un paréo, d’un tee-shirt. Les peaux sont brunes, craquèlent, tirent, creusent des ridules. C’est l’heure de la remontée vers la fraîcheur des appartements en étage, de la douche bienfaisante, de l’eau qui coule en cascade, emportant avec elle les derniers effluves de crème solaire, de chlore, d’une journée qui s’achève. C’est l’heure à laquelle Inès d’Alambert fait son entrée.

                                        *                     *                     *

   Je sais qu’elle est là derrière les buissons de céanothes. J’aperçois un morceau de tissu rouge à travers le feuillage, je devine les contours d’une silhouette, le bruit d’une radio en sourdine ou de la télévision. Je sais qu’elle m’a vue, qu’elle me scrute, m’observe, dissèque les moindres de mes faits et gestes depuis quinze ans. Angélique Perron-Dumas, nous ne nous sommes jamais aimées. Contrairement à moi, elle ne sait pas pourquoi elle ne m’aime pas. Lorsque nous nous croisons, de moins en moins souvent à mon grand soulagement, nous nous saluons d’un discret signe de tête. Si je suis au volant de ma voiture je fais mine de ne pas l’avoir vue en feignant de retoucher mon rouge à lèvres dans le rétroviseur intérieur ou en tournant un des boutons de l’autoradio. Il y a quinze ans Angélique Perron-Dumas a dû s’absenter pour se rendre au chevet de sa mère mourante. Elle a eu la bonne idée d’emmener avec elle son fils. Un scénario banal. J’avais croisé Raoul pour la première fois au sous-sol de la résidence. Je peinais à ouvrir le capot de ma voiture, bataillais avec le loquet qui me permettrait de le soulever, j’avais un doute sur le niveau d’huile. Mon père, prévoyant, m’avait appris dans ma jeunesse comment effectuer cette vérification toute simple. Pourquoi quelqu’un vous plaît-il ? Pourquoi s’imagine-t-on dans ses bras en train de poser ses lèvres sur sa poitrine large et forte, de s’enivrer de son odeur ? Raoul, a-t-il annoncé, Inès ai-je répondu avec une assurance qui m’a surprise. Les deux syllabes de son prénom appelaient les deux syllabes du mien. Une consonne et une voyelle à chacun de leur début. Raoul résonnait à mes oreilles d’une curieuse présence, rendait plus solide mon prénom, l’empêchait de s’évaporer dans le vide. J’ai toujours pensé qu’il s’accordait mal avec Angélique, trop long, incongru, dévoyé, Angélique Marquise des Anges, il manquait de classe.

   Ce jour-là Raoul a mis la grosse valise d’Angélique et Mathieu dans le coffre d’une petite Peugeot. Trois heures de route à peine jusqu’à Aix en Provence pour visiter la mère mourante, une date de retour non programmée. Je descendais à la piscine, une chemise en lin ouverte sur mon maillot, un deux pièces. Angélique et Mathieu ont agité la main par la fenêtre, un au-revoir convenu comme sur un quai de gare, la voiture s’est éloignée, a disparu après le virage. Je ne me souviens plus qui a croisé le regard de l’autre en premier. Nous nous sommes avancés, confiants, mon menton soudain au bout de ses doigts, sa caresse sur ma joue, mes cheveux qu’il a dégagé derrière mes oreilles, et soudain ses lèvres sur les miennes, pleines, rondes, puissantes.

   Je me laisse glisser dans l’eau, savoure sa douceur sur mes hanches, mon ventre, mes seins. Je m’élance pour quelques brasses souples. Angélique s’est levée. Je regarde dans sa direction. Elle effleure de la main les céanothes, se détourne, choisit de rentrer à l’intérieur. Je peux être seule avec le souvenir de Raoul, je le laisse m’envahir tout entière, me prendre comme dans un étau. J’aime cette idée que je suis sa prisonnière. Les images envahissent mon esprit, la douceur de ces quelques jours est là toute proche presque palpable. Les draps froissés, l’empreinte de nos étreintes, leur odeur, les criques désertes qui abritent nos escapades, le sel sur la peau de l’autre que nous aimions lécher du bout de la langue, les fruits de mer dégustés dans un petit restaurant de Villefranche où nous étions certains de ne croiser personne, leur goût iodé qui descendait dans ma gorge, la senteur des vins rosés dont Raoul aimait m’enivrer. Les jours, les nuits se succédaient, douces, chaudes, enveloppantes. L’agonie de la mourante s’éternisait, prolongeait notre furieuse envie de vivre. La fin était venue, brutale, attendue, sans cris, sans pleurs, sans reproches. Dorénavant lorsque nous nous croisions seuls nos yeux nous trahissaient. Je me plaisais à penser qu’Angélique n’était pas assez fine pour le remarquer. Quand Raoul est mort je suis restée digne au fond de l’église, j’ai posé ma main sur son cercueil comme pour espérer sentir une dernière fois les battements de son cœur, fait le signe de croix, salué la veuve et l’orphelin.

   Je me sèche rapidement, autant ne pas s’attarder, se débarrasser de la chose. Cela fait plusieurs jours que j’anticipe la réaction d’Angélique Perron-Dumas, imagine les sentiments qui vont se peindre sur son visage. J’ai passé en revue plusieurs scénarios possibles dans ma tête, le début est invariablement le même, un couperet auquel elle ne pourra pas échapper, « j’ai eu une liaison avec votre mari, nous avons passé des moments inoubliables, nous nous aimions. ». Je me suis dit qu’elle risquait peut-être de mourir d’une crise cardiaque, là devant moi, avant même d’avoir eu le temps de déverser sa haine, son dégoût, son mépris. L’idée ne me déplaît pas.

   Pourquoi aujourd’hui, pourquoi avoir attendu aussi longtemps ? Dans mon ventre une tumeur grossit de jour en jour, déforme mon utérus, occupe la place de l’enfant que je n’ai pas eu. L’oncologue a été franc, « Je ne vais pas vous mentir, quelques mois tout au plus. Il n’y a rien à faire, je suis sincèrement désolé. ». Ses yeux n’ont pas cillé à cette annonce, les miens ne cilleront pas devant Angélique Perron-Dumas dans quelques minutes à peine. Je referme le portillon d’accès à la piscine avec soin. Mes pieds peinent à rentrer dans mes sandales, un peu de nervosité peut-être. Quelques bourdons trainent encore dans les lavandes, un parfum entêtant envahit l’air, la chaleur a commencé à retomber. Je croise le gardien qui s’éponge le front, des auréoles de sueur maculent son tee-shirt à différents endroits. Il vient de s’assurer que tout est en ordre. Son regard est sans cesse inquiet, aux aguets, comme s’il ne voulait pas passer à côté d’une mauvaise nouvelle. « Il y a un nid de frelons dans le pamplemoussier, m’annonce-t-il, vous étiez au courant ? J’ai appelé les pompiers, ils verront demain s’ils peuvent faire quelque chose. ». J’acquiesce en silence, le remercie rapidement, je ne m’attarde pas, je suis pressée d’en finir. Les rideaux de la cuisine bougent légèrement, elle m’a vue. Sait-elle que je viens chez elle ? Est-ce qu’elle m’attend ? Je monte les marches qui mènent à sa porte, je suis légèrement essoufflée, je porte la main à mon cœur. La sonnerie résonne, emplit tout l’appartement, annonce mon arrivée comme celle de la cour dans un procès d’assises. Le bruit de ses mules résonne sur le sol en marbre, précède le cliquetis de la serrure et de la poignée. Une moitié de son visage apparaît. Le temps est venu de nous parler, une première fois pour la dernière fois.

Caroline

Sur sa peau

Lola est déjà devant le portail du lycée lorsque j’arrive. Elle a mis sa doudoune Calvin Klein, la rose, celle qui laisse voir ses fesses moulées dans son jean Levis. Tristan, un des garçons de la classe, lui a dit un jour qu’il lui faisait un beau petit cul, depuis elle le porte quasiment chaque semaine. Nous nous faisons la bise. Ses lèvres ne touchent pas ma joue, elle se contente de les pincer pour produire un bruit sec qui claque dans l’air du matin. Je pense avec un soupçon de perfidie qu’elle veut éviter d’abîmer son gloss.

    Lola et moi sommes ensemble depuis le début de l’année scolaire. C’est le prof de maths qui nous a placées l’une à côté de l’autre. Nous ne nous connaissions pas. Il a placé tous les élèves de la classe dans un ordre selon moi tout mathématique, les plus forts doivent aider les plus fragiles se plaît-il à scander régulièrement, les bavards apprendront à se taire à côté des mutiques. Cinq mois ont passé et je ne comprends toujours pas pourquoi Lola et moi avons été ainsi réunies en ce singulier duo. Nous ne sommes ni l’une ni l’autre des championnes des chiffres ou des figures géométriques, nous sommes de plus d’un naturel plutôt secret, voire renfermé. La participation orale n’est pas une option, ont régulièrement écrit les professeurs sur mes bulletins.

    La première fois que j’ai vu Lola j’ai tout de suite été séduite par sa blondeur, sa minceur, son corps qui a l’air à la fois ferme et souple sous ses fringues à la mode. Je le regarde parfois à la dérobée lorsqu’elle écrit de son écriture ronde, encore enfantine dans ses cahiers ou dans les vestiaires du cours de gym. Je me suis une fois surprise à tendre la main pour caresser son dos alors qu’elle était en train d’agrafer son soutien-gorge. J’ai suspendu mon geste à quelques centimètres de sa peau.

   J’ai perdu du poids, j’ai cessé de faire un détour par la boulangerie avant de rentrer chez moi. Ma mère a ouvert des yeux ronds la première fois que j’ai pris le bus pour me rendre au centre-ville. L’argent de poche que je n’avais pas dépensé depuis deux ans déformait mon portefeuille. Je suis revenue avec deux paires de boucles d’oreille immenses, un tube de gloss, du mascara, un jean qui ressemblait à celui de Lola. Elle m’a souri lorsqu’elle m’a vue arborer mes nouveaux artifices le lendemain. A la récréation nous avons déambulé bras dessus bras dessous sous les marronniers de la cour. Le concierge n’avait pas encore ramassé les feuilles, elles crissaient sous nos pas. Dans le ciel, les premiers bancs d’étourneaux formaient de grands nuages noirs. J’étais heureuse, j’essayais de rapprocher mon visage de son cou, de m’enivrer de son parfum, j’avais envie de prendre les petits cheveux à la base de sa nuque entre mes doigts pour goûter leur texture.

   Le quatorze novembre, une date qui restera à jamais dans ma mémoire, deux coups discrets ont été frappés à la porte de la salle de classe. Le Proviseur a fait son entrée, droit, solennel en cravate et costume sombres, nous nous sommes tous levés de concert. Jonathan se tenait là, beau comme un dieu, ses cheveux blonds brillaient sous les mauvais néons du plafond, formaient un halo lumineux. J’ai compris ce qu’était le coup de foudre. Il a croisé mon regard, celui de Lola. Nous n’avons jamais parlé de lui, j’ai gardé pour moi les battements de mon cœur plus forts, mes aisselles moites, ma rougeur aux joues. Je l’observais en train de fumer une cigarette sur le parvis à la sortie des cours, je lui trouvais un air mélancolique qui me rappelait les grands héros romantiques de la littérature.

   Hier je les ai surpris tous les deux, lui et Lola. Elle m’avait dit qu’elle devait rendre un devoir au prof de philo, je n’avais qu’à l’attendre sur le banc. Ils s’embrassaient à pleine bouche dans un recoin de la cour. Jonathan avait saisi sa nuque, je voyais ses doigts fouiller dans les petits cheveux que j’avais rêvé de toucher. Avec lui elle ne craignait pas d’abîmer son gloss ai-je pensé avant de murmurer « salope » d’une voix dure.

   Ce matin j’ai mis un couteau dans mon sac avant de quitter la maison. Je vais le planter dans le dos de Lola, à l’endroit même où j’avais eu envie de la caresser dans les vestiaires. Ce sera bien fait pour elle.

Caroline

Le Kilibaru

    La chaleur monte lentement au fur et à mesure que le soleil se rapproche du zénith. Ma jeep roule en cahotant, me bringuebale de gauche à droite sur mon siège. Les ornières sont parfois si profondes que mon pied se décolle de la pédale d’accélérateur. J’ai décidé de partir seule à l’autre bout du parc où on m’a signalée une girafe mal en point après la mise bas. Teddy, l’autre vétérinaire titulaire du centre est malade. En réalité je crois qu’il a tout bonnement la gueule de bois. Il y avait une fête chez le gouverneur local hier soir, je l’ai entendu rentrer au beau milieu de la nuit, il titubait tellement qu’il a raté plusieurs marches dans l’escalier et poussé un juron qui m’a fait sursauter. J’ai eu du mal à retrouver le sommeil, me retournant sans cesse, la peu (peau) moite. Lorsque mon réveil a sonné à cinq heures j’ai été soulagée, heureuse de revoir la lumière du jour. J’ai poussé la porte de la chambre de Teddy prudemment, il était enfoui sous les draps, la moustiquaire maladroitement déployée autour de son lit, sa bouche grande ouverte exhalait des relents d’alcool. Je suis ressortie sur la pointe des pieds et ai rejoint Mambo notre fidèle cuisinier pour lui annoncer que je partirai seule aujourd’hui.

« Ce n’est pas prudent mademoiselle Juliette. Une femme seule dans la brousse. Et s’il vous arrivait quelque chose avec la jeep ? »

  Je lui ai répondu en riant que je savais changer une roue et vérifier le niveau d’huile.

« Oui changer une roue c’est bien, mais si vous tombez sur le grand Kilibaru ?

   Je n’ai pas voulu le vexer en lui disant que je ne croyais guère au grand Kilibaru même si j’aime écouter les histoires que les villageois racontent pour se faire peur. J’ai attrapé les clés, rempli un bidon d’eau, fourré quelques galettes de manioc dans un sac en jute.

   Je m’aperçois que conduire seule ne me déplait pas. Je n’ai pas à supporter le bavardage incessant de Teddy qui aime à se vanter de ses innombrables conquêtes, quand ce n’est pas de ses pseudo-exploits de sauvetage. Je le vois qui lorgne mes cuisses en conduisant mais pour l’instant ses mains sont toujours restées sagement sur le volant.

   Cette partie de la piste est en meilleur état. Quelques petits singes sautent d’arbre en arbre en poussant des cris perçants, ils me font penser à de petits enfants dans une cour de récréation. Juste au moment où je me dis que j’ai eu raison de partir seule, le moteur se met à cahoter. J’appuie plus fort sur la pédale d’accélérateur mais ne parviens pas à endiguer le ralentissement jusqu’à l’arrêt total de mon véhicule. Une épaisse fumée blanche monte soudain du capot.

« Purée mais c’est pas vrai ! »

   J’essaie de rassembler mes souvenirs, une fumée blanche c’est un problème d’eau, une fumée noire un problème d’huile. Non c’est le contraire ! Ah je ne sais plus ! Je décide de faire marcher la radio, d’appeler Mambo à l’aide.

« Mambo, Mambo, tu m’entends ? »

Je tourne les boutons dans tous les sens au risque de les voir se dévisser.

« Mambo, Mambo, c’est moi Juliette. Tu m’entends ? »

Un grésillement strident s’échappe de l’appareil.

« Mambo ici Juliette, tu m’entends ? A toi. »

   Le sifflement s’accentue. Je me morigène. Quelle cruche ! Je n’ai même pas pensé à vérifier le bon fonctionnement de la radio avant de partir, pas plus que le niveau d’huile et le niveau d’eau d’ailleurs. Si c’est bien un problème de niveau d’eau ou de niveau d’huile. Comment vais-je faire ? J’ai déjà roulé une bonne heure à la vitesse approximative de cinquante kilomètres à l’heure, donc j’ai dû parcourir une distance de …

   Il est tout à coup là devant moi comme surgi de nulle part. Sa peau noire comme l’ébène reflète la lumière du soleil, je la devine douce, comme polie. Il porte un simple tee-shirt de coton bleu, un short assorti, des sandales ouvertes, tient un long bâton qui lui arrive à l’épaule. Nous nous dévisageons, aussi surpris l’un que l’autre par cette rencontre.

« D’où viens-tu ?

—Bonjour. Je viens de la réserve de Mombasa. Je suis une des vétérinaires du Centre.

—Vétérinaire ? Mais qu’est-ce que c’est ?

—C’est un docteur pour animaux.

—Ah oui. J’ai déjà vu un monsieur comme toi une fois. Il te ressemble.

—Il me ressemble ?

—Oui, il a la peau comme la lune lui aussi.

—Tu veux dire un blanc ?

—Je ne sais pas. Un comme la lune. »

   Ce garçon m’intrigue. Que fait-il ici tout seul au milieu de la brousse sur une piste où ne passe jamais personne ? J’estime qu’il doit avoir environ dix ans.

« Tu es tout seul ?

—Non, je suis avec toi. »

Évidemment il y a une certaine logique. Je me demande s’il s’y connait en mécanique, ce serait mon jour de chance.

« Où est-ce que tu vas ?

—Un peu plus loin vers Muburu. On nous a signalés une girafe mal en point hier. Je voulais voir si elle avait besoin d’être soignée, si je pouvais faire quelque chose.

—Mademoiselle de la lune, les girafes n’ont pas besoin d’être soignées. S’il y a un problème elles peuvent compter sur les lions. »

   Le petit bonhomme a l’esprit pratique. Je me sens décalée avec mes idées d’européenne, de fille de la lune comme il m’appelle, qui veut que le monde tourne à sa façon, qui croit qu’elle va pouvoir sauver l’univers.

« Et toi qu’est-ce que tu fais ici ?

—Je suis parti à la recherche du Kilibaru.

—Le Kilibaru ?

—Tu ne connais pas le Kilibaru ?

—Si, si bien sûr, j’en ai entendu parler. Mais où le cherches-tu ?

—Près d’un étang, celui où poussent les hautes herbes qui font chanter le vent.

—Qui font chanter le vent ?

—Oui, comme ça, écoute. »

   Il prend une inspiration, met les mains en cornet devant sa bouche. J’entends le vent qui chante dans les herbes, je vois les animaux qui vont boire à la tombée du jour, leurs empreintes sur le rivage boueux. Je vois le grand Kilibaru, il se faufile dans la savane, de grands flamants roses s’envolent à son approche, un troupeau d’ antilopes s’échappe en grands bons graciles.

« Dis, tu viens avec moi ? Ta jeep ne bouge plus. »

   Qu’ai-je à perdre ? Ma girafe n’est certainement plus qu’une carcasse en train de blanchir sous les rayons du soleil. Le petit bonhomme me tend la main. Nos doigts s’entrecroisent. Nous sommes partis.

Caroline

LE PETIT GRINCE

J’ai toujours voulu être un oiseau. D’ailleurs quand je suis né je n’ai pas poussé d’horribles vagissements, non je me suis contenté de gazouiller en langage bébé :

– Salut les gars c’est moi que vla, papa fait péter la roteuse !

 Bien entendu personne ne m’a compris et j’ai eu droit à ma première avoinée.

Après plusieurs tentatives ratées de libération d’apesanteur comme :

-sauter dans le vide en battant des bras

– parachutisme avec un parapluie ou avec la taie d’édredon tenue aux quatre coins

Dépité, j’ai laissé tomber pour accepter ce statut de bipède terrestre qui m’était dévolu.

Seule réminiscence de ces fantasmes enfantins : mon amour inconditionnel du pain aux graines.

Finalement je suis devenu ingénieur des ponts et chaussées, dans un premier temps. Puis dans la dentisterie, pour mettre au point des bridges pour dents déchaussées, puis dans les mines : patibulaires, joviales, maladives, toutes sortes de mines et finalement dans la partie la plus lucrative, celles de l’or des diamants ou des métaux rares.

Et là, précisément je me trouve face à un gros problème d’extraction.

 J’aurais mieux fait de rester dans le secteur dentaire. Une molaire si coriace soit-elle, deux-trois mandales bien assénées, et on en parle plus.

 Mais là, je dois sortir toute la délégation des futurs investisseurs chinois, plus notre saint PDG flanqué de sa bergère et de son dircom, du fond du puits numéro 6 qu’ils étaient en train de visiter avant le coup de grisou.

Toutes les caméras sont out, aucun visuel et pour l’instant pas de signe audio non plus. On est dans le Schwartz total ! il va falloir y aller à l’ancienne, sans filet, le salto mortel si je me plante.

J’avais un besoin urgent d’un trait de génie pour me tirer de là !

N’ayant pas d’antique lampe à huile sous la main, je frottais compulsivement mon casque muni d’une lampe acétylène, à ma grande stupéfaction il y eut un grand éclair et un gamin boutonneux à l’air effronté lance-pierre dans la poche apparut dans un nuage vert opalescent. Il me lança en reniflant :

-salut mec tu pourrais pas me dessiner un boulon ?

– pardon ? fis-je, éberlué

– un boulon quoi ou un écrou, ça le fait aussi !

– mais d’où viens-tu ? personne ne peut entrer ici ! c’est hyper sécurisé !

– alors ça si tu permets chacun ses petits secrets ! Lotus et mouches cousues ! alors, tu me le fais ce boulon ?

– désolé, mais là je suis dans une merde noire ! il faut que je repêche une trentaine de connards fissa, sinon je ne donne pas cher de ma peau !

-si je te donne un petit coup de main tu me le fais, mon boulon ?

– désolé mais je crois que la situation dépasse ta compétence !

– faut pas se fier aux apparences, chez moi ils m’appellent « l’Eugénie » rapport à mon qi.

– t’es une fille toi ?

-Ben oui pourquoi t’es plutôt orienté macho gay toi ? ras le cul des préjugés à la con ! tu sais quoi ? ton boulot tu peux te le carrer dans le fion ! fuck off !

Et elle est partie en claquant la porte blindée. Je me suis ébroué pour sortir de ce rêve éveillé, mais le temps avait passé et ils ont tous clamsés.

Ici j’ai tout mon temps pour me remémorer tout ça.

J’ai été muté dans une petite mine de bauxite perdue dans l’enfer vert. Bien sûr ma femme m’a quitté et je n’ai plus de nouvelles de mes enfants.

 Au fin fond de l’Amazonie les distractions sont plutôt rares. Je profite de mes crises de palu et de mes hallucinations sous yopo pour retourner à mes amours originels : je suis un grand aigle blanc qui tourbillonne sous le soleil, et quand j’ai plané tout mon saoul, je peins !

J’ai déjà produit plus de cent cinquante tableaux qui embellissent ce campement du bout du monde.

                                                 De magnifiques fresques de boulons et d’écrous.

Pascal

Au fil du temps…

Dialoguons avec nos personnages…

« On ignore tout d’eux, mais d’emblée on sent qu’ils vont durablement imposer leur présence.

… ce sont des dormeurs clandestins nourris de nos rêves et de nos pensées. » Sylvie Germain

« Chacun crie en silence pour être lu autrement » Simone Weil

LES PERSONNAGES

Du papier au plateau, du plateau au papier …
au fil des jeux d’écriture et des mises en voix,
nos personnages ont peu à peu pris corps
dans l’encre de nos mots.

QUAI n°4

« Hola no estoy aqui por favor deja un mensaje, c’est Aldo vous êtes sur mon répondeur laissez-moi votre message après le BIP. »

BIP

Marguerite        Monsieur Aldo, c’est Marguerite, Marguerite Dupond, nous nous sommes rencontrés la semaine dernière, quai 4 ! Vous vous souvenez de moi ? Excusez-moi de vous déranger peut-être êtes-vous là à la gare ? A votre travail ?… Je vois le train qui brille, c’est vous qui avez dû le nettoyer ! Celui à destination de Madrid ! Je suis là, quai 4. Dans 20 min mon train va partir… je dois partir pour le week-end et… et j’ai deux billets aller-retour ! Un collaborateur devait m’accompagner pour le salon international où nous devions traduire. Vous vous souvenez, je suis traductrice !? Ah mais… Peut-être que vous ne vous souvenez pas de moi… Nous nous sommes croisés plusieurs fois, je voyage souvent. Quai 4, la semaine dernière nous avions regardé tous les deux la petite fleur qui a poussé au pied du poteau électrique. Je devais me rendre à Madrid, vous étiez-là, en bleu de travail et moi avec ma valise… on a regardé la même fleur, c’était une petite pâquerette… et vous m’avez raconté… vous avez envie de retourner en Espagne, dans votre pays. J’ai un billet de trop dans les mains ! Rappelez-moi vite si vous entendez ce message ! Le train part bientôt ! Je n’aime pas voyager seule. J’aimerais vous… vous offrir ce billet. Venez, partez avec moi ! Vite ! J’espère que vous n’êtes pas loin… Peut-être là, quai 3 ou sur le quai 2 ? A travailler ?! Peu importe ! Ou… peut-être êtes-vous chez vous. Alors venez vite je vous attends. Le train est déjà à quai, je vous attends devant la voiture 5. Les places 22 et 23… Le train part dans… dans 17 min à 12h37. J’espère que vous n’entendrez pas ce message trop tard. Je vous attends… Je m’excuse de vous déranger… vous m’avez laissé votre numéro la semaine dernière alors… je vous appelle. Peut-être que…

BIP BIP BIP

Sur le quai 4, il est 12:20 devant la voiture 5 du train 3052 à destination de Madrid.
Marguerite tourne en rond…

Marguerite        Est-ce qu’il va venir ?    
On se connaît à peine… je n’aurais peut-être pas dû !    
Ce n’est pas mon genre… pourquoi j’ai laissé ce message sur son répondeur ?!                         

Aldo arrive en courant

Aldo                    Mme Dupond !

Marguerite        Aldo !

Aldo                    Marguerite !

Marguerite        Vous… vous avez entendu mon message ?? Je m’excuse, enfin je, comment dire… je… 

Aldo                    J’ai compris, inutile d’en dire plus ! Il nous reste à peine 10 min avant de partir… de partir à l’aventure !

Marguerite (dévisageant Aldo de haut en bas)  
Mais vous travaillez aujourd’hui ?? Vous ne pouvez pas partir !

Aldo                    J’ai été invité !

Marguerite        C’est de la folie, ce n’est pas raisonnable !

Aldo                    Cela fait des années que je rêve de partir ! !

Marguerite        Voyons, c’est insensé, si l’on vous trouve dans le train alors que vous devriez être sur le quai.

Aldo (interrompant Marguerite)             
S’il le faut je nettoierai les wagons pour rester avec vous !

Marguerite        Mais dans quelle histoire je me suis embarquée !

Aldo                    Madame Dupond, Marguerite, cela fait tant de semaines, de mois que je vous vois, chaque semaine monter dans ce train. Je vous envie. A votre retour je vous revois à nouveau… avec votre démarche si élégante !

Marguerite        Mais se sont des déplacements professionnels, j’ai un séminaire très important, je vais travailler.

Aldo                    Peu importe, je vous suis !

Marguerite        Je ne serai pas disponible en journée.

Aldo                    Je vous attendrai le soir !

Marguerite        C’est de la folie, ce n’est vraiment pas raisonnable de partir.

Aldo                    Qu’est-ce qui nous en empêche ? Vous avez les billets !

Marguerite        Savez-vous qu’à force de parler je vais manquer mon train !

Aldo (prenant la main de Marguerite)    Alors, arrêtons de parler ! Basta !

                            La vie file si vite, nous avons assez perdu de temps, il est l’heure… vite, le train va partir ! Courrons !!

Aldo et Marguerite montent à (en) toute hâte dans la voiture 5… s’installent places 22 et 23.
« Le train n° 3052 à destination de Madrid va partir. Attention à la fermeture des portes. »

Martine

E-GARE-MENT

Le taxi me dépose à la gare. Je suis en avance. Le hall est bondé. Les enfants s’éparpillent en criant d’excitation. Les groupes se comptent et se recomptent : « tout le monde est là ? » Partout le stress : « as-tu les billets ? »

Moi, je fends la foule, tranquillement, à mon rythme. Un coup d’œil sur l’écran affichant les départs, compostage du billet et je monte au quai indiqué.

Ah, l’odeur des gares ! un mélange vraiment très spécial. Le lieu est magnifique. L’immense verrière conçue par Gustave Eiffel laisse passer la lumière du jour à travers sa dentelle de métal. Une énorme horloge égrène le temps. Le train entre en gare. Je suis rassurée. Tout est bien.

MESSAGE EXPRESS

Mona, c’est Léo. Je viens d’arriver au relais hippomobile de Vérone. Le temps presse. Dès que tu reçois ce message, s’il-te-plaît, remets de suite ta réponse au messager que j’ai expressément mandaté et grassement payé pour cette mission.

Mona, je suis sur le départ pour la France, mes bagages sont prêts et plus aucune nouvelle de toi depuis deux jours !

Comme je te l’avais déjà demandé, veux-tu te joindre à moi pour cette folle aventure ? Je t’en supplie, dis oui. Je ne peux partir sans toi… D’ailleurs, je te préviens, si tu restes c’est toi qui devras éponger mes nombreuses dettes. Alors, fichtre, tu ne peux dire non car les créanciers frapperont à ta porte pour te dépouiller de tous tes biens. Mona, viens, mon cœur se brisera si tu refuses. Je me mets à genoux en attendant le retour du messager. Ton Léo

UN DÉPART MOUVEMENTE

Léo – Ô ciel, te voilà mon ange !

Mona – ô Léo, je ne pouvais t’abandonner, comment pourrais-je vivre sans toi ? Tu aurais pu me prévenir plus tôt, ce n’est pas très élégant de ta part de précipiter ce départ ! Tu me vois tout essoufflée, tremblante et suante. Allons, il est temps de charger mes bagages !

Léo – Mais… as-tu perdu la tête ? Nous ne pouvons emporter tout ce chargement ! D’abord mon matériel de peinture in-dis-pen-sable pour réaliser mes œuvres ! C’est pour cela que je pars, non ? J’ai une haute mission à accomplir… alors que toi…

Mona –  Comment ça, une haute mission ? Et moi alors, je ne compte pas ? Si je dois poser pour tes tableaux ce n’est pas en haillons, non ?

Léo –Six malles ! Mais tu veux faire rendre l’âme à notre attelage ! Sais-tu le prix que me coûte ce voyage ?

Mona – Puisque tu es invité par le roi de France, il n’a qu’à le payer ce voyage! Et n’oublie pas que musicienne je suis donc mes instruments de musique sont aussi importants et in-dis-pen-sables que ton attirail de peinture, Môssieur Léonard ! Et d’ailleurs, si tu continues ainsi nous allons manquer le départ de notre diligence !

Léo – Tenez cocher, voici 100 florins d’or, chargez toutes ces malles sinon nous ne partirons jamais ! Nous sommes attendus que diantre !

Mona – Et comme dirait l’autre : qui veut aller loin ménage sa monture. Allez, fouette cocher, je vois au loin les huissiers se rapprocher !

Lisbeth

Prévenir

Sissi et Marie-Louise ont de l’affection l’une pour l’autre. L’une paie l’autre pour un service.

Un service professionnel qui s’est transformé en une habitude de vie, elles font chacune partie de la vie de l’autre.

Sissi la taxi, à Marie-Louise par téléphone

Son de la sonnerie dans le vide, personne ne décroche.

Répondeur. ( vous êtes bien sur le répondeur du 06 32 27 80 99 )

Mi agacée, mi embarrassée

Bon…Marie-Louise…

Bonjour C’est Sissi, c’est le taxi.

Rô…répondeur. Alors, euh…comment dire…Je vais arriver à Gare du Nord…mais en retard….

Je suis coincée dans les bouchons…

              A voix basse :

               Je n’arriverai peut-être pas..aujourd’hui

 Enfin, euh je n’arriverai peut-être pas à temps pour le train de 14h03.

Bon …Marie-Louise…Vous prendrez le train suivant, d’accord ?

              Se parle à elle-même

              Et l’autre là… qui me passe devant, sans clignotant. Tuuuuuuut ( avertisseur sonore )

A voix haute

Attendez-moi au café Michel. J’irai vous chercher là-bas. Vous savez chez Michel, à l’angle, à l’entrée.

              Se parle à elle-même

              Et un autre qui recommence, et lui qui traverse, il veut se faire tailler un short.

A voix haute

Tiens, c’est vous qui me l’avez apprise celle-là… »Tailler un short »

Allez, pas d’inquiétude Marie-Louise. Vous l’aurez votre train pour aller chez Madeleine.

Pis, comme vous dites «  l’homme pressé est un homme mort…et la femme pressée, bah elle meurt avant l’homme ».

Alors…disons qu’aujourd’hui, on va profiter de la vie.

Bon, Culmont-Chalindrey, c’est la Haute-Marne, pas San Francisco, en 2h vous y êtes.

              Râlant Et voilà…une trottinette maintenant

Passe à la radio une chanson de Charles Aznavour : « Le temps, le temps, le temps et rien d’autre…le tien, le mien, celui qu’on veut nôtre…(bis)

Résignée

De toute façon, Marie-Louise, mon message…vous ne l’écouterez pas.

……………………………………………………………………………………………………………………………………………………

Guérir

Sissi La Taxi, pressée, enjouée arrive au café chez Michel où l’attend Marie-Louise

– Youhouuuu ! Marie-Louise ! je suis là…Allons-y !

Je suis garée en double file. C’est parti. Allons-y.

Tu n’as qu’une seule valise aujourd’hui ?

Marie-Louise, triste, tête baissée, à voix basse

– J’ai raté le train de 14H03.

J’arriverai en retard chez Madeleine.

Sissi La Taxi, à voix haute, dans l’énergie du stress du retard, gesticule, heureuse d’être là et de voir Marie-Louise

– Oui tu as raté le train de 14h03. Mais tu auras celui de 15h24 !

Marie-Louise, Hésitante, déçue

-Madeleine l’avait prédit.

Sissi, amusée

-Aaahhh Madeleine et ses prédictions ! Mais Madeleine est capable de prédire que demain le soleil va se lever et que la nuit va tomber !

Marie-Louise, bougonne mais contente de voir Sissi

-Non, elle, elle sait…Elle sait qu’avec toi, je rate toujours les trains.

Sissi La Taxi, à bout de mots, pensant déjà à sa prochaine course…

– Je suis là ! Je suis venue !

Pour ma cliente préférée…

Se dirige vers la porte automatique

– Allez..Allons-y. Direction Gare de l’Est !

Marie-Louise, assise, immobile et lasse

– Avec Raimond, je ne ratais jamais les trains.

Sissi La taxi

– Mais pour toi, Raimond partait la veille…Il serait venu te chercher à Compiègne s’il le fallait..Raimond travaillait du lundi au dimanche. Il vivait dans son taxi. Et Raymond, lui, n’avait pas à composer avec trottinettes, vélib, et autres monoroues. »

Marie-Louise, d’un air interrogateur

-Tu as prévenu Madeleine ?

Sissi La taxi, rassurante, se prend la fermeture de la porte automatique du café

– J’ai prévenu Madeleine.

Marie-Louise

Tu sais que je n’aime pas attendre…

Je n’aime pas attendre à la gare.

Tu le sais ?

Sissi La taxi

Oui je le sais. Le vélo volé / réquisitionné…

Le pied du soldat dans le seau de miel. Les rires de tes frères et sœurs…Les soldats…ils avaient besoin de roues. Ton père, parti, avec le vélo. Dans cette gare.

Marie-Louise, rappelle sa vulnérabilité de personne âgée

– Je n’y vois plus clair. Je me souviens d’hier et j’ai déjà oublié aujourd’hui.

Sissi La taxi, gênée, blagueuse

– Ton esprit est vif Marie-Louise, mais parfois il se bloque… comme les bouchons à Paris, et les ruminations reprennent.

Marie-Louise

– Le train va-t-il partir à l’heure aujourd’hui ?

Elle regarde sa montre, machinalement. Elle n’y voit rien. Elle pense à Raimond. Elle se lève péniblement.

Sissi La taxi, empoigne la valise à roulette de Marie-Louise, lui tend son bras

– Oui il partira à l’heure, allons-y et comme dit Madeleine « Femme en retard,…boira jusque tard.»

Commentaires :

Je ne savais pas si je devais utiliser le vouvoiement ou le tutoiement entre les deux amies-clientes, qui se connaissent bien.

Marie-Aude

Sur un banc de gare, deux personnes, une femme d’une cinquantaine d’années, et un
jeune homme, tout juste majeur. Ils attendent un train. Proche d’eux, un piano, destinés
aux voyageurs musiciens, et actuellement occupé.


E : Eh bien … en voilà un passage particulièrement mal maîtrisé. Vraiment, je ne pensais
pas entendre un morceau de Chopin aussi … déchiqueté ? Non ce n’est pas le mot, pas du
tout. Au moins si c’était déchiqueté, il y aurait un peu d’attaque, d’élan, enfin quoi, un
peu de nerf mon garçon !
un temps
Allongé. Voilà, le mot que je cherchais. C’est étiré en longueur. Tout à fait assommant, ces
ralentis qu’il nous inflige. Bon, la position de la main est pas si mal, quoique … un peu relâchée du côté gauche. Un peu de travail mains séparées n’aurait pas fait de mal.
Décidément, ça ne dépasse cette habitude de mauvais musiciens, de croire que les émotions sauveront une technique bancale. Et voilà le résultat ! Des ralentis par ci, un usage immodéré de la pédale par là, non vraiment ça finit d’achever la bête !

elle soupire
Et voilà qu’il nous inflige maintenant le canon de Pachelbel ! Pitié ! Déjà que je ne raffole
pas de ces versions solos, à chaque fois l’exécution me laisse toujours pantoise. C’est mou ! C’est sentimental ! Il faut du rythme, de la rigueur, pour faire advenir le magnifique. Là … on reste sur notre faim. Rien à voir avec la version originale, la vraie ! Pas celle des mariages américains à la noix !
Enfin … c’est bien un truc de jeunes blancs becs. Insuffler de la sensibilité là où on peut, quitte à tout bâcler. Se laisser aller, indolent, au gré du vent, sans vraiment faire attention …
N : la coupe J’ai compris le message.
E : Ah ! Contente que ce soit le cas. J’avais peur que ça ne soit pas assez clair. Trop subtil
peut-être….

silence
N : A quelle heure est le train ?
E : 11h45
N : et quand arrivera-t-on à Londres ?
E : 14h25. J’ai appelé un taxi, il nous attendra devant la gare pour nous amener à l’hôtel.
N : Bien.
E : Pas de sortie ce soir. Il faudra que tu te concentres. Le concours est demain, je veux
que tu sois en forme.
N : D’accord.
E : Enfin. Encore faut-il que tu ne te dégonfles pas au dernier moment.
N : soupire
E : L’art de la fugue, tu sembles maîtriser en ce moment.
N : Bon ça suffit maintenant !
E : Pardon ?
N : ça … Je … J’aimerais que tu arrêtes ça maintenant. S’il te plait. Je vois bien que tu es
déçue …
E : Ah ça ! évidemment que je le suis ! Je ne sais pas comment ça pourrait être autrement.
Enfin Nathan ! Des heures, des années de travail acharné, à tout donner … Et tout ça
pour quoi ? Pour rien !
N : Pas pour rien quand même ….
E : Mais c’est tout comme ! Ce n’est pas comme si tu avais des projets pour lesquels tu renonçais ! Monsieur veut arrêter la musique ! Monsieur n’aime plus ce qu’il fait ! … Mais
surtout Monsieur n’a aucune idée à part ça ! Il veut tout lâcher sur un coup de tête voilà.

N : Non ! Non … Ce n’est pas comme ça.
E : ah oui ? Et je pourrais savoir sur quoi exactement je me trompe ?
N : Sur le coup de tête. silence ça fait un moment que j’y penses à vrai dire … des mois…
Peut-être des années. Ce n’est pas parce que je ne t’en parlais pas que ça n’existait pas !
Mais ça grandissait petit à petit. Il me fallait sans doute … juste le temps. Le temps de réaliser que contrairement à ce que je pensais, la vie n’était pas linéaire. Il y a quelques années, je n’aurai jamais vu les choses comme ça. Quand on a commencé à travailler ensemble, quand tu m’as prise sous ton aile. Je ne vivais que pour ça. Me perfectionner, m’élever, une marche après l’autre, la réussite à la fin, aussi abstrait que ça soit. Le conservatoire, les concerts, les disques, encore et encore … et puis … et puis …
E : eh bien quoi ?
N : Je ne sais pas. Tout ce que je sais c’est que j’ai soudainement eu un vertige. C’était … effrayant, voilà ce que c’était. Mais grisant aussi ! Comme si l’horizon s’ouvrait ! Jusque-là, j’avais toujours pensé le monde comme immuable, rigide, et monolithique. Et moi
aussi, je me voyais comme ça ! Une existence, parfaitement réglée, sans discontinuitée
Réglé comme ..
E : Du papier à musique ?
N : Voilà. En quelque sorte.
silence
E : quel ramassis de conneries.

Adèle

Message vocal

« Monsieur Meunier, c’est Madame Schmitt ! Excusez-moi de vous déranger, vraiment, je suis désolée ! Mais je ne sais pas comment m’en sortir toute seule. Je suis à la gare de Blainville sur l’Eau pour aller à Nancy. Vous savez, je vous en ai parlé hier. C’est pour mon caniche. J’ai ce rendez-vous chez le spécialiste vétérinaire à 11h, mais mon train de 9h38 est annulé à cause de la grève. Tous les taxis sont pris et je ne sais plus quoi faire. Mon Toutou, le pauvre, vous savez qu’il est mon seul compagnon de vie et à quel point il me tient à cœur. Mais avec cette insuffisance rénale, il risque de me quitter dans les jours qui viennent. Le docteur Barot m’a promis de lui faire un traitement qui peut le faire sortir de cette crise et qui n’est pas envisageable chez le vétérinaire de chez nous. Je suis vraiment triste, j’ai peur !!! C’était si difficile d’obtenir un rendez-vous en urgence, alors ce créneau à 11h… Je sais que vous vouliez jouer à la pétanque ce matin, mais vous êtes le seul à qui je puisse faire appel. Avec votre vélomoteur, on pourrait s’y rendre. J’ai Toutou dans sa box, je n’ai pas d’autres bagages, on pourrait y arriver à temps ! Vous pourrez même contourner la manifestation près de la gare à Nancy, la clinique vétérinaire n’est pas loin ! Je vous en supplie, Mr. Meunier, venez nous chercher ! Si vous écoutez ce message, je vous en prie … »

Dialogue

  • Elle : Mais Mr. Meunier, il n’est que 8 heures. Vous êtes déjà ici?!
  • Lui : Je vous attendais !
  • Elle : Mais, on avait dit 9h pile, non ?
  • Lui : … pour prendre le train à 9h37 …
  • Elle : Avec moi, vous n’allez jamais rater un train ! À mon âge, je préfère venir tôt, avoir le temps d’attendre l’ascenseur, prévoir des pauses … Elle réfléchit … Mais vous ? Une heure d’avance – que se passe-t-il ???
  • Lui : …
  • Elle : Dites-le-moi ! Que faites-vous à la gare une heure avant notre rdv ?
  • Lui : Madame Schmitt …
  • Elle : Oui ?
  • Lui : Madame Schmitt … Il cherche à changer de sujet … Pour vous c’est bien pire… Vous avez dû quitter la maison à 7h !
  • Elle : Vous savez bien que j’ai dû passer au chenil pour voir si mon Toutou va bien. Il me manque, mon vieux caniche, mais c’est mieux comme ça…
  • Lui : Je sais bien. Et puis vous avez dû passer chez Florentin pour prendre le petit-déjeuner …
  • Elle : Pas encore aujourd’hui ! …  Euh, oui…. Mais comment le savez-vous ???
  • Lui : …
  • Elle : En tout cas – vous qui êtes depuis si longtemps à la retraite déjà, vous n’êtes pas du genre lève-tôt qui s’engage pour être en avance …
  • Lui : Madame Schmitt, aujourd’hui …
  • Elle : Je vous écoute … elle le regarde
  • Lui : Aujourd’hui c’est pour …
  • Elle : Et puis vous avez dû prendre du  temps pour vous préparer : mettre ce nouveau costume et nouer cette jolie cravate, alors, dites-moi …
  • Lui : Madame Schmitt, aujourd’hui c’est pour … BON … Je voulais être sûr de ne pas vous faire attendre. Pour une fois je voulais être le premier au rendez-vous. En fait, c’est ce qu’on m’a appris – il ne faut jamais faire attendre une dame à laquelle on veut demander …
  • Elle : Demander … ???
  • Lui : Madame Schmitt, Elsa, si vous permettez, … Voudriez-vous prendre un café avec moi ?

Sabé

Du corps à l’écriture, de l’écriture au corps… dans tous nos sens !

Éveil du corps

Éveil des sens

L’odeur des mots

Nuage de mots… qui sentent

Orange                                                                                    Égouts avant la pluie

Citron                         Toilettes

Pamplemousse                                                                     Rats morts

Vanille                                                                                      Les pommes de terre pourries

La fraicheur de l’air en campagne                                      Le siphon

D’un vieux piano                                                                              Tabac froid

Café Mélange de poussière des feutres qui ont pris l’humidité

L’odeur du bois                                  Sueur

De l’air marin, l’iode, les algues à marée basse                                                       Plat brûlé

Parfum                                                           Linge mal aéré

L’odeur du Port du Rhin                                                       L’eau qui stagne

Le café                                   La transpiration

L’odeur des mots                                                                                          Lait caillé

Bergamote

La lessive                              La bouche le matin

Blanquette de veau                                                                            Odeur des feux d’incendie

Fragments – Fragrances…

PARFUMS D’ENFANCE

D’abord une impression de chaleur. Puis cette odeur de paille fraîchement remuée et étalée. En y pénétrant plus avant, elle vous envahissait, puissante et rassurante. Des effluves de prairie d’été parsemée de fleurs s’échappaient des bottes de foin. Ce mélange de parfums subtils me saisissait, m’enveloppait peu à peu.

Régnant sur ces lieux, une fière paysanne occupée à la traite, trônait sur son tabouret, la tête bien calée contre le flanc de l’animal. Le jet puissant du lait battait, tel un métronome, le métal du seau qui se remplissait peu à peu formant une mousse blanche et généreuse.

Une fois plein, j’avais le droit d’y plonger mon gobelet pour le déguster.

Lisbeth

L’odeur de l’encre…

J’ai 6 ans. Je me souviens encore. L’odeur de l’encre, la plume accrochant le papier de ma main maladroite. Je sais déjà que j’échouerai mais je dois écrire… Derrière son bureau, elle lance des mots dont je dois connaître l’orthographe et la signification. Austère, maigre à pâlir, il ne lui reste qu’un an avant sa retraite. Elle a cette odeur particulière qui provient d’une sorte de châle. Une odeur de mouillé. Celui-ci semble plus vieux qu’elle et le haut est couronné d’une fourrure inattendue.

La classe est sombre. Nos bureaux rapprochés sont tailladés d’initiales, de plus, laissant notre imaginaire croire à un amour possible. Toi tu es là. Petite brune, cheveux raides, une coupe au carré.

Tu sens cette odeur de lessive dont nos mères ont gardé le secret. Parfois encore, lorsqu’il me vient de croiser cette odeur, j’ai cru te voir.

Elle s’est levée de sa chaise, de son bureau, scandant les mots, directive impitoyable, elle nous donnera une note. Moi aussi un jour, je te donnerai mes notes. Elles seront plus légères et auront le goût du pardon même si je me souviens du parfum de l’injustice.

De ma main gauche j’ai étalé l’encre qui n’avait pas encore séchée. Quelle misère d’être gaucher en ces temps révolus. Sa main se lève et s’abat sur ma joue. Je suis coupable, juste d’être gaucher.

Ne dit-on pas passer l’arme à gauche ? Ne sert-on pas la main avec la main droite.

Et pourtant la main gauche est peut-être celle du cœur non ?

Je finis par m’échapper de sa voix rauque et inquisitrice. Il manquera toujours quelques lignes à ma dictée.

Puis tu as convoqué mes parents, persuadée de ta vérité pour finir par m’attacher la main gauche dans le dos m’obligeant à faire ce que tu appelais des pattes de mouches.

Longtemps tes mots ont raisonné en mon esprit. Puis vint le moment où le goût du mensonge fut troqué contre celui du pardon.

Ce verre de poison que j’avais bu chaque matin, cette envie de justice j’en étais libéré. L’amertume avait laissé place à la pitié. De toute façon tu n’es plus. Je ne peux te souhaiter que le meilleur dans l’au-delà, des rivières d’eau qui désaltèrent, douces au palais qui nettoient notre orgueil au plus profond de nos tripes. Un goût de miel.

Je ne regrette rien, tu m’as appris le pardon, le dépassement de soi, ma sensibilité je te la dois aussi car je suis la somme de tout ce que j’ai vécu.

Je ne suis qu’un petit homme, tu m’as appris la souplesse, l’équilibre. J’ai longtemps cru que l’addition resterait trop salée mais j’ai fait le chemin à l’envers. Peut-être que dans l’invisible tu me tenais la main.

Depuis je croque la vie à pleines dents. J’ai repris goût à la vie. J’ai remis l’amour à sa juste place, sans attendre de l’autre ce qu’il ne peut m’offrir. Moi-même qui suis-je pour prétendre t’offrir ce que je n’ai pas. La vengeance acide qui détruit le cœur une seconde fois a disparue et je n’en veux plus.

J’ai parfois ce sourire quand je contemple ton image en ma mémoire. Pardon je n’ai pas su t’aimer.

J’ai cru que nous étions ennemis.

Eric

L’odeur des baisers enfouis

Dans sa démarche accélérée, elle trimbalait derrière elle toutes les odeurs de sa journée. Huit heures dans ce rez-de-chaussée des Galeries Lafayette. Il y avait bien sûr tous ces parfums qu’elle avait fait essayer aux clientes indécises. Elle avait agité du bout de ses doigts des centaines de rubans de papiers et l’odeur s’était incrustée jusque sous ses ongles. Chacun de ses pores en était gorgée et sa chevelure épaisse en avait été l’éponge.

Peut-être que sous les grands parfums, en cherchant bien, on aurait pu sentir le scotch, les étiquettes, les rubans, le papier-cadeau, les cartes bancaires et celles de fidélité.

Dans sa gorge se tapissaient les cafés serrés qu’elle avait avalés sur ses courtes pauses. Et certainement, un peu plus bas, ce verre de Côtes du Rhône, partagé avec Paul au déjeuner. Ce verre qui lui avait chauffé les joues. Ces mots à lui qui l’avaient désorientée, à faire trembler un peu l’encre du rimmel qui zigzaguait sur ses joues et jusqu’aux lèvres. L’odeur arrondie du rouge à lèvre avait résisté à celle des parfums. C’est de cette odeur, peut-être, qu’elle se sentait le plus proche ce soir en traversant la ville grouillante. L’odeur rassurante qui cherchait à redessiner son sourire avant de repartir, l’odeur peut être des baisers enfouis de sa mère.

Stéphanie

Instinct de pluie

Cette journée d’avril pluvieuse, je me suis perdue dans cette mythique forêt de Brocéliande, attirée par ce lieu incontournable de Bretagne.

Je n’avais pas prévu, incorrigible optimiste que je suis, que la pluie viendrait gâcher mes envies bucoliques.

Une averse de pluie fine et permanente, eut raison de ma tenue non-adaptée pour de tels aléas climatiques.

Je fus très vite trempée de la tête aux pieds et je me mis à la recherche d’un abri, d’autant plus que la visibilité n’était plus très bonne car j’avais oublié mes lunettes de vue dans la voiture.

Je vivais ma décrépitude, ma fragilité face aux éléments naturels. D’ailleurs, j’avais froid dans les os.

Je marchais depuis au moins soixante longues minutes, lorsque je fus attirée par une odeur sauvage : mes narines se contractèrent.

Il s’agissait d’une odeur d’animal mouillé, autre que la mienne, qui me faisait  penser à celle de mon chat qui gratte à la fenêtre les jours de pluie.

Cette odeur m’incommodait, elle m’insécurisait.

Je m’approchais doucement en passant près de la rivière et j’aperçus vaguement des taches rousses. Il s’agissait probablement d’une famille de renards qui venait s’abreuver. Ils prirent immédiatement la poudre d’escampette car le craquement de la branche de sapin sur laquelle je marchais malencontreusement, les alerta d’une intrusion imminente.

Viviane

Le goût des histoires – Portraits savoureux

Thé froid

Ce thé ne l’avait pas réchauffée. Elle en était blasée.

D’ailleurs, à y repenser, elle l’avait bu froid. Il était pourtant le seul qu’elle avait toujours aimé, raffiné, aux extraits subtils de bergamote. Le seul qu’elle n’avait jamais bu. Plusieurs fois par jour, depuis toujours, incarné.

Mais ce jour-là, il avait tiédi dans sa tasse jusqu’à refroidir comme les murs de cette cuisine. Comme les vitres mal isolées qu’elle fixait pour éviter de croiser son regard.

La bergamote ne passait plus et restait coincée quelque part dans sa gorge. Jusqu’à ce qu’elle lui remonte par nausées. C’était le thé de trop, la tasse de trop. Une rengaine insupportable. Un refrain qui tournait dans le vide, abandonné de ces couplets.  Un écho que plus rien n’illuminerait.

Ce goût qui l’enfermait tout comme ce décor déplumé.

Ce thé qui n’accueillerait plus ni madeleine ni espoir. Qui freinerait tout projet.

Entre ses mains cette tasse sans plus aucune chaleur lui révélait ses manques et marquerait un tournant. Non, une fuite, un besoin irrésistible de partir, maintenant. La reposer dans l’évier et partir.

Elle ressentait soudain l’urgence d’aller vers un ailleurs. D’ouvrir l’intérieur de ses joues à de nouveaux goûts, qui pourraient la porter, et pourquoi pas, l’envoler. Lui faire de ses promesses plus chaudes, plus épicées, réveillant ses papilles et tous les possibles.

Stéphanie

J’étais installé ce matin-là au café du petit port de Roscoff.

Assis sur une banquette vert d’eau délavée, j’observais cette femme auburn,
la quarantaine, installée en face de moi.

Sa façon de boire son café m’a intrigué.

Elle portait la tasse à sa bouche et délicatement buvait quelques gouttes de
cet arabica du Brésil.

Elle humait sa tasse, plusieurs fois de suite, son petit doigt levé.

Dans ses yeux bleu-gris couleur mer d’Iroise, s’immisçait une interrogation.

QUE faisait-elle ?

Critique gastronomique experte en café ????

Soudain, dans ses yeux, une émotion, une larme.

Comment un café de comptoir peut-il provoquer une telle émotion ?

Je suis de plus en plus intrigué et curieux comme une fouine, j’observe son
visage à la loupe : bouche pulpeuse, fossette au menton, ride du lion sur le
front, teint halé par le soleil voilé de Bretagne.

Seule, élégante, elle me paraît hors du temps, hors de tout.

Tout à coup, je vois son visage s’illuminer et la joie se présenter à la
porte de ses lèvres, elle sourit, puis rit.

Étrange….

Je l’approche et je lui parle, impatient de la connaître, de regarder ses
grands cils de plus près et de plonger dans les abysses de ses pensées.

Je lui dit : « ce café à l’air délicieux, j’ai l’impression que c’est
un vrai nectar pour vous !? »

Oui me dit-elle doucement : « il
est revenu »

Qui ?

« Le goût ! J’avais perdu le goût et tout était devenu insipide, plus
rien n’avait de sens.

Ce matin, je me reconnecte avec moi-même grâce à CE merveilleux café, amer
et rond à la fois, avec une pointe de noisette, le plus suave de toute ma vie. »

Viviane

TRANSFORMATION

Elle déguste sa paella les yeux fermés, bouchée après bouchée, lentement, avec une concentration extrême : je ne l’avais jamais vue ainsi, assise, prenant le temps : Maria Lucia d’Esperanza est une jeune fille fougueuse, sensuelle, aimant les trépidations de la vie.

L’assiette est vide. Minutieusement, elle caresse l’assiette avec son doigt et le lèche en fermant les yeux. Pas un grain de riz, pas une goutte de cette sauce si douce et parfumée ne résistent à cette traque . Elle laisse alors échapper un soupir de contentement d’une incroyable sensualité : Mmmm.

Soudain, Maria Lucia se lève et déclare d’une voix péremptoire : « je veux devenir cuisinière et rendre les gens heureux comme je le suis à cet instant ».

Lisbeth

L’ouïe à l’écoute du dialogue

Autour de mon arbre… cueillette de bruits

 

EXPLORATION NOMADE D’UN LIEU TRANSFORME

Acrostiches autour des thèmes « NOMADE » et « EXIL »

Nu dans la Nuit

Ose ce saut, au-dessus des

Mers, vers un

Ailleurs

Danse, flotte, suis ton

Envol

Echappée de cette

riXe

Irréelle, tu aperçois au loin une

Lueur

Stéphanie

Nulle part pour aller ?

Omniprésentes les ombres.

Mon pays m’a expulsé, m’a

Arraché de mes racines.

Destin inconnu d’

Expatrié. D’un monde du passé je m’

Eloigne. Je cherche la planète

X où une nouvelle

Identité se construira dans

L’amour.

Sabé

Et soudain je devins

Xénos

Intrusif et mal venu

L’étranger

Pascal

DEHORS/ DEDANS – exploration nomade d’un lieu transformé

Une immense façade en verre, non je ne suis pas devant le Parlement européen à Strasbourg, mais devant la Brasserie Kronenbourg. Les baies sont très hautes, je ne vais pas pouvoir les escalader, malgré mon prestigieux passé d’excellente grimpeuse. Elles sont lisses, pas de prises. Je suis exilée, les frontières sont infranchissables pour accéder à l’intérieur, quelle horreur ce sentiment ! Pourtant ici j’ai des milliers de souvenirs, c’est mon quartier depuis 50 ans et avec mes élèves chaque année nous étions accueillis pour une visite de la fabrication de la bière, dans les bureaux administratifs, au  musée. Ce dehors de bâtiment est un miroir où se reflète ce nouvel écoquartier, des façades rouges, jaunes, très modernes, où un beau soleil réchauffe le cœur et l’esprit. Je colle mon nez à la vitre et découvre les cuves en cuivre, elles ont gardé leur volume très généreux et leur couleur or, ce sont des dunes de sable au milieu des tables des consommateurs, peut-être des louis d’or dans la caverne d’Ali Baba. Je découvre aussi les serveurs, des magiciens qui déambulent entre les « baquets » renversés aux longues encolures dorées qui atteignent le plafond. Une nouvelle aventure pour la  Brasserie qui depuis 1664 invente, crée, produit et se transforme en café du commerce. C’est le sort des entreprises industrielles qui doivent s’exiler. Objets inanimés avez-vous donc une âme de nomade et supportez-vous les grandes transformations ? Je vous le souhaite.  

Elisa

Cet homme de profil me rappelle quelqu’un.

Un souvenir enfui dans quelque grenier de ma mémoire et qui peine à revenir à moi.

Isolé dans ce bar qui grouille de silhouettes agitées, il est le calme parmi elles.

Et un doux tourbillon en moi.

Qui me berce et me protège de cette pluie fine qui perle sur mes bras.

Vais-je entrer dans ce bar ?

Il m’intrigue, me paralyse.

Je voudrais savoir d’où il vient et ce qu’il traverse.

Quelle est sa vie, quels sont ses tourments qui me semblent, sans les connaître, si fusionnels aux miens.

Dos au zinc, dans des mouvements ralentis, il porte son verre à ses lèvres.

Ses gestes semblent flotter en parfaite harmonie avec mes pensées.

Son verre se vide à petites gorgées

Et je peux suivre dans sa gorge le goût du houblon

Qu’il serait doux de se diluer dans cette bière

Se délecter sans manière de son amertume

Se fondre sous la mousse

Plonger parmi les bulles

C’est au moment où il se lève que nos regards se croisent

Et que tout me revient. Enfin.

Oserais-je entrer dans ce bar ?

Stéphanie

                                               Les trois brasseurs

Arp arriva vers dix heures. De l’ancienne friche industrielle qu’il avait connue, il ne restait que la maison du directeur sise à l’entrée le long de la voie ferrée. Bâtiment plus original que beau avec néanmoins une frise de colombages sous le toit, des trèfles de tuiles noires sur la couverture et de belles proportions. Un écoquartier avait pris place sur ce haut lieu de l’industrie brassicole alsacienne. Une large tranchée traversait et aérait cet ensemble d’immeubles cubiques aux proportions relativement modestes. Une mosaïque d’espaces engazonnés bordée de petits enclos ludiques pour les enfants et parsemée de bancs invitait à la promenade et au bavardage. Le traitement très varié des façades effaçait l’uniformité des bâtiments, un beau panachage de matériaux, de belles couleurs, des traitements graphiques permettaient aux uns de se différencier des autres sans concurrence outrancière. Une volonté de métissage émanait des lieux. C’était assez réussi, fait suffisamment rare à Strasbourg où l’on ne compte plus le nombre de catastrophes architecturales contemporaines pour être relevé. Le navire-amiral de cette flottille urbaine était assurément celui des « TROIS BRASSEURS » qui avait su conserver avec bonheur son identité manufacturière. D’immenses baies vitrées sur deux niveaux encerclaient l’ancienne salle de brassage et laissaient entrevoir trois gigantesques brassins de cuivre dont la cheminée filait vers le haut sur environ sept mètres, le mobilier bois et métal sans fioritures reflétait parfaitement l’ambiance rude et prolétaire des héros de la working class qui se battirent avec leur labeur sous le joug du patronat local.

 Par une porte dérobée il accéda rapidement au sous-sol labyrinthique de l’endroit. Une crypte de béton aux piliers nus avec trois énormes stalactites mammaires ventousés au plafond. Loin de la flamboyance rutilante du métal lustré, la partie immergée de l’iceberg baignait dans l’ambiance rude, froide et dépouillée d’une ruine post-soviétique.

Son contact n’était pas au rendez-vous.

L’inhospitalité de la cave l’incita à remonter à l’air libre au bout de cinq petites minutes. Il serait préférable de paresser sur un banc au soleil de la fraîcheur revigorante du matin.

Yacine accoudé au zinc, observait mi- amusé mi- intrigué, cet homme qui arpentait le quartier depuis une vingtaine de minutes. Arrivé à pas lent et mesurés il avait remonté l’allée scrutant les moindres détails, puis il était monté sur la butte pour faire un visuel à trois cent soixante degrés. Qui était-il ? Peut-être était-il en repérage pour le cinéma, son attitude pouvait le laisser croire. Mais sa mise sobre et bien coupée dans les tons anthracite ne correspondait pas à la profession. La seule touche de fantaisie apparente était ce cahier de collégien, avec l’empire state building baignant dans une atmosphère mauve et rosée sur la couverture, qu’il avait coincé sous son bras droit. Une serviette de cuir noir eut mieux convenu. Il attendait maintenant tranquillement assis, les yeux mi-clos, savourant les rayons de ce jeune soleil d’avril. N’ayant pas pu le rencontrer au sous-sol comme convenu, il avait laissé l’homme s’imprégner de l’ambiance générale, il était temps maintenant de l’inviter à le rejoindre.

Un klaxon de taco tira Arp de sa douce torpeur. Il tira son portable de la poche et afficha le message : « désolé pour le retard, je vous attends au bar ». Il se leva en prenant une grande goulée d’air frais et s’étirant discrètement il avança vers la double porte vitrée. L’intérieur tenait ses promesses. Le look techno-vintage de cette cathédrale industrielle avec ses tubulures, ses manomètres, ses hublots et ses manettes lui plut immédiatement, ça sentait le travail, une de mes valeurs essentielles. Un gaillard s’avançait la main tendue :

– Yacine

– Arp

Pascal

Il fait trop froid aujourd’hui. Quel métier de merde ! En plus, l’extérieur se miroite dans les vitrines, les nouvelles maisons peintes en jaune, en blanc, bleu pigeon, orange, vert tilleul ; les reflets des balcons colorés qui se superposent sur ce que je peux observer à l’intérieur. Des chaises en bois ou peintes en noir, des cuves de brassage en cuivre poli, des tables préparées pour le soir avec les verres, les couverts, … Je peux lire les grandes affiches « DÉPÔT », « BIÈRE DES HOUILLÈRES », les petits présentoirs sur les tables « 3 BRASSEURS » et « Lancement de la bière du mois le jeudi le 24 mars à partir de 18h », « Bière de printemps » … A l’intérieur, presque personne. Un garçon est en train de préparer les tables, il donne la touche finale à la décoration. Un autre plie les serviettes. Ils se parlent, ils discutent et jettent des regards discrets autour d’eux.

–  C’est qui, cet homme qui contourne la Brasserie depuis un quart d’heure déjà ?

– Je ne le connais pas. Mais je l’ai vu quelque part.

– Tu penses qu’il a trouvé quelque chose ?

– Non ! Ce n’est pas possible ! Nous avons pris toutes les précautions !

– Je ne suis pas sûr… – Détourne ton regard ! Il ne faut pas lui donner encore plus d’indices …

Sabé

EXIL – Dans la peau d’un exilé – Fragments

Lecture infusion – écoute d’un extrait de « Ce matin, la neige » de Françoise du Chaxel, lu par la comédienne Marie Seux

           UN EXIL

                  CE MATIN LA NEIGE, ALORS QUE LE PRINTEMPS EST PROCHE…

Ces paroles tirées d’un livre trouvé sur un banc raisonnaient en moi.

On les, sent ces flocons, par cette humidité qui vous transperce les os.

Je ne sais rien de cette ville, de ce pays, de ce sous-sol glacé où nous sommes cachés.

Il n’y a pas si longtemps, le soleil d’ALEP réchauffait mon corps. Tout est allé si vite ! j’ai du mal à suivre le fil, dans quel dédale ai-je été précipité ? par qui ? dans quel but ? je ne comprends rien… et je reste là prostré, grelotant et hébété. Ma vie d’avant était si belle et insouciante, fils de bonne famille, fêtards impénitents nous nous moquions des BÂASISTES et des barbus, tous dans le même sac, nous raillions ces culs serrés qui rampaient devant leur Dieu respectif, à nous l’amour et la douceur sucrée des interdits.

Mal nous en prit !

Nos rires ont réveillé la colère de l’enfer ! Un déluge de feu s’est abattu sur notre Eden, puis des ombres sanguinaires ont surgi de nulle part massacrant tout sur leur passage. Nous avons fui devant ce déchaînement infernal laissant derrière nous des morts par milliers.

Puis, le déracinement, le jour caché dans les buissons sous un soleil de plomb, affamé, assoiffé. La nuit, ombre de l’ombre rasant les murs, glanant ici et là une maigre pitance, plaqué au sol au moindre bruit la peur au ventre. Ma lente reptation vers un avenir, meilleur ? Arrivé sur la côte, l’ambiance n’était pas aux rires et aux bains de soleil. Je détallais comme les crabes entre les rochers, me cachant dans d’humides anfractuosités, les mains crispées sur le ventre protégeant mon maigre pécule. Je me méfiais de tout et de tous, seul à la merci des hyènes, la nature avait repris son impitoyable brutalité et j’étais la proie. Arrivèrent les passeurs, ignobles maquignons s’engraissant de nos misères. Délestés de nos derniers deniers et privés de nos identités nous fûmes poussés à l’eau sur des embarcations de fortune, j’ai fini par échouer ici, mélangé à d’autres désespérés dont je ne comprends ni la langue ni les motivations. D’ailleurs ils m’indiffèrent, la peur reste ma seule compagne même dans cette apparente sécurité. Seuls les enfants semblent heureux, ils jouent, chantent et dansent comme si tout ça n’avait été qu’un mauvais rêve. Ils nous montrent la seule issue possible, mais nous restons ancrés dans notre marasme mortifère incapables de réagir.

Une odeur familière et rassurante flotte jusqu’à moi. C’est le fumet des légumes jetés pêle-mêle dans la marmite.

Ça sent les moyens du bord. On n’a pas grand-chose mais le résultat est beau. Du travail, de l’amour, une pincée d’épices, de sel et de la chaleur, ça réchauffe les mains, ça réchauffe le corps, ça réchauffe le cœur, d’aucuns la veulent populaire, moi je la ressens solidaire. Ce n’est pas grand-chose, mais c’est tout ! ça sent la simplicité, le partage et l’espoir…

                                                                        Ça sent la soupe.

Pascal

Ce matin la neige, alors que le printemps est proche

Ce matin la neige, m’a saisie à la gorge

Elle n’avait plus rien de son habituelle douceur

Et tombait en écho au tocsin, dispersant au sol, ses flocons de peur

Je ne pouvais y croire

Ce défilé de femmes tirant leurs enfants encore endormis au loin sur le boulevard

Blanc puis boueux sous les chaussures trop vite enfilées.

Ce réveil en sursaut me glace

L’air pique trop violemment mes joues, le contour de mes yeux et s’introduit jusqu’au creux de mes organes

Mais soudain, dans des mouvements précipités, je referme les volets puis la fenêtre.

Je dévale les escaliers jusqu’à la cave.

Et si je restais là ?

Mon regard balaye les bocaux de haricots, les sacs de pommes de terre, les bouteilles et les fûts de bière.

Je voudrais d’un seul jet m’en saouler.

Boire un verre de bière

Avec quelques militaires

C’est ce que je faisais hier

Eux resteront là

Alors, pourquoi pas moi ?

Je remonte au grenier,

Traverse ma maison en diagonale

A la recherche d’un cocon qui me protégerait de cette guerre

Un nid de soie ou un abri de paille

Qui viendrait faire taire en moi ces tremblements

Qui me tiendrait recluse de ce décor hostile

Et m’éviterait le douloureux exil

***

Je me sens si étrangère

Je les sens si étrangers autour de moi

Ces mains qui portent des verres

Ces regards au moment où les chopes s’entrechoquent

donnent à ce liquide ambré un autre goût

Celui d’un triste exil

D’un printemps qui est tout sauf le printemps

De mon sourire muet,

D’une musique en moi qui a perdu son allegro

Du manque. Immense.

Même la solitude autrefois douce n’a plus rien d’une évasion

Moi qui croyais aux mots, voilà qu’ils me tournent le dos.

Partir et s’enfuir rimaient hier, avec le rêve, le voyage et le beau

Tristes verbes aujourd’hui, qui m’évoquent la perte.

Leur poésie est perdue et je la vis comme un deuil

Les miroirs ne s’emportent pas

Stéphanie

« Ce matin la neige, alors que le printemps est proche, ce matin la neige … »

Elle n’est pas du tout favorable à mon départ. On verra mes empreintes devant la porte de la cave. Mais avec ce groupe bizarre qui est passé tôt ce matin, il y en aura de nombreuses …

Qui suis-je ? Arrivé au bout de mes rêves – patron de la Brasserie. Arraché d’ici je me sens éventré. Je ressemble à ces sculptures de Bruno Catalano. Ces hommes sans tronc, les bras portant des valises, leur unique support. Oui, j’ai mes couteaux de chef cuisinier dans ma valise, mais vais-je pouvoir les utiliser là où je vais ? Si jamais j’y arrive. Un homme avec des couteaux dans ses bagages – qu’est-ce que cela donne si je devais être contrôlé ? Puis mon restaurant. Que deviendra-t-il ? Et cet homme qui nous espionne depuis quelques semaines ? J’ai confié ma Brasserie à mon neveu qui j’ai pu employer pour le service. Lui et son collègue, ils vont essayer de tenir la baraque. Mais pour combien de temps ? Le printemps est proche, ce matin la neige …

La neige a fondu, la ville a disparue derrière moi, à l’horizon tous ces paysages défilaient…

– Euh…

–  Albert, ça va ?

– Oui, ça va. Excuse-moi. J’étais perdu dans mes souvenirs. Tu vois, ma Brasserie, mon neveu, ce périple secret…  Et ici, jamais de neige, le printemps qui ressemble beaucoup plus à l’été. Merci pour ton accueil, mon frère. Merci pour la sangria ! Pour moi, elle est étrange. Non comparable à la bière. Mais j’aime bien sa couleur rouge. Quel mélange de soleil attrapé et de souvenir de souffrances. Son goût sucré – et la touche d’âcreté qui s’y cache. A la tienne, mon cher ! 

BONUS

Prolongation de l’atelier nomade sur l’exil avec le cercle de la FULS (animateurs d’ateliers d’écriture)

EXIL

Ce matin la neige

Alors que le printemps est proche

Ce matin la neige…

Nous sommes le 15 mars.

Je suis arrivée ici il y a trois mois.

Trois mois d’hiver, et la neige, presque pas,

Mais ce matin !

Évidement je ne suis pas assez couverte. Pourtant il y a eu la femme en rouge qui a apporté des vêtements.

Elle a dit : « des petites choses que je ne porte plus, mais je suis sûre que tu seras jolie comme un cœur dans cette petite robe… »

Elle aime bien le mot « petit »

Mais c’est trop petit pour la neige

J’ai froid. Mes doigts s’engourdissent et la « petite » robe laisse l’air froid me saisir comme un étau.

Jacques a dit qu’avec le réchauffement climatique il n’y a plus de neige.

Mes fesses !

C’est pas lui qui est là, à pas pouvoir se réchauffer

Ni dedans.

Ni dedans où c’est plein de courants d’air.

Ni dedans c’est trop grand.

Ni dedans où le petit matelas qui me sert de chez moi ne m’isole pas assez du sol glacial du gymnase.

Solution d’urgence à dit Jacques avec un sourire un peu désolé : « c’est pour pas que tu passes l’hiver dehors ».

L’urgence qui dure ; Ni dehors, ni dedans.

Quand je suis partie, je croyais pas que ce serait si dur, je croyais pas que j’éprouverais tant de regrets ; je croyais que je rencontrerais la nostalgie, et que peut-être on ferait amie-amie, mais le regret, vu ce que j’ai fui, vraiment, je ne l’avait pas imaginé si fort, ni si puissant, ni si fort.

Je vois Jacques qui s’approche, il porte les sacs de nourriture : ça n’a pas l’air très lourd…

Et puis il me sourit, un peu désolé, c’est pas bon signe…

Ce matin la neige, et maintenant Jacques et son masque des mauvaises nouvelles.

Marga me regarde et chuchote : « Heureusement que le printemps est proche… »

Marie-Julie

Ce matin, la neige, alors que le printemps est proche. Ce matin la neige. Étrangère à ma vie comme je l’étais à ce pays il y a si longtemps de cela. Il paraît qu’il faut attendre quatre ans pour engranger ses premiers souvenirs. Pourtant moi, je me souviens, de ces jours et de ces nuits sur les routes sèches et poussiéreuses, dans le refuge des bras de mon père.

Un jeu les premiers jours, loin du linge blanc qui couvrait ma mère, au fond du jardin, quand le calme était revenu. Je me souviens du calme.

Ce matin la neige, sons assourdis et l’image qui remonte du tréfonds, le linge blanc sur le corps de ma mère, là au fond du jardin, les catleyas qui sentaient fort, de cette odeur détestable à présent, qui fait rejaillir du plus loin de mon corps, le goût du sang dans ma bouche.

Mon père, plus que lui avec moi sur la route. Il est mort à présent, tranquillement, un après-midi dans le petit sommeil de la sieste, absent à la télé qu’il regardait sans cesse. J’ai poussé la porte, le son était si fort et il était là, assis dans son fauteuil, paisible. J’ai d’abord refermé la porte et tout est remonté, les jours et les nuits sur les routes, ses bras solides qui me tiennent contre son corps, les mots d’apaisement qu’il murmure, pour moi, ou pour lui, je ne sais pas, j’ai dans le nez l’odeur de sa sueur, et dans son cou, une veine qui se contracte.

Je n’ai pas faim, je ne pleure pas ma mère, comme si ce trop grand chagrin ne pouvait pas prendre sa place, là sur les routes, les jours et les nuits.

Plus tard, quand nous aurons pris l’avion, atterri dans ce pays encore froid de l’hiver, je pleurerai toutes les nuits, et tous les jours, pendant des semaines. Et mon père abattu se murera dans un silence qu’il apprivoisera si bien qu’il ne le quittera plus.

Ce matin, la neige, alors que le printemps est proche. Entre chien et loup, mi-figue mi-raisin, ces expressions me viennent, mystérieuses pour le garçonnet que j’étais alors, faisant ses premiers pas à l’école, entouré d’enfants blancs et blonds qui me dévisageaient, moi le petit pruneau comme ils m’appelleraient ensuite, plus ou moins affectueusement.

Nadine

L’exil

Jeudi 15 mars 1954

Ce matin la neige

Alors que le printemps est proche

Ce matin la neige

Alors que chez nous on sort déjà les chaises le soir

Ce matin la neige

Je n’ai jamais eu si froid

Même les Français le disent

Ils disent que cet hiver 54 est une année terrible

Une année comme jamais on a eu.
Même les Français ont froid.

Ce matin la neige

Guiseppe est parti avec son gros manteau

avec sa truelle et sa taloche

Il est manœuvre

Il est payé à la journée

Alors qu’il était maçon au pays

Il n’est bon qu’à obéir ici.


Ce matin la neige

Et la fille à l’école

Au moins elle sera au chaud

Au moins elle aura à manger

Ce matin la neige

Comment pourra-t-on vivre ici ?

Samedi 15 mars

La neige a fondu

Elle n’a pas tenu

Le froid sans neige est pire

Ça existe le froid plus froid que le froid sans neige ?

Dimanche 16 mars

Le curé a dit ce matin qu’il fallait penser aux pauvres, qu’on devait aider les miséreux

Et nous, qui pense à nous ?
Qui écoute les miséreux ?

Le Dieu des immigrés, il ne doit pas exister

Il nous aurait vu sinon, non ?

On est invisibles

C’est pire que de détourner le regard.

On est orphelin ici ;

Qui nous protège quand on est orphelin ?

Les dames de la paroisse nous ont apporté des couvertures

Elles disent qu’il faut remercier l’abbé Pierre

Je ne connais pas l’abbé Pierre

Mais merci quand même l’abbé Pierre

C’est peut-être lui le Dieu des immigrés et des moins que rien.

Jeudi 20 mars

Guiseppe n’a pas eu sa paye hier, ni avant-hier, ni le jour d’avant.

Il ne reste pas grand-chose à manger

Demain à l’école ça ira mieux.

Me regarde pas comme ça ma fille

Me regarde pas comme si je ne te voyais pas me regarder.

Fabienne

Ce matin, la neige, alors que le printemps est proche, ce matin la neige. De la neige chaude. Des cendres, pour tout dire. Poutine a bombardé l’Europe. Et Biden en a remis une couche. Me voilà sur une île italienne. Il fait trop chaud. J’ai laissé mes enfants, ma femme, mon travail. J’ai pu monter dans un avion, un biplace, nous étions 3 au dernier moment. Je dois aider ces familles, qui fuient toutes vers l’Afrique et l’Asie centrale. Je me suis mis à croire en Dieu, alors que les bombes nucléaires sont tombées sur nos églises, basiliques et cathédrales. Je bénis le moindre de ces habitants que nous croisons. Oui, c’est nous, le réchauffement climatique, oui c’est nous, la colonisation, oui, c’est nous, l’esclavage. Oui, c’est nous, et nous avons tout perdu. Nous avons tous perdu. J’ai l’espoir infime que ma famille soit encore en vie et qu’ils me croient tous morts, car rien n’est pire que l’incertitude. J’avais une bière dans mon sac à dos. Elle est chaude, bien sûr, mais je ne la partagerai qu’avec ma femme. Pourtant, il faut se délester. Accepter que ces gens, dont on pénètre l’espace, nous tolèrent à peine. Se faire tout petit, se faufiler aux postes frontières. Oui, c’est nous, la crise économique, oui. Qu’ils nous fassent l’aumône de quelques corvées, qu’on existe à leurs yeux, contre un bol de soupe, quelques os de volaille à ronger. Accepter de rencontrer d’autres personnes, tourner la page. De toute façon, les infrastructures de téléphonie ne seront pas reconstruites sous peu. Même la Suisse s’est pris une dizaine de bombes atomiques. J’espère arriver en Lybie dans quelques jours. Il n’y aura plus les petits cottages de Normandie. C’en est terminé de ces belles échappées en forêt du Morvan. Aucune huître de Cancale ne sera décontaminée avant 50 ans. Ils ont bombardé les centrales, tant de gens ont brûlé. Oui, la Shoah, c’est nous, oui. Pardon madame, pardon monsieur. Trop de misère dans ces camps, dans ces transhumances inhumaines, où chacun vient faire son marché. Les passeurs, qui sont des ordures, et puis ces sales types qui viennent chercher des gamines de 16 ans, pour les rendre accro aux opioïdes. Les flics corrompus, les voleurs, les tueurs. Me too, c’est nous. C’est très moche. Il faut se défendre de ne pas devenir un monstre. Oui, c’est nous, les monstres, c’est nous qui avons demandé à toutes vos sœurs de nettoyer nos chiottes sur deux générations. Oui, c’est nous, et malgré tout, sans le vouloir, nous menons là notre ultime invasion.

Brice

EXIL

30 kilos de bagages.

Si peu de temps pour décider de ce que je laisse et de ce que j’emporte.

30 kilos de bagages pour continuer à vivre.

//

Les souvenirs, dans ma tête, sont mes passagers clandestins. Ils ne pèsent rien, je peux tous les emmener.

//

Aujourd’hui la balance indique 58kg. A peine des bagages pour deux.

J’ai maigri. Des souvenirs en moins ?

//

Ce matin la neige.

On me dit que le printemps est proche, que ce n’est pas tout à fait normal la neige ce matin. Ce n’est pas tout à fait normal que je sois là ce matin pour assister à cette neige.

//

Rentrerais-je avec 30 kg de bagages ?

Rentrerais-je avec 30 kg de bagages un jour de neige ?

Rentrerais-je ?

Charlotte

AU MENU DU BISTROT SAINT-FLORENT :

Du piquant au palais des saveurs

Sur cette page nous avons mis en place une possibilité d’écoute de chaque texte en audio avec des voix synthétiques pour les personnes malvoyantes. Nous espérons pouvoir les remplacer à terme par l’enregistrement de nos voix nomades.

En amuse-bouche… quelques pincées de souvenirs épicés

Mauricius

Je me souviens de ce voyage à Maurice et de notre visite au marché de Port Louis. Notre hôte, en pleine forme et plein de sourires, nous accueille à l’aéroport et nous emmène directement en balade au marché aux fruits et légumes. La fatigue du voyage m’empêche de réfléchir et je me laisse porter par les évènements. Mon cerveau est en panne et mes sens sont en éveil.

Je suis en pilotage automatique.

Les étals du marché regorgent de fruits exotiques mais aussi d’épices de toutes les couleurs. Mes yeux sont surtout attirés par les couleurs : curry jaune soleil, paprika rouge vif, curcuma orangé éclatant, poudre de gingembre pâle. Ces épices trônent devant moi et forment des dunes dans un désert multicolore odorant. Je ferme les yeux non plus de fatigue mais pour reprendre de l’énergie à leur contact.

Je découvre des épices inconnues, promesses de saveurs nouvelles. Mon cerveau se reconnecte alors grâce à mes sens. J’observe les négociations qui ont lieu entre la vendeuse en sari et notre hôte.

Après le stand d’épices, Mr Sourire se dirige vers les stands de légumes. Il achète un chou chinois.  Je ris à l’image que cela m’évoque.

Nous poursuivons pour nous arrêter à un stand de fruits. Avec gentillesse, la vendeuse me propose une très fine tranche d’ananas Victoria. Mon palais se délecte de cette saveur sucrée et puissante.

Je n’en avais jamais mangé d’aussi bon !

Viviane

Les petits fours de Noël

Je me souviens des préparatifs de Noël. La fièvre qui s’empare de moi, me saisit.

Je dresse des listes. D’abord celle de tous ceux que je veux faire. Puis celle de tous les ingrédients nécessaires sans oublier les épices qui feront toute la différence.

Pour me mettre dans l’ambiance, je commence par les Schwowebredle : beurre en crème, farine tamisée, sucre fin, œuf, poudre d’amande fine et, bien sûr, cannelle chaude et odorante.

Pétrir à deux mains, amoureusement, ce mélange. Rassembler en boule. Caresser de farine. Laisser reposer tout en dégustant un thé aux épices de Noël. Puis, la valse des emporte-pièces commence. Pour couronner le tout, battre un beau jaune d’œuf et l’appliquer sur les découpes d’un coup de pinceau souple et caressant. Cuire au four en surveillant bien la cuisson. Toute la maisonnée baigne alors dans un parfum subtil. Quand ils sont dorés, les disposer délicatement sur une grille. Ne pas oublier d’en goûter un, puis deux, puis trois. Stop ! Sinon il n’en restera plus.

Élisabeth

OVNI gustatif

Je me souviens de cette boisson qui n’était pas du thé, mais de l’eau chaude avec du citron et du gingembre. Revigorante et douce, boisson qui m’a semblé un OVNI gustatif. Ni thé, ni grog, pourquoi ce qu’on ignore parfois, nous semble tout à coup inédit ?

Et l’on s’étonne déjà de ne pas avoir connu plus tôt cette saveur, comme un amour qui arriverait tard dans une vie, en nous demandant par quel hasard on n’a pas connu cette personne plus tôt, qu’il nous semble connaître depuis la nuit des temps…

Jacques

Le plat de résistance pour régaler les papilles

Le pot-au-feu d’un débutant

Je ne cuisine pas souvent. Pourtant, j’aime manger de bonnes choses. C’est par exemple agréable de cuisiner pour quelqu’un (ou quelqu’une).

Il y a ce plat tout simple que j’aime faire : le pot-au-feu.

Pas compliqué. Éplucher des légumes, ou les couper en quartiers, et on épluche toujours un peu différemment une patate, un navet, ou une carotte.

Impression d’un dialogue personnalisé avec chacun des légumes. Et puis la viande : 500 grammes de viande ! Un régal, pour un fils de boucher comme moi !

La dernière fois que j’ai concocté ce plat, j’ai été inquiet essentiellement pour la cuisson.

« Frémir » ? Est-ce le mot ? Ou « frissonner » ? Le mot m’échappe.

Alors « frémir » sur une plaque à induction, c’est quoi ? Sur 4 ? Sur 6 ? (c’est gradué jusqu’à 9).

Sentiment que lorsqu’on a de bons ingrédients, et qu’on cuisine avec amour, le plat est réussi à coup sûr…

Là, mon pot-au-feu était réussi.

Mais essentiellement parce que j’avais rajouté trois bouillons de poule.

Demain, j’attaque la potée lorraine…

Jacques

Un marathonien en cuisine

Cette nuit, j’ai rêvé que le conseil municipal venait dîner dans mon restaurant. Aujourd’hui, c’est l’ouverture de mon restaurant « Aux bons amis ».

J’ai déjà changé le menu de place 10 fois, rangé les instruments, couteaux planches et casseroles et poêles sur le plan de travail.

Pas de panique : quand il faut y aller, il faut y aller !

Je vais commencer par la recette de la blanquette de veau avec son risotto aux herbes fraîches.

Celle-ci me replonge dans mon enfance et je me souviens alors de ma grand-mère qui me demandait de mettre un tablier blanc qu’elle me nouait sur le devant.

L’habit ne fait pas le moine mais le costume aide à rentrer dans le rôle.

TABLIER, maestro !

Je vais chercher la viande que j’ai placée dans la vieille armoire frigorifique, ainsi que les oignons de Max, les carottes de Louise et les champignons.

Tel un sportif, je regarde ma montre connectée pour entamer le grand marathon des saveurs.

J’espère bien avoir les encouragements de mes convives : allez Loïc, allez Loïc ALLEZ !

Top départ : c’est parti !

Après avoir émincé le veau, je coupe les oignons finement.

« Toujours fins les oignons, il faut toujours les couper finement », me disait ma grand-mère.

Je sors mon fait-tout en fonte bleu fétiche, celui qu’elle m’a transmis.

Après avoir versé une pluie d’huile d’olive, je fais crisser les pneus, non la viande, je veux dire rissoler la viande bien sûr. Je rappe de la muscade, j’ajoute un verre de Muscadet, HUM bien doré lui aussi !

Je sens mes champignons que je suis allé chercher hier en forêt : bolets, chanterelles vont apporter une touche boisée et personnelle à mon plat.

 Clac Clac clac je les décapite en 2.

Je laisse réduire le tout. Il flotte une odeur agréable et rassurante dans la cuisine qui me délasse. Ici et maintenant, je suis heureux.

Passons au bouillon…

Viviane

Un sacré rêve

O temps suspends ton vol…Et toi mon rêve… et quel rêve !

Cette nuit, le sommeil ne voulant pas me cueillir, je plonge dans un livre sur les bienfaits des épices. Tout à coup, je suis transporté dans un restaurant magnifiquement décoré : plantes de toutes sortes, bocaux de toutes les couleurs, verres en cristal.

Le téléphone ne fait que sonner, je note les réservations qui s’égrènent, tel un long chapelet, sur un grand registre.

– Allo, je voudrais réserver une table pour deux ce soir

– Votre nom ?

– Mozart.

– Mozart 

– Oui, Mozart.

La fièvre s’empare alors de moi. Quel plat vais-je bien pouvoir proposer ? Quelles boissons ? Quel dessert ?

Vite, je me précipite dans ma cuisine, récure mon piano, mes ustensiles. Tout est prêt.

Mozart et son épouse arrivent enfin. Je suis tendu comme une corde de violon, non, de clavecin plutôt.

Je les installe à leur table et prends leur commande.

– Nous désirons une pizza Flûte enchantée accompagnée de ce lambrusco à la robe rouge et vaporeuse

Presto je file dans la cuisine.

Prestissimo la pâte saute, s’envole, se farine, s’étale.

Les tomates rouges et juteuses, les poivrons tricolores, les aubergines, puis la mozzarella si moelleuse valsent sur le disque de pâte.

J’enfourne. J’ajoute une dernière touche de feuilles de basilic. Vite encore un filet de cette huile d’olive couleur d’or. C’est prêt !

Je les sers enfin. Quel plaisir de les voir se régaler ! Leur perruque poudrée en saute de joie !

Mon réveil sonne.

 Fini de rêver, la journée commence ! En avant la musique Loïc !

Élisabeth

Du piquant au palais des saveurs…

DU RIFIFI EN CUISINE

A         Y a quelqu’un ?

B         Oui je suis en cuisine

A         Je peux entrer ?

B         Oui avec plaisir mais je vais continuer mes préparations.

A         Tu prépares quoi ?

B         Un plat traditionnel : la blanquette de veau façon grand-mère … de mémé

            (Sourire attendri)

A         J’aimais pas trop la blanquette de mémé mais la tienne à vraiment l’air fameuse !

B         Oui j’ai souvent des compliments des clients. Tu sais tout est dans les ingrédients,   l’assaisonnement et la cuisson. Je commande ma viande chez un éleveur dans le Jura.

            Je vais l’accompagner d’un risotto et le riz vient direct d’Italie.

B         Tu veux m’aider ?

A         Tu sais, je suis pas trop doué en cuisine.

B         Tu peux laver et couper les champignons ?

A         HUMMM, si tu veux ….

            A ne met pas de bonne volonté

            Je suis sûr que tu t’es levé à 5h00 du mat pour les chercher

            A a un sourire en coin, malicieux

B         Et bien non figures-toi ! Ils viennent de Rungis.

A         Ah oui ?!??

B         Ben ouais !!!

B         Fais attention de bien couper les champignons finement.

A         Un centimètre ou deux, cela change-t-il vraiment quelque chose ?

B         Cela change tout !

A         OK, allons-y alors pour 0,4 millimètres, cousin !

A         Aïe !

B         Qu’est ce qui se passe ?

A         Je me suis coupé !

A         Oui, j’ai manqué de concentration et je me suis fait une entaille dans le doigt.

B         Mince !!! C’est pas VRAI !

            Il y a du sang partout. On dirait un film gore !

            Tu peux pas faire un peu gaffe !

A         Je t’ai dit que j’étais pas doué en cuisine !

B         C’est le moins qu’on puisse dire !

A         Qu’est-ce que tu insinues ?

B         T’es pas doué c’est tout.

A         ça y est ça recommence !

B         Quoi ?

A         T‘en a pas marre de toujours me dénigrer ?

B         C’est un constat, c’est tout.

A         C’est tout !!!!!!!!!

            A fulmine

            Quand tu parles comme cela, j’ai juste envie de te mettre la tête dans ta casserole !!!

            A part ta cuisine, est-ce que tu t’intéresses à autre chose ?

B         Et bien non : je m’intéresse uniquement à mes tomates, mes brochets. Je souris tous les     matins à mes oignons, dès le réveil !

Je converse avec les carottes anciennes et dialogue avec les belles aubergines. Pour mieux dialoguer, je creuse deux yeux et une bouche pour sourire et je les invite à boire    le café !

A         N’importe quoi ! Tu délires ou quoi ?

B         Oui je délire complètement et je te demande de quitter ma cuisine.

A         Si je veux !

B         Non pas si tu veux, ICI c’est moi qui décide !

            B menace A avec un couteau très aiguisé.

B         Tu es venu pour quoi au juste, cher cousin ?

            (très ironique et menaçant)

A         J’étais venu te demander de t’occuper de mon repas de mariage mais laisse tomber car         tu n’es plus invité, sale con !

            B lâche le couteau et ramène A « manu militari » jusqu’à la porte de service.

Viviane

Plat de la vengeance

– Bonjour Amadeus

– Mes respects, cher ami

– Tu es arrivé plus tôt que prévu !

– Oui, mon carrosse a filé plus vite que la musique

– Installe-toi, je finis de cuisiner

– Je t’accompagne. Je veux voir ce que tu nous mijotes

– Te méfierais-tu ?

– Non, pas du tout

– J’ai encore un peu de pain sur la planche

– Mmmm, ça sent fichtrement bon. Qu’est-ce donc ?

– Papillote de truite fumée saupoudrée d’aneth et de coriandre avec sa sauce raifort-chantilly

– Mais encore ?

– Filet de bœuf Wellington accompagné de sa brassée de haricots verts piquetée d’ail et de persil

– Fichtre, tu veux m’en mettre plein la vue !

– Pousse-toi de mon piano, il faut que je prépare les sauces. Que veux-tu, c’est le coup de feu !

– Le coup de feu ?

– Allez, à table !

– Dis-donc, tu as mis les petits plats dans les grands ! Que me joues-tu là avec cette suite en La Majeur ?

– Un requiem cher ami. Goûte, mange, déguste !

– Oh, c’est divin, sublime !

– Régale-toi, régale-toi

– Oh, j’étouffe, j’étouffe, je me meurs !

– Veux-tu une petite musique de nuit avant le requiem ?

– Pourquoi cette question ?

– Eh bien, je vais te le dire : tu m’as ignominieusement trompée donc je vais te faire rendre l’âme à petit feu

– Non, par pitié, je ne le ferai plus. Pardon, pardon !

– Point de pitié, je te tue un point c’est tout

– Mais alors, c’est Mozart qu’on assassine ?

– Oui mon cher Amadeus. Adieu !

Elisabeth

Toi, moi, et nos casseroles

Elle – Salut !

Lui – Entre, je t’en prie…Désolé, j’ai pris du retard, et je n’ai rien pu acheter. À part deux sandwiches au thon… et de la bière.

Elle – Mais enfin…

Lui – Je plaisante.

Elle – Ah… ah… des légumes !

Lui – Eh oui !

Elle – C’est quoi ? Une potée ?

Lui – Assieds-toi. On va avoir tout le temps de discuter.

Elle – Ah bon ?

Lui – Oui. C’est un pot-au-feu que je veux faire. Ça doit mijoter 3h. Tiens, tu veux éplucher cet oignon ?

Elle – C’est que j’ai faim, moi. Il est 19h, on va devoir manger à 22h ?

Lui – Oui, c’est ça.

Elle – Tu me fais quoi, là ? À quoi tu joues ?

Lui – Tu peux bien attendre 3h, non ?

Elle – Je crois que je veux bien manger ton sandwich au thon.

Lui – Quelle drôle d’idée, je n’en ai pas acheté. (Un temps). Ça fait pile 3 ans qu’on se connaît.

Elle – Et alors ?

Lui – Alors attendre 3h pour un bon repas, ça me semble pas mal.

Elle – Je ne trouve pas ça drôle.

Lui – Hélène, je sais qu’il y a une troisième personne…

Elle – Tu as un bon couteau pour éplucher cet oignon ?

Lui – Bon ben…d’abord la viande…

Elle – Bouillon de poule…

Lui – Pour ma poulette…

Elle – L’idéal aurait été du maquereau !

Lui – N’importe quoi. Tu ne connais rien aux hommes…

Elle – Tu veux qu’on parle du troisième homme ?

Lui – Tu aimes le safran ?

Elle – Tu sais bien que oui…

Lui – Je vais en mettre… je pourrai peut-être aussi mettre un peu plus de sel dans ta vie. Ou du piment…

Elle – Fais ça, oui.

Lui – Et Boris ?

Elle – Tu le connais ?

Lui – Pourquoi lui ?

Elle – Il a plus de saveur que toi.

Lui – Il te fait rire ?

Elle – Non.

Lui – Il cuisine bien ?

Elle – Non.

Lui – Alors quoi ?

Elle – Il n’y a pas de Boris, il n’y a plus de Boris, il n’y a plus que toi, mon chéri…

Lui – Donc je suis un sale con ?

Elle – Tu es chou. Tu n’es pas une poire ou un dindon.

Lui – Et toi tu es ma poulette…

Fin

Jacques

Petit bonus…

COCOTTE

Reine de ma cuisine, la vieille cocotte en fonte de mon arrière-grand-mère est, faute de place, encastrée dans le plus récent wok, aux côtés d’une ribambelle de casseroles que je me plais à dédaigner. Trop lisses, trop belles, indignes.

Bien sûr elle n’est pas de tous les repas. Mais elle est de tous les repas nobles. Ceux qui réclament des heures de préparation et plus encore d’heures de cuisson. Elle est des jours de fête, elle est le lien sensoriel, elle est les femmes de la famille qui l’ont honorée pour que j’honore mes convives.

De tous temps, les femmes ont régné dans les cuisines, émincé, bardé, poché et pané, émulsionné, épicé, écumé. De tous temps, elles ont parfait des recettes ancestrales pour l’amour de leurs hôtes, pour la touche personnelle qui signifie « Vous êtes vraiment des êtres chers ».

De tous temps oui. Sauf lorsque la cuisine a été élevée au rang prestigieux d’art : l’art de la gastronomie. Alors, les femmes ont été reléguées. Cuisinières oui, cheffes non. Et pourtant, qui se souvient des merveilleux beignets aux pommes de son grand-père ou de la pintade farcie de son oncle ? Mon grand-père bricolait, peignait, racontait des histoires comme personne. Mais lorsque ma grand-mère devait s’absenter (ce qui arrivait peu), il ne savait pas même se faire cuire des nouilles !

Ma cocotte en fonte donc est un plat à elle toute seule. Les sucs d’antan y sont imprégnés, ils font corps avec la lourde masse de métal noir centenaire. Lorsque rissole le filet mignon tout enveloppé d’oignons translucides, de grains de poivre, de quatre-épices, elle me renvoie les odeurs de mon enfance. C’est mon filet, mais il dore sur le lit que lui avait concocté mon arrière-grand-mère et ma grand-mère après elle. Plus prégnantes encore sont les émanations lorsque je déglace, après que Maillard ait opéré sa fameuse réaction, d’un petit verre de vin blanc afin d’obtenir le début, le tout début de ce qui ne réclame que temps pour devenir sauce.

Reine de ma cuisine, la cocotte en fonte est une madeleine, une veille madeleine un peu séchée et moche qui retrouve son éclat aussitôt qu’elle se rend utile. Elle est l’exacte traduction du lien qui unit les femmes qui cuisinent en famille, de cette culture qui s’épanouit par les papilles et ne meurt jamais, véhiculée par un vocabulaire simple et noble. Dans la vieille cocotte mijote, depuis plus d’un siècle, l’amour dont j’ai été nourrie par les femmes qui y ont jeté tous les ingrédients des repas de famille joyeux. Les sucs de l’amour toujours restent incrustés.  Lavés, rincés, frottés, le temps les a soustraits à nos regards mais, comme nos bonnes mamies, ils continuent à jamais d’exhaler le doux parfum de l’enfance.

Nadine

La paresse au travail

JOUONS AVEC LES MOTS

Le verbier de la paresse de Sabé

LENTEUR – vitesse insolite de la paresse

DES CHOSES INUTILES – petites choses minutieusement créées pour rien

SÉRIES – invention de la télé pour aider les agités mentaux à s’asseoir sur le canapé

Verbier de la paresse de Ingrid

La Paresse est un voyage entre partir et rester

La Passion est à mi-chemin entre liberté et conditionnement

L’Adaptabilité est une transition consciente de sa puissance

Verbier de la paresse de Alexandre

Temps = Entend le présent passé au futur le temps d’un instant 

Méditation = La tentation est forte de médire sa paresse, médicalement c’est une bonne incantation 

Activité = Naître ou ne pas naître actif.ve ? Réactif à la proactivité j’acte qu’il est temps d’éviter la suractivité.

Travail de définition paresseuse… de Clarisse

Utopie : rêve tapi en soi s’envolant sur un tapis de soie volé.

Douceur, qualité caressante comme une grande sœur aimée.

Hamac : endroit où poser son âme quand elle est en vrac.

Efficacité : attention ! concept très en vogue dans la cité. Se méfier !

Réalité : devrait être systématiquement augmentée.

Objectifs : trop souvent demandés avec subjectivité. Abject !

Haïkus Travail et Paresse de Marie

Rêve

Eve, la première à croquer

Rêve, être Eve

à nouveau

Alanguie

Dans mon lit

Épuisement

Pose la question

Et puis maintenant ?

Que faire ?

Comment être ?

Apaisement

Répond à la question

ci-dessus :

La paix !

Maintenant !

Sourire

Sous le rire

Cet espace

Délicat, Discret

Accueillant

ÉCRITURE AUTOMATIQUE

La paresse au travail un nouveau concept, un nouvel art de vivre ?

La paresse pour tous

Bonjour, bienvenue dans le rôle de votre nouvelle vie :

« La paresse pour tous ».

Entrez s’il vous plaît

N’ayez pas peur

Vous avez ici des porte-manteaux pour vous délester

de vos fatigues,

peur de l’avenir,

du manque,

soucis en tous genres.

On a mis au mur des patères de différentes couleurs, choisissez celle que vous préférez.

Déchaussez-vous, chaussures et chaussettes !

Vos pieds apprécieront

la moquette,

le sable,

la boue,

la terre,

et l’eau.

Je vous attends au bout du couloir.

Voici maintenant la salle de sieste :

Lits ou reposoirs,

matelas,

canapés,

coussins gonflables, à billes, à bulles ou à balles.

Choisissez celui de l’humeur du jour ou de la nuit.

Je vous attends au bout du couloir.

Voici maintenant, la salle du bon goût :

Sucré, salé, épicé, amer, doux, dur, liquide, solide, en bocal, en théière, en cafetière, en gourde, en verre….

Reprenez-en, reprenez-vous, répandez-vous.

Je vous attends au bout du couloir.

Voici maintenant la salle commune :

Les limites, les cloisons tombent.

Vous partagez, vous entendez, vous participez à la musique collective, à l’effleurement, l’accumulation des voix.

Regardez, éprouvez, sentez et choisissez votre place.

Je vous attends au bout du couloir.

Voici maintenant la salle des individus :

Chacun son bureau, son espace, voix intime, intérieure, pas de bruit !

Silence

Lumière

Ça tourne

Clap : La paresse pour tous Scène 1/1 première !

Action

Marie

La paresse au travail

« Trouve-toi un travail » : injonction paradoxale ou pression sociale ?

J’ai travaillé dur à l’école pour exercer un travail qui me plaît. Maintenant que j’ai un travail, je travaille la semaine et comble du sort ma tête travaille le soir et le week-end.

Mais quand est-ce qu’on prend le temps de travailler sur soi et surtout pour soi ?

=> prendre son temps paraissait impotent

=> réfléchir autrement paraissait inimaginable

=> gérer ses efforts paraissait impossible 

Pourtant, ceux sont bien les opposés qui satirent

Nous pouvons donner l’impression de travailler à ceux qui paressent comme nous pouvons travailler pour laisser plus de place à la paresse.

Alexandre

Profession de foi

Paresseux, paresseuses !

Il est temps à présent de dire STOP !

Stop au harcèlement DU travail qui nous mine et sape peu à peu les fondements mêmes de nos vies, faites pour le plaisir et la douce jouissance.

Stop à l’injonction du toujours plus, à la dictature de l’efficacité, de la réussite, des objectifs.

Retournons cela comme un gant, posons-nous telles d’indolentes odalisques dans la salle de coworking, tendons nos hamacs entre deux ordinateurs, déclarons la machine à café lieu décisionnaire, décrétons l’obligation légale de courtes plages de travail facultatif entre de longues pauses de rêverie obligatoire.

Paresseux, paresseuses, il est temps à présent de dire, paraphrasant le poète :

“ Ô temps de travail, suspends ton vol de nos vies !”

Clarisse

La recherche de la reconnaissance sociale est une petite mort

Si Seulement notre travail était rémunéré à la hauteur de notre talent

Le travail est une création de soi au quotidien pour garder le lien et partager ses connaissances.

Ingrid

Lettre de motivation d’un paresseux engagé

Chère Madame, cher Monsieur,

Suite à votre annonce parue dans le journal “Le monde du travail réorganisé” je pose ma candidature pour le poste de “responsable de la réorganisation des heures de travail” au sein de votre communauté.

Vu que j’ai plus de 15 ans d’expérience en tant que chômeur de longue durée je me vois tout à fait apte à faire évoluer les agendas des employés vers une meilleure balance travail-paresse.

Ma qualification s’est construite par des expériences multiples :

  • J’ai dû vivre ma vie avec très peu d’argent et en ayant beaucoup de temps libre.
  • Être à court d’argent, était parfois compliqué pour moi, mais j’ai toujours trouvé des solutions, de temps en temps aux confins de la légalité, laquelle, si vous voulez bien me permettre de le dire, devrait aussi être revisitée.
  • Après avoir hérité une petite cabane de ma Mamie Colette (on l’appelait Colette-Chouette car elle l’était vraiment !), j’ai aménagé la maison de mes propres mains. Ensuite il n’y avait pas de dépenses terribles, juste l’entretien et quelques charges (elles aussi devraient être révisées, mais je ne pose pas encore ma candidature pour le poste de ministre de l’Économie.)
  • Mon temps libre m’a permis d’entretenir de très bonnes relations avec tout le voisinage et j’ai plusieurs amis fidèles. Certains d’entre eux et elles sont des chômeurs comme moi et partagent mes expériences. D’ailleurs, je vous propose de les embaucher également, on formera une équipe solide
  • Notre temps libre nous a permis de cultiver un jardin, pour en jouir et avoir moins de dépenses alimentaires.
  • Nous partageons une seule voiture et avons appris à très bien nous organiser pour l’utiliser.
  • J’ai beaucoup de compétences en bricolage et comme je ne sais pas tricoter, j’échange des travaux de plomberie, par exemple, contre un pull en laine fait par ma voisine de gauche.

Avec toute la créativité qui a bien évoluée au fil des années et qui m’a apporté une grande satisfaction dans ma vie je suis sûr de très bien pouvoir assurer votre poste proposé. La vie est bien possible avec moins d’heures de travail qui sont cependant correctement payées.

Pourtant, j’accepte un contrat sur 15h par semaine, pas plus. Du reste de temps, j’en ai besoin pour ma formation continue en paresse.

Veuillez agréer, Madame, Monsieur, mes sincères salutations,

                                                                                                          Paul Libèr

Sabé

MONOLOGUE INTÉRIEUR

UNE VIE HONNÊTE … POUR QUOI FAIRE ?


Pour pouvoir mener une vie honnête dans ce monde il faut avoir un
métier, mais je suis adepte de la paresse.


Oui, je pratique sans honte la paresse !


Changer de métier tout en préservant ma personnalité et mon moi intérieur. Changer de métier, oui mais lequel ?


Un métier qui me correspond, qui me transcende, qui me passionne, qui me fait vibrer, qui me donne envie de me lever le matin mais voilà je le redis et je le revendique ; la paresse est pour moi un art de vivre.


Comment donc concilier les deux ?


Le travail, certes, mais pas au détriment du reste.


Je cherche, je me questionne, me questionne de nouveau … me questionne encore, me retourne le cerveau dans tous les sens mais rien à faire je dois avouer que la paresse est une part de moi à laquelle je ne veux pas renoncer.


Trouver un métier passion ? Compliqué.
Trouver un métier alimentaire ? Sans intérêt.
Trouver un métier épanouissant ? Pourquoi pas ?
Trouver un métier juste pour trouver un métier comme tout le monde ou pour faire plaisir à mes parents ? Hors de question !

Sortir des sentiers battus et oser tout remettre en question ? En aurais-je le courage ?


Pour pouvoir mener une vie honnête dans ce monde il faut avoir un
métier …

Et pourquoi pas décider de mener une vie malhonnête sans avoir de métier mais en ayant ma vie à moi ? Rien qu’à moi …


Romain

La paresse au Travail

Cher futur Président de la République ,

Après avoir parcouru le livre de la paresse pour tous,

je m’interroge quant à l’avenir que vous nous proposez dans votre non programme.

N’est-il pas temps de vous déprogrammer pour enfin avancer et espérer ?

Tout simplement.

Lors d’un atelier d’écriture organisé par Sabine que je nomme immédiatement à la Culture, il a été établi que le mot PARESSE était et est la plus grande définition de l’action, constructive, productive et économique au mot TRAVAIL.

Je devine que vous êtes suspendu, en état d’haleine pour découvrir la suite de cette délicate écriture. Vous en salivez d’impatience, mais malheureusement le « travail » que vous avez défini m’appelle.

Ingrid

Pour pouvoir mener une vie honnête en ce monde, on doit avoir un métier.

Pour pouvoir mener une vie honnête en ce monde, on doit avoir un métier.

Me voilà donc livré à moi-même avec deux ans de chômage pour pouvoir me trouver, me retrouver, après m’être perdu dans les méandres épineux du monde du travail.

Ciao, bye bye, auf wiedersehen, jamais plus !

Je m’entends dire à mon fils : « -Tu dois trouver un travail qui te plaise, dans lequel tu peux accomplir tes passions, servir le monde, le rendre meilleur et gagner de l’argent-Quand même, on en a besoin-. »

Quelle injonction ! Je suis incapable de me l’appliquer à moi-même et il me la renvoie sans ménagement.

« -Et toi Papa, Expert-comptable, c’est ça ta passion ? »

Et merde !

« -Tu comprends pas que j’ai dû faire des concessions pour pouvoir t’élever, te payer le violon, les vacances, les colos à l’UCPA, le véto de Cookie (notre caniche). »

Évidemment, je ne peux pas lui assener ça comme ça au risque de le culpabiliser à vie et de l’envoyer dans la roue infernale des séances de psy.

Bon, revenons à mes passions d’enfant. Il paraît qu’il faut toujours en revenir à l’enfance. Fil de ferriste, je n’ai plus l’âge, j’ai passé la date de péremption.

Capitaine de navire, je ne crois pas qu’on offre des formations aux plus de cinquante ans.

Clown, Je suis déjà un clown dans ma propre vie, warum nicht ?

Musicien ? J’ai gardé mon sax, il suffirait de s’y remettre.

Clown saxophoniste, ça sonne pas mal ?

Et clown saxophoniste sur des croisières le long du Danube ?

Je pourrais aussi être clown saxophoniste en hôpital, en Ehpad, en école, pour des comités d’entreprise, des goûters d’anniversaire, des meetings politiques (Ça détendrait un peu l’atmosphère…)

En plus j’embarque mon fils et son violon et je dresse le caniche.

Une espèce de sainte trinité !

Passion, paresse, passe-temps !

Deux ans, c’est juste ce qu’il me faut !

Merci la rupture conventionnelle !

Alléluia !

Marie

Ma vie de clown

Pour pouvoir mener une vie honnête en ce monde il faut avoir un métier…

Mais si cela m’ennuie??? Je pensais à la vie de clown – et la chose la plus improbable du monde s’est produite. Mon frère cadet, gravement malade à l’époque et hospitalisé pendant des semaines, a donné à ma famille le goût de la clownerie. Il y en avait un à l’hôpital qui faisait rire les enfants – sous chimiothérapie ou après des opérations du cœur (là plus doucement à cause des douleurs dues à l’incision). Tout d’un coup, mes parents étaient d’accord avec une carrière de clown pour moi. Mais comme ils ont eu tort ! Je ne me voyais pas du tout dans un hôpital, plutôt dans le grand monde du cirque. Je n’en avais rien dit, je les ai pris au mot et je leur ai échappé. Comme ils étaient assez préoccupés par la santé de mon petit frère, ils ne se sont pas rendu compte de mon départ avec le prochain cirque qui était venu en ville – et qui est parti.

J’adorais les longs trajets d’une ville à l’autre. Sans permis de conduire, j’ai pu voir défiler les paysages, moi, somnolant sur mon siège passager, sans responsabilité aucune , …

J’ai vu les représentations de mes collègues-artistes, j’adorais !

Et puis le droit de se moquer de tout …

Mais être drôle chaque soir, à long terme, ça fatigue,  ça m’épuise même. Je n’ai pas envie de faire rigoler tout le temps, de ne jamais être pris au sérieux…

Sérieux … J’aurais dû quand même faire des études ou, au moins, cette formation de comptable qui m’était proposée. Oui, un bureau ! …  Je pensais que ce n’était pas pour moi, mais il y a du chauffage dans les bureaux, n’est-ce pas ? Puis il pleut très rarement à l’intérieur, je suppose – au contraire de notre vie sur la route, sur les prés, la plupart du temps à l’extérieur…  Et les fauteuils de bureau doivent être si confortables …

Et puis, dire aux gens: “Ces chiffres-là ne sont pas corrects ! Refaites le calcul !!!“ … Quelle autorité ! Je rêve d’avoir une autorité. …. Professeur, peut-être …

Peut-être !

Il y a des camps de vacances organisés par « Graine de Cirque », je pourrais être prof de cirque pour les mômes, …

Sabé

Bibliographie pour cet atelier

  • « Exercice poétique pratique de François Matton »
  • « Dictionnaire historique de la langue française » de Alain Rey
  • « Paresse pour tous  » de Hadrien Klent
  • « Verbier – herbier verbal à l’usage des écrivants et des lisants » Michel Volkovitch
  • Théâtre sans animaux » de Jean-Michel Ribes
  • « Le métier » auteur inconnu

Un voyage, une nouvelle page pour s’évader

Premier atelier nomade de la saison 2021-2022 au Bistrot Saint-Florent

Voyage au long cours, on explore le format court de la carte-postale à la nouvelle

Voyage en terre d’écriture avec Marie

Mon amour,

Sans toi, ici, le monde est bien vide.

Pourtant chaque pas dans la ville me rappelle ceux que nous avons faits ensemble.

Je suis même allée manger dans ce petit restaurant du bord de mer où tout était si épicé.

Comme tes baisers….

Salomé

Le voyage

         Le voyage, c’est prendre le train dans une petite voiture rouge, se préparer à relâcher, à rencontrer des tempêtes, des bourrasques, désirer un ailleurs, changer d’horizon, laisser ses angoisses, les abandonner sur le quai et si elle s’agrippent, les envoyer balader par la fenêtre.

         Déjà les épices, les visages, les goûts, les odeurs pénètrent l’intérieur de la petite voiture rouge, ils m’enivrent, me chahutent, m’invitent à laisser la vieille peau derrière moi.

         Fatigue, relâchement, excitation….. Le rouge de la voiture entre dans mon crâne, mes yeux s’habituent à ce soulèvement de feu et je me laisse aller sur la banquette, absorbée dans le rouge velours dans lequel je sombre comme dans un océan violemment doux.

         Je pars, je quitte la rive, l’immensité m’appelle.

Je ne sais dans quel port j’arriverai, seul le désir d’ailleurs me guide et m’emporte.

Marie

Voyage-Nouvelle

Longtemps, je me suis trompée de bonheur. J’ai travaillé dans un atelier de confection, à coudre du matin au soir. A user mes doigts sur la machine à coudre.

Est ce que j’aimais ce que je faisais? Je crois bien que je ne me suis jamais posé la question.

Il fallait le faire, c’est tout. Se lever le matin, aller travailler, gagner des sous.

Quand mon mari est mort, mon petit dernier avait trois ans, alors je peux vous dire que je n’avais pas le droit aux états d’âme. Sylvia avait dix ans et Stéphane 8. Il fallait continuer d’avancer.

Maintenant que j’y pense, je crois que je ne me la suis jamais posée la question du bonheur.

La jeune femme en face d’elle la regarde et l’écoute attentivement.

Qui est cette femme qui lui parle en agitant ses mains?

Très doucement, elle lui demande:

« Et maintenant, si vous vous posiez la question, ne pas se tromper de bonheur, ce serait quoi ? »

La vieille dame lève les yeux vers le plafonnier du wagon.

Elle sont seules, toutes les deux, face à face dans ce wagon qui les emmène vers le nord, vers Boulogne sur mer, où chaque année, à la Toussaint, Lucienne va déposer des chrysanthèmes sur la tombe de son mari, face à la mer.

De là où il est, il voit l’Angleterre, aime-t-elle à répéter. Il est un peu en voyage.

Lucienne garde les yeux rivés sur le plafonnier.

« Ne pas se tromper de bonheur, ce serait quoi ? »

La phrase résonne dans sa tête comme une ritournelle entêtante.

« Bonheur, bonheur, bonheur…. Les gens heureux n’ont pas d’histoire… »

Lucienne regarde cette belle jeune femme qui patiemment attend sa réponse, peut-être.

Elle ressemble à ces jeunes filles qu’elle a vu défiler dans son atelier de confection: longues, fines, gracieuses. Elle enviait leur vie si facile.

Si elle osait, Lucienne lui dirait qu’elle porte le visage du bonheur.

C’est surtout sa douceur qui emplit la cabine du wagon, comme si la vie ne lui a jamais demandé d’efforts.

La jeune fille parle en premier:

« Sur votre visage, je lis une vie pleine de rencontres, d’efforts, de luttes mais aussi de bonheurs. Vous savez, le bonheur est un mot fourre-tout, on y met ce qu’on veut. Moi, mon plus beau souvenir de bonheur, c’est la main chaude de ma petite fille quand je l’emmène à l’école. »

Elle se lève et furtivement disparait dans le couloir. Lucienne entend résonner son dernier pas.

Marie

Voyage en terre d’écriture avec Yoan

Écriture automatique temps court  sur le thème du voyage

Le voyage c’est s’enivrer de beaux endroits étrangers. C’est partir de ses visions en rêve, pour gagner  la réalité tangible d’un ailleurs. C’est passer du mythe à la réalité en allant humer un monument, sentit l’odeur d’une plage, s’imprégner de la moiteur d’une capitale lointaine.

On absorbe ce que ce lieu dégage, et on renifle ce que les murs peuvent dire de son histoire, nous rencontrer et témoigner. Cela peut être un endroit chargé d’une présence, ou encore un espace complètement inattendu, qui vient même nous chercher peut-être encore plus fort que l’effort que nous avions déployé pour aller à sa rencontre au bout des mondes.

Yoan

4 cartes postales

Bons baisés du Japon, les locaux sont aussi psychorigides que délicieusement accueillant. Je vis dans un manga à ciel ouvert. Hâte de le partager avec toi un jour peut-être

*

J’ai trouvé ma cabane au Canada. Je suis devenu amoureux des chemises à carreaux. Le sirop d’érable  à quelque chose d’écœurant. Quand irons-nous couper du bois ensemble dans la forêt ?

*

Petite pensée du Tibet avec ce qu’il me reste de cerveau. Je me sens Alexandra David-Néel, mais l’exotisme en moins. J’ai prévu de te rapporter des babioles chinoises bon marché en guise de souvenir ! de toute façon il y a que cela de partout !

*

Bonjour de Birmanie sous des kilos d’or au mètre carré. Mon dieu ! Bouddha doit être le directeur de Fort Knox c’est certain. A mon retour, c’est promis, on cultivera ensemble une RICHE vie spirituelle.

Yoan

Brève nouvelle (photo inspirante / univers concentré / une seule situation / petit nombre de personnages / intro et chute suggérées)

Longtemps je me suis trompé de bonheur. J’ai beau avoir soixante-dix ans passés, j’ai décidé de franchir le Rubicon et tirer radicalement un trait sur ma vie d’avant.

Un taxi m’a déposé anonymement à proximité d’une agence de reconversion pour femmes blasées, institution clandestine dont on pouvait décoder l’adresse camouflée sur une page de publicité pour un produit esthétique dans Marie-Claire.

J’ai pris mon courage à deux mains, abandonné mari flétri et enfants égocentrés, pour me lancer dans cet ambitieux voyage d’un changement de destinée. Certains changent de sexe, moi je change de famille et ainsi va la vie.

Sur le trottoir, je vois que trois consœurs font déjà la queue en file indienne, attendant en toute discrétion l’ouverture des portes de cette agence sans aucun tape-à-l’œil. Ne connaissant pas trop la procédure, je me suis risqué à demander à ma voisine si nous pouvions adopter  absolument tous types de familles de son choix.  Elle me rassura aussitôt en me promettant hilare qu’il n’y avait absolument aucune restriction. Elle-même avait dû supporter de partager sa vie avec un mari païen et allait se faire adopter comme matrone d’une famille amish en Amérique du sud, contexte familiale plus en accord avec ses toutes nouvelles convictions évangéliques. Elle ne supportait plus les mauvaises manières de son mari, en ceci nous étions très semblables. Elle m’interpella sur le fait que je n’avais qu’une toute petite valise en guise d’unique bagage pour me lancer dans un si grand nouveau départ. Je lui ai alors expliqué que j’avais dû quitter en catimini.

Yoan

Voyage en terre d’écriture avec Sabé

Histoire en cartes postales

1

Coucou Pacco,

toujours en Alsace, mes dernières semaines de travail. Je n’en peux plus de cet odeur de choucroute qui vient du resto en face. J’ai hâte de partager des moules-frites avec toi. Bisous, S.

2

Bonjour Pacco,

il m’aurait resté un jour de trajet, mais ma petite voiture est tombée en panne. Le garagiste m’a promis de la réparer au plus vite possible.

L’hôtel a des canapés en velours rouge très confortables. À très vite, j’espère, S.

3

Mon cher Pacco,

j’ai attendu en vain. Ma voiture ne redémarrera jamais. J’achète une nouvelle – d’occasion – début de la semaine prochaine. Savais-tu qu’il font une très bonne omelette aux truffes ici? Je t’embrasse, S.

4

Mon Pacco si loin,

je suis bien arrivée chez toi. J’ai trouvé la clé, le chat va bien. J’espère que tu as bien atterri à Londres et que les négociations imprévues ne durent pas trop longtemps. Coucou de la voisine, ce soir on va passer chez „La Caravelle“, manger des moules-frites sur la terrasse. À … quand?, S.

Sabé, octobre 2021

Et si sa plume s’échappe…?

Le voyage, c’est l’échappée belle. Tant qu’elle aime sa famille, tant qu’elle est engagée dans son travail, c’est le moment qu’elle va se donner pour son écriture. Cadeau précieux pour cette femme si chargée dans sa vie quotidienne.

Elle a bien choisi un lieu dans le Sud qu’elle connaît depuis longtemps. Pas besoin de nouvelles impressions, bien au contraire : elle a besoin de vider sa tête, faire couler l’encre sur les feuilles blanches qu’elle a mises dans sa valise. Se faire le plaisir, se détendre et tranquillement écrire, prendre soins de ces événements vécus …

Du moins, c’est ce qu’elle avait prévu …

Sabé

L’Oncle de l’Ouest

Elle me rappelle sa mère, Sylvia.

Je lui ai dit au revoir, il y a sept ans, pour aller voir nos parents à Munich. Sylvia, enceinte de 9 mois, ne pouvait pas m’accompagner pour la fête de leurs 25 ans de mariage. Des journées de fête inoubliables, mais pour des raisons inattendues.

C’était au mois d’août 1961, je suis parti de Dresde, de la même gare que celle où je me trouve aujourd’hui. Alors que nous nous retrouvions en famille le matin du 14 août, nous avions appris qu’un mur allait désormais séparer les deux Allemagne. D’un instant à l’autre, Sylvia, ma petite sœur s’est retrouvée d’un côté, de l’autre coté, le reste de la famille tout à notre fête. Au soir de ce même jour, un télégramme nous a annoncé la naissance de Nina.

Depuis lors, sept ans ont passé. À l’époque, j’ai décidé de rester dans la partie ouest de l’Allemagne. Chaque année, j’ai rendu visite à Sylvia et j’ai pu voir grandir Nina. À chaque fois, dans mes valises : des oranges et des bananes, deux grands paquets de café. Des vêtements d’occasion mais toujours de qualité, comme neufs, des collants et pour ma sœur son savon préféré, des feutres, un assortiment de briques Lego ou un puzzle pour ma petite Nina et surtout des chocolats et des chewing-gums.

Je n’ai pas d’enfants à moi et je vois grandir Nina à distance, restant son „Oncle de l’Ouest“.

Ma petite sœur chérie vient de garer la voiture sur le parvis de la gare de Dresde.

Je suis pressé, on a trop tardé à faire soigneusement mes valises, à emballer la vaisselle en porcelaine pour notre mère, les disques de musique classique pour notre père. Ce sont des cadeaux achetés de mon échange obligatoire imposé pour les visiteurs en provenance de la RFA.

Il faut que je me dépêche, mon train ne va pas m’attendre – contrairement aux contrôles à la frontière auxquels je ne pourrais jamais m’habituer.

Nina doit attendre dans la voiture, elle me regarde avec des yeux si tristes. D’un dernier coup d’œil, je la vois ronger les ongles de sa main droite. Petite main si douée dont je porte dans mon sac de voyage les petits dessins qu’elle a fait pour les grand-parents dans un pays étrange.

Sabé, octobre 2021

Voyage en terre d’écriture avec Sabine

 Aéroport de Bâle, le bruit des avions, la foule. J’attends d’embarquer pour mon premier voyage seule. Je suis libre, de cette liberté de femme occidentale, qui a mené de front vie professionnelle et vie familiale pendant 30 ans, puis se retrouve soudain seule.   Tout est prêt, organisé depuis des mois, mon sac parfaitement rangé, un dernier SMS de revoir, je suis si parfaitement préparée, et puis j’ai l’habitude de voyager ; j’ai peur. Ce sera un voyage long, six mois, peut-être plus, un voyage pour apprendre à s’assumer autrement. Je goûte ce mélange de puissance, tout est possible aujourd’hui, et d’incertitude qui me pique un peu le bas du ventre. Je me dis : je suis seule et j’aime ça !  En face de moi, une jeune femme est assise, entourée de bagages volumineux. L’air très inquiet, elle me dit : vous prenez aussi le vol pour Lomé ?  – oui  – Je rentre dans ma famille à Kpalimé, j’espère que le vol n’aura pas de retard, croyez-vous qu’ils vérifieront le poids des bagages ?…J’espère … La suite de ses paroles se perd dans l’aéroport, je n’écoute plus, mais je sais qu’elle rentre chez elle et que mes premiers pas l’accompagneront jusqu’à Kpalimé.  

Sabine

Voyage en terre d’écriture avec Régine

Garage-Band

À partir de l’image des gens sur le bateau…

Juliette, veuve, 47 ans, vit à Marseille, tient un garage.

Sur le bateau qui l’amène en Corse elle prend le soleil en fermant les yeux.

Elle a eu des amants. Pas d’enfant. Au garage elle mène son petit monde. Le soir elle fume des joints sur la terrasse de sa villa. Juliette dépense beaucoup d’argent en lingerie fine et en chemisiers très féminins. Les voitures sont parfois payées en lingots d’or. Elle les cache dans le faux plafond de sa maison.

« Longtemps je me suis trompée de bonheur ». Je pensais qu’il fallait avoir un vrai métier, de l’argent, un mari, des enfants, bref, être bien établie. Quand j’ai rencontré René j’étais jeune. J’étais fille unique je n’avais pas fait d’études, et mes parents m’avaient encouragée dans cette voie qu’ils avaient choisie pour eux-même, cinquante ans plus tôt.

René était garagiste. Il avait quinze employés, tous mécaniciens. C’est aussi pourquoi je me suis retrouvée derrière la caisse. Une place laissée vacante, ce qui indisposait les clients quand ils voulaient récupérer leur voiture. Une estrade était dissimulée derrière le comptoir. C’est là que je régnais. L’espace était mieux chauffé que les ateliers. Il y avait une machine à café filtres, un petit bureau recouvert de documents et à l’arrière les toilettes.

De là je voyais chacun des employés. Un décor aux dominantes bleues roi. Un ballet d’hommes circulant, se couchant sur le sol, levant les bras, plongeant la tête dans le capot des voitures. Ça a duré vingt ans ! Renée est mort. J’ai repris le garage. Je ne voulais pas laisser tomber le personnel. Trop de familles auraient été touchées.

La clientèle était composée de gens riches. Ça se voyait aux voitures. Des Berlines, des décapotables. L’argent rentrait et cela me procurait une certaine fierté. Nous n’avions pas eu d’enfant avec René et après lui, je n’avais pas le cœur à tomber amoureuse. J’éprouvais une grande satisfaction à collectionner les amants d’un soir, deux tout au plus !

Ce jour-là nous étions un mardi. Comme chaque semaine, je partais en bateau en Corse pour livrer une voiture à un client dans sa résidence secondaire près de Porticcio. Sur le pont du bateau, les yeux fermés, je tendais mon visage au soleil. Je rêvais sans me préoccuper du monde autour de moi. À un moment j’ai pourtant senti un regard appuyé, je pourrais dire un souffle. J’ai ouvert les yeux et me suis retrouvée tout proche de ceux d’un homme. Il me souris.

-Vous dormiez je crois ?

-Non

– Excusez-moi. J’ai pris plaisir à regarder votre visage.

Silence.

-Ne vous gênez pas surtout !

-La beauté me fait du bien.                                                                                                              

Son regard profond m’attire. Un dernier pas et je me retrouve dans ses bras.

Régine

Voyage en terre d’écriture avec Élisabeth

1954, mon père rentre d’Indochine après 3 ans d’absence. Il reçoit une mutation pour le Maroc. Il dirigera un bordge militaire à l’Oukaimeden et nous habiterons Marrakech. Il y a un lycée Français et on pourra poursuivre nos études. Pour toute la famille c’est l’euphorie. Tout est exaltant, l’ivresse  d’un nouveau pays, le désir de connaître des saveurs nouvelles, la joie de vivre une vie de famille et de prendre l’avion. Je me fais des films, moi qui ne suis jamais allée au cinéma et qui ne sait même pas situer le Maroc sur une carte. Mes copines m’envient, ma grand-mère est triste mais je lui écrirais.

Marseille, le monde, le bruit, la saleté, la peur de me perdre. Je pose des questions, ma mère ne répond jamais. « Tais toi tu me fatigues ». Si j’insiste elle me pince. Mon voyage me semble plus phénoménal que d’embarquer pour Mars. Et l’atterrissage plus spectaculaire. Chaleur torride, femmes voilées, enfants morveux, dépenaillées, avenues avec des orangers ou des palmiers. Les premières frontières entre la ville arabe, le mellah juif et notre ghetto militaire dans la cité. La voix du muezzin qui me réveille à moitié à l’aube et me rappelle que je dois faire ma petite communion dans un pays musulman. Est-ce que je rêve? Tout m’angoisse. La médina et les charmeurs de serpents, la circulation très dense etc. Je fais honte à mes parents car je parle toujours de Chamonix. Je vois de la neige sur la boite aux lettres repeinte en blanc alors qu’il fait 50 degrés à l’ombre, je ne sais pas dire 10 mots d’arabe alors que mes sœurs se débrouillent avec le jardinier ou l’aide ménagère, je n’arrive pas à manger du couscous avec les doigts. Je n’aime que les escapades avec mon père. Je suis la plus petite française à avoir gravi le Toubkal, le plus haut sommet d’Afrique du Nord. Je gagne toutes les compétitions de ski. Mais je ne suis pas heureuse car je me dis que je suis un peu «une exilée».

1956, il est 5 heures du matin, des bruits inhabituels me réveillent. Ma mère parle tout doucement avec un inconnu. A-t-elle un amant?  « Vous n’irez pas à l’école aujourd’hui ». Je me réjoui et replonge dans les bras de Morphée. Des allées et venues continuent, un remue ménage étrange s’installe, mais rien n’est dit. Mon grand père très âgé et la sœur de mon père débarquent de Suisse, mais le mystère reste entier. Les langues ne se délient pas. Les adultes sont terrorisés mais semblent vouloir nous tenir à l’écart des événements. S’agit-il de problèmes entre le Maroc et l’Algérie ? Les ordres arrivent. Ma mère décrète que nous allons veiller avec les militaires le cercueil de mon père. Des gerbes de fleurs emplissent la pièce, l’odeur est écœurante. Je trouve ma mère cruelle, mais il faut obéir. Le lendemain, nous défilerons sur les chars de l’armée, avec les régiments dans lesquels mon père a servi ou commandé. C’est un héro, il est mort pour la Patrie, son nom figurera sur le monument aux morts à Servoz.  C’est le seul discours de ma mère, qui refusera même que nous pleurions à chaudes larmes. « Nous avons autre chose à faire que de pleurer ».

Il était ma famille, mais il ne m’était pas familier.  J’ai beaucoup de mal à convoquer des souvenirs, des expériences, alors je lis des livres sur l’Indochine, des revues militaires ou l’on cite sa carrière exceptionnelle, je regarde des photos car c’est moi qui suis la gardienne de tous les objets qui le représentent. Mon questionnement maintenant est plutôt de m’imaginer qu’elle aurait été mon destin s’il avait vécu ?

Élisabeth

Les lectures infusions d’extraits pour cet atelier :

  • Extrait du livre « Entre ciel et terre » de Jon Kalman Stefanson – Édition Broché
  • Extrait du livre « L’infra-ordinaire » de Georges Pérec – Édition du Seuil
  • Extrait du livre « passe-passe » de Martine Lombard – Édition Broché

Écriture à corps

Aline
Anne

Le corps dans l’écriture

Mon corps cet expert, mon corps qui espère

J’ai soudain lâché prise. Mon corps s’est défendu. Il s’est exprimé. Il m’a écrit.

Il a HURLÉ :

Ô la haut ! La duchesse       

                        Ne sens-tu pas les crispations, les tensions et les émotions que je ressens ?

                        Peux-tu, s’il te plaît, arrêter d’être hautaine et faire attention à moi !

                        Je suis là, je suis avec toi et nous formons un couple avec ses moments de                                  communion et de disputes.

                        Dois-je t’écrire une longue lettre lorsque je vais mal ?

                        Dois-je te donner des maux ?

               Être sensible, à l’écoute, prévenante, c’est ce que je te demande. Prends soin de moi

ET                  arrête de juger mes défauts : accepte-les, une bonne fois pour toute!

R   E   S   P   I   R   E  

                        Oui c’est bien.

                        INspire, expire  – inspire, EXxxxxpire

                        Vis et observe.

                        Tu vois ?

                        Ressens-tu une différence ?

                        La détente qui vient et le bien-être qui suit.

                        Esprit et corps, nous ne faisons qu’un.

                        Nous resterons toujours solidaires.

Viviane

Du corps au papier en format phrase longue

Mon corps se tend comme un arc s’apprêtant à décocher sa flèche d’encre, comme des ricochets d’idées dessinant un sillon laborieux, et faisant couler le mental par saccades, en un jet concentrant mon jus de cervelle. Il y a une certaine forme de jouissance à s’oublier dans cet acte créateur, ponctuation entre nuages de pensées et la consécration dans l’espace. L’aérien glisse et finit par se figer dans une longue ligne droite qui s’étire, dégoulinante d’intelligence, et qui termine sa course au bout du chemin par une ponctuation signifiant que tout est advenu.

Yoan

La peau

D’abord la main, la peau. Est-elle lisse est-elle douce ?

L’ordinateur est allumé, l’écran attend. L’oeil voit l’impatience du petit trait qui clignote.

La peau est-elle douce ?

Elle a été frottée délicatement ce matin avant la douche. La brosse a réveillé la peau et les sens, fait rougir les pores. La peau, l’émonctoire à chérir, à nettoyer tous les jours pour libérer les toxines, laisser tomber ce qui ne sert plus, permettre à la lumière intérieure et aux idées de jaillir.

New self. Nouvelle page. Chaque jour.

La peau est-elle douce ?

Du marc de café et de l’huile de sésame se mélangent dans une pâte granuleuse, odorante, qui colore le corps d’une teinte sombre. On frotte à peine. L’eau rince et le corps est neuf.

La peau est-elle douce ?

La peau est douce, elle est souple.

L’écran est rigide, le clavier est froid, mais mon corps est souple, réveillé. Mes yeux passent de l’écran à mes mains, mes avant-bras.

Je caresse mes pieds et je libère les idées.

Anne

Reine et ouvrière

Lorsque j’évolue au bout de ma corde, avec toutes les parties de mon corps comme mes mains, mes pieds, mes jambes, mes yeux, mon cerveau, je m’envole telle une danseuse dans une chorégraphie historique agile.

Mes mains s’agrippent à la pierre que je vais restaurer, caresser, polir. Avec patience, j’oeuvre dans l’oeuvre avec un profond respect pour tous ces Hommes laborieux qui ont fait des splendeurs. Le temps s’arrête et je m’appuie sur lui, sur le savoir-faire des artistes et artisans, avec tout mon ÊTRE.

Je suis en fusion, je suis bien, moment de plénitude, plénitude du moment.

Mon ballet reprend, mon corps suit : je me balance de droite à gauche, de gauche à droite, je saute de haut en bas, me hisse de bas en haut.

Tel un pendule, j’oscille dans ce tableau,

Tel… un animal!  Comme les insectes que j’aimais observer dans mon enfance.

Je me remémore ma fascination pour les abeilles et les ruches de mon grand-père. Je passais des heures à les observer travailler. Moi aussi, je colmate, je répare, j’amène ma pierre à l’édifice.

Abeille ou araignée, je fascine également les passants qui sont au spectacle et me regarde m’élancer vers la flèche de leur cathédrale.

Ils m’interpellent parfois et veulent entrer en contact. Impassible, je continue mon ouvrage et garde ma concentration, seule au monde.

Parfois, le ciel s’assombrit mais rien ne vient obscurcir le sentiment de liberté éprouvé au bout de mon cordon.

En fin de journée, je dois le couper et redescendre sur terre. Fatiguée mais heureuse, je prends soin de mes mains et les masse avec une crème onctueuse qui sent le citron de Sicile.

Demain est un autre jour, une promesse de courant d’air, une bouffée d’adrénaline et d’éternité.

Viviane

Serge

Serge se demande parfois comment ses collègues parleront de lui lors de son pot de départ à la retraite. Mais à vrai dire qui parlera de lui ? Qui le connaît suffisamment pour le décrire au-delà de l’évidence ?

« Serge est très grand, et on l’appelle pour aider à attraper ce qui se trouve en hauteur quand on ne trouve plus le tabouret. »

« Serge est très bronzé, on a l’impression qu’il revient toujours de vacances.’

Personne n’osera dire que Serge a l’air plus vieux que son âge réel, il a pas mal de rides.

Oui mais encore ? C’est tout ? Serge n’est qu’un physique ?

Serge s’imagine son chef ânonnant son discours de remerciements pour ses années de travail dans l’entreprise : « Serge a toujours été serviable, gentil, ponctuel, professionnel ». Si le supérieur n’est vraiment pas inspiré il pourrait dire que Serge ne fait pas de vague, ses vêtements sont propres et bien repassés, d’une couleur floue. »

Serge sera-t-il gêné par cette image qu’il a donnée de lui toute sa vie professionnelle ? Pas sûr.

Car là où Serge s’épanouit, il n’est rien de tout cela.

Sur son temps libre, celui où il n’est pas enfermé, encagé, Serge est un homme nu.

Depuis peu, Serge a osé franchir la barrière qui le séparait de son aspiration depuis des années.

il offre son corps à la nature. Sans vêtements, sans les oripeaux qui trahissent la condition sociale, Serge ne s’est jamais senti aussi libre.

La première fois qu’il a fait glisser son slip sur ses chevilles et enlevé sa chemise à l’extérieur de chez lui, il n’a pas osé déambuler.

Il guettait la réaction de ceux qui l’entouraient sur cette plage de gravière, nichée au creux de la forêt. Mais les habitués du lieu, occupés à faire une pétanque, à lire, à discuter ou à dormir, ne lui prêtèrent aucune attention. Personne pour venir lui reprocher d’être un pervers, un exhibitionniste, un mateur ! Il avait craint tout type de regards, de réaction, et il n’y en avait aucune ! Alors, Serge se déploya petit à petit, redressa cette grande colonne, vertèbre par vertèbre, et étira ses bras si haut au-dessus de sa tête que ses mains vinrent chatouiller les branches d’un pommier sauvage. Quelques fruits tombèrent. Les têtes finirent par se tourner vers Serge et les pommes à ses pieds. Enfin quelqu’un d’assez grand pour venir glaner ces fruits ! Serge continua de cueillir quelques pommes pour les distribuer à ceux qu’il ne connaîtrait que par leur prénom.

Les pommes étaient acides, croquantes, fraîches.

Et Serge, nu comme un ver, venait tout juste de sortir de sa chrysalide.

Anne

Du corps au papier en format phrase longue

Qu’est-ce qu’un corps dit d’un monde ou d’un univers – partie du corps comme perspective et assis dans un contexte.

Frédéric a épuisé son corps au gré des long mois de son isolement. Il a essayé du mieux qu’il pouvait d’en prendre soin au début du confinement, mais la discipline n’étant pas son fort, il s’est vite essoufflé pour mieux s’emmitouflé.

Son bide est devenu une sorte de jauge miroitant son niveau d’amour propre. Il l’a senti gonfler comme une baudruche, au même rythme que sa présence dans le vrai monde se diluait dans les nimbes de l’esprit poreux.

Son abdomen s’est transformé en un monde à part entier, un deuxième cerveau engluant autant sa fierté que sa volonté. Il est devenu enceinte de l’oubli, de l’insignifiance ou encore de l’irrévérence qu’on se porte à soi-même.

L’astre noir logé dans sous ses abdominaux a fini par accaparé tout son esprit et devenir son  unique obsession. Certains portent leur croix, et lui materne sa boule au ventre.

Afin de se donner le change, il a bien cherché à user d’artifices élaborés, comme réinventer sa chevelure au travers d’une couple plus dans le vent, ou en refaisant sa dentition à grand renfort de frais dentaires. Rien n’y a fait, car un dentiste sait rendre les dents biens blanches et alignées, mais il ne détient pas la science pour faire naitre un sourire véritable.

Dans cet abime du temps engoncé et contraint, Frédéric en est même arrivé à se faire ronger de l’intérieur par le feu  de la colère. Son foi s’est mis à lui adresser des signaux inamicaux et ravageurs. Ses organes ont tentés de lui envoyer des appels pour qu’il se ressaisisse à temps, et lui éviter de tomber tête-bêche dans le précipice de la désolation. Les tripes sont décidément des viscères tortueux et labyrinthiques où il est aisé de se perdre.

Heureusement, Frédéric pouvait compter sur de solides amitiés, des compagnons fidèles  qui l’ont invité à s’extraire de son bas-ventre pour regagner l’espace de son poitrail flamboyant.

A cette heure-ci, il oscille encore entre vide et plein, mais une graine est plantée afin qu’il puisse se reconnecter à ses besoins.

Yoan

Les Mains du Copiste

Elles sont bien blanches, manucurées avec soin, les ongles mi-longs, les veines bien visibles et bleues… Mais ce n’était qu’une impression ! Toutes les articulations étaient gonflées à l’extrême, les phalanges déformées horriblement. Mais le pire ! Elles tremblaient… Elles semblaient danser la gigue.

Joseph le pieu, moine copiste de l’Abbaye de Solesmes en l’an de grâce 1356, soupira profondément… A 77 ans, son rêve allait enfin être achevé bientôt ! Recopier une bible à la perfection ! Dans un ultime effort surhumain, il banda tout son corps ! Et quel corps ! Celui d’un vieil athlète !

Grand, décharné comme un épouvantail, un escogriffe chancelant, vieux, sec, nerveux, courbé… son corps le tourmentait ! Par malchance, la souffrance de la migraine lui rongeait le cerveau aujourd’hui.

Mais pire que tout, la peau purulente irritée par la soutane trop serrée et sale tachait le papier partout. Un corps qui souffrait d’arthrite, les doigts goures, les tremblements nerveux sous l’effort surhumain, les gestes malhabiles, les lettres à former à la perfection malgré la souffrance…

Les muscles durs et secs qui rechignent à obéir au nerfs tendus, crispés et vibrants d’émotions. Le cerveau en feu à cause de la maladie, la lutte contre Parkinson… Les derrières phrases de son dernier évangile… Les pleins et les déliés qui ne doivent pas s’emmêler…

Voilà avec quoi il avait fait la perfection !

Un dernier effort, là maintenant… Le dernier mot ! Il se mit à le calligraphier…

F, comme Fou de Dieu. Toute sa vie il avait lutté contre le mal et ne voilà-t-il pas que le mal s’incarnait en lui, sous la forme de ses maladies si terribles ! Il aurait voulu crier, tempêter et vociférer, mais il n’en avait plus l’énergie… Sa gorge était paralysée, aucun son n’en sortait plus… Son seul moyen d’expression était l’écriture…

I, comme Icare… Ce héro grec qui était mort d’avoir voulu tutoyer les hauteurs et Dieu ! Ses ailes d’ange brûlées par le soleil, par la vindicte de Dieu ! Fâché par l’orgueil de l’humain ordinaire ! Lui aussi avait tutoyé Dieu… Dans ses oraisons, il avait cru le voir, lui parler et communier avec lui… Alors, pourquoi l’affectait-il de ces si terribles maladies ?

N, comme Nuit. Il allait y sombrer pour l’éternité, dans la nuit noire de l’oubli. Bientôt, plus personne ne se souviendrait de lui, le vieux moine copiste oublié de tous, perclus d’arthrite comme ces vieux archers qui n’arrivaient plus à décocher une simple flèche !

Enfin, le voilà calligraphié à la perfection ce dernier mot qu’il avait rêvait si fort… Le dernier mot de son chef d’œuvre, une bible parfaite, fruit de soixante années d’expérience de scribe : FIN !

Puis l’abandon ! Le corps qui abdique. C’était donc bien sa dernière œuvre ! Dans un dernier soubresaut d’énergie, il essaya de maintenir son cou droit, mais il s’effondra, tête la première sur ses mains blanches au sang bleu de noble, sur l’écritoire qui était patiné par la sueur de centaines de générations de copistes…

La mort le saisit… Dans l’instant !

Le supérieur entendit le bruit… Il se leva de sa chair de grand copiste pour s’approcher de Joseph le Pieu, alias dans une autre vie, Joseph Santiny, chevalier du château de Santiny. Le vieux sage vit de suite ce qu’il était advenu. Il se pencha sur le mort et écouta son souffle ! Rien, il était bel et bien décédé…

Il releva la tête doucement, avec respect, et ferma les yeux de Jospeh qui étaient encore figées sur son travail.

Et quel travail ! Le supérieur fit la grimace ! Sur le si beau papier des bibles de haute facture, il y avait des milliers de hiéroglyphes illisibles et brouillonneux qui semblaient avoir été écrits par un bébé !

Un gribouillis infâme !

L’âme de Joseph le Pieu était redevenue enfant, et allait regagner les Cieux avec l’habit parfait de l’enfance…

Paix à son âme…

Hugues

L’HEUREUSE MÉTAMORPHOSE DE THOMAS

Il avait lu cette phrase dans un magazine, sur une page publicitaire achetée, sans doute au prix fort, par une marque de cosmétiques dont le nom lui avait vite échappé. Une jeune femme dénudée – comme il était de coutume et comme la coutume demeure – simulait de gracieux mouvements de danse qu’on devinait classique. Le photographe avait opté pour du noir et blanc et de brillants esprits modelés dans l’or de cet âge scintillant de la publicité avaient trouvé ce slogan :

Le parfum est la musique du corps

C’était à la fin des années 80. Peut-être aussi au tout début des années 90.

Thomas était étudiant alors, et avait planché deux heures durant sur cette page, sa photo et sa légende. Il devait en résulter une analyse fine du message, devoir noté à rendre pour le lendemain.

Cet après-midi-là pourtant, le corps avachi sur sa chaise de bureau, Thomas se fichait de l’impact de ce mannequin nu sur le chiffre d’affaires de Dior, Hermès ou Givenchy. Brusquement, quelque chose l’en avait détourné. Une porte venait de claquer, ouvrant de son souffle une fenêtre jusqu’alors dissimulée dans son esprit. Et sans crier gare, cette fenêtre laissa passer des courants d’écriture.

Thomas se redressa d’un bond. Sa tête, sa nuque, ses pieds, ses tripes et bientôt son corps tout entier sentirent passer ce courant vivifiant. Sa peau se mit à frémir, sa bile stoppa net sa production d’angoisse et chacune de ses cellules sembla comprendre que la jeune enveloppe humaine qui les abritait était entrée en métamorphose.

Lui qu’on avait si souvent rabroué pour son manque d’enthousiasme devant les analyses et commentaires infligés comme des fessées, lui l’élève brillant et disert mais si timide de la plume venait de réaliser qu’il était libre. Libre d’écrire ce qui lui passait par la tête, de juxtaposer des mots qui semblent ennemis, d’associer des contraires, de se jouer de la syntaxe pour bouleverser ses propres convenances.

C’est ce mardi-là que Thomas décida qu’il serait écrivain.

Non pas publicitaire ou brillant cadre marketing dans une puissante entreprise, mais écrivain. Auteur de mots qui se courent après, se cherchent, se cachent et se bousculent, se couchent difficilement mais dorment docilement. Il mettrait en musique l’alphabet, caresserait la chair inusable des « l » élancés, des « b » au ventre rond et « s» contorsionnistes jusqu’à l’hypoderme, jusqu’à l’excès.

Dès le lendemain matin, Thomas se rendit dans une petite papeterie de son quartier qu’il avait peu fréquentée jusqu’alors. Ses copies simples lignées perforées étaient bien moins chères dans les supermarchés, il n’avait jamais compris l’intérêt de dilapider sa bourse dans des feuilles de qualité supérieure qui n’accueilleraient que des notes de cours. Mais là, c’était bien différent ; sa noble ambition méritait du noble matériel, choisi avec soin. Du papier de bois et de coton qui accroche en suffisance, mais permette à la plume de glisser le long de l’inspiration.

Il acheta donc aussi un stylo-plume. Un Waterman. Cela commençait à chiffrer mais, se dit-il « L’écriture passe par le corps, ma main et mes doigts doivent être à la noce ».

Ainsi naquit la vocation de Thomas, devenu l’écrivain que l’on sait.

Jamais plus son corps ne le fit souffrir, jamais plus son infirmité génétique ne lui parut un handicap. Jamais plus il ne resta vautré des heures sur son canapé, maudissant ce bras que la vie lui avait arraché enfant, juste par cruauté.

Ce mercredi-là, la littérature venait d’accoucher d’un homme heureux.

Nadine

BONUS, l’atelier nomade « corps & écriture » à Paris

Textes de Charlotte

Mon nuage de mots, façon monologue intérieur :

Pied
Histoire qui tient debout
Écrire avec ses pieds
J’écris en marchant, j’écris en respirant, j’écris en ne dormant pas
J’écris debout
Est-ce que ça passe par la cuisse gauche ?
Que fait ma main gauche ? Elle tient la feuille
Que fait mon ventre ? Il est contracté
J’ai le corps qui écrit
Dans la pénombre
Il fait sombre et chaud
ça pulse et ça bat, assourdissant dedans qu’on n’entend pas dehors
Lecture chuchotée qui dit si le texte va
Épaule
, tête, cou
Omoplate
Écriture
Petit orteil ?
plante, paume
phalange
pli du coude
gorge
Écrire comme un pied



Dialogue

– Tu écris comme un pied !
– Merci.
– Ce n’était pas un compliment.
– J’écris debout, des histoires qui tiennent debout. Tout ça est donc bien affaire de pied. La stabilité dans les orteils et le talon, la respiration de la voûte : des piliers et de l’air.
– Mon cerveau me suffit : des images, des couleurs, des musiques : un bon texte.
– Aucune idée ne t’arrive jamais par l’omoplate gauche ? le pli du coude ?
– … (regard perplexe un peu long)
– Et contracter les abdos, quand tu veux donner de la force à tes personnages ? Tu as déjà fait ?
– Je ne sais pas, j’ai plutôt l’habitude de chercher mes synonymes sur le CNRTL…

Textes de Nadine

Texte 1
La tête pour moi, des phrases qui tournent et retournent, ritournelle qui s’insinue, idées qui
passent et s’oublient, idées fuyantes ou idées qui s’ancrent.
De ça de là, des mots des bouts de phrases, griffonnés à la hâte quelque part, un carnet
parfois, avant, le téléphone le plus souvent, maintenant.
L’écriture habite ma tête mais ne se glisse pas dans les gestes.

Rarement, maintenant, le papier. Le clavier plutôt, le toucher du clavier, les bruits qui
l’accompagnent, la vitesse qui s’entend.
Le papier, j’ai un peu oublié. Je ne crois plus à cela, l’écriture plus vraie, plus forte sur le
papier. Artifice, pour moi.
Mais du papier, j’aime le stylo-plume. Prolongement du papier, son vrrooot qui glisse, son
shshcrht qui râpe, son cccrrreeu qui accroche.

Perte de l’habitude, douleurs dans le poignet, la main se crispe. Inconfort.
Autre inconfort, pourtant, avec le clavier. La crispation se déplace, du poignet aux cervicales.
Le torticolis pointe.


Texte 2 (dialogue)
– L’écriture, la vraie, est le seul art imphysique.
– Imphy quoi ?
– Imphysique. Aphysique, si tu préfères.
– Aphysi quoi ?
– Tu le fais exprès ou quoi ?
– J’ai du mal à rejoindre ta perchitude.
– Ma quoi ?
– Ta perch’attitude, si tu préfères.
– Tu te fiches de moi, en fait ?
– Absolument pas, j’essaie de me mettre à ton niveau, mais l’échelle est trop haute à
monter.
– De quoi parles-tu ?
– Ah, c’est moi le haut perché, finalement !
– Mais franchement, de quoi parles-tu ?
– Le stylo-plume crisse et glisse sur le papier lisse…

Nadine, Paris, 30 mai 2021

Textes de Fabienne

Texte 1 :

Liturgie du corps

Les mains posées sur le bureau

Le dos droit sur la chaise

Le relâchement, mais pas la décontraction

La détende, mais pas la langueur

L’esprit aux aguets, attentif, prêt à attraper les idées lorsqu’elles surgissent

Elles sont fugaces, elles sont sauvages,

Un corps à l’écoute, disponible, au service

Une tension à maintenir.

Communion de l’esprit.

Texte 2 :

Le corps – Tu n’es rien sans moi.

L’esprit – Comme toujours, l’intendance suivra ! Pourquoi te donner tant d’importance ?

Le corps – Comme toujours, ce mépris du corps

L’esprit – Le corps n’est qu’un moyen, c’est toi qui n’es rien sans moi

Le corps – Ce mépris de classe, c’est agaçant

L’esprit – Accepte ma supériorité et tout sera plus simple pour toi.

Le corps – Tu confonds tout, être au service n’induit pas une infériorité.

L’esprit – J’en ai assez de ce discours de gauchiste, tu me fatigues

Le corps – Prends soin du moi, et tu verras, tu y arriveras

L’esprit – Je ne t’écoute pas, tu ne fais que me rappeler ma déchéance.

Le corps – C’est vrai que tu n’as pas écrit grand-chose ces derniers temps.

L’esprit – Ne me harcèle pas,

Le corps – Laisse-toi faire, tout ira bien, je suis là.



Ces instants-là… l’éclat des fragments

Instantanés de sa fenêtre

« Le ciel est lumineux et pourtant encore embrumé. Je reconnais les bruits familiers de la ville le dimanche matin : celui des voitures peu nombreuses, les cloches de l’église sonnent à l’instant, les oiseaux y mêlent leur chant dominical. Sur la terrasse, le pommier est tout en fleurs et certains arbustes laissent naître leurs bourgeons vert clair. Au loin, un mélange arboré aux couleurs dégradées, allant du blanc au vert foncé, qui s’entremêle aux habitations aux toits ardoisés. Et dans le loin profond, je peux deviner la longue chaine des Vosges qui se perd dans la brume, où chaque vallon nous invite à aller chercher le suivant. Ces cloches sont comme un joyeux messager invitant à une belle journée. Le soleil décide à l’instant de se manifester et lui aussi nous transmet dynamisme et énergie. Comme il est bon de se laisser caresser par ces éclates de vie qui nous rappellent à chaque instant la valeur de les vivre. Je suis prête à une belle journée ! ».

Anne-Sophie

De ma fenêtre

Un ciel laiteux baigne ma chambre d’une blancheur dépolie. C’est lui que je vois tout d’abord, ce ciel qui me fait sentir oiseau, en suspension au-dessus du quadrillage coloré des jardins s’étalant comme un tapis d’orient à mes pieds.

Pas âme qui vive… et pourtant chaque carré a son style, chaque lopin révèle un peu de la personnalité de son propriétaire. En voilà un méticuleusement rasé de frais, pas un brin d’herbe dans les allées de gravier blanc. À côté, une luxuriance d’arbres et de buissons dans un camaïeu de verts, de gris et de bleu, offre aux mésanges et sittelles un paradis bruissant de pépiements excités. Plus loin, le potager aux carrés soignés témoigne d’un jardinier patient, laborieux et productiviste. Ailleurs, des rangées de tulipes sagement alignées, une rouge, deux jaunes, une rouge, deux jaunes. Et là, un ballon oublié, une chaise longue abandonnée, un jardin à imaginer…

Clarisse

Je domine mon territoire, ma rue, car ma station spatiale est rue Curie à STRASBOURG au  8ème étage, 60 mètres au-dessus de la terre. Par les baies vitrées, si je lève un peu les yeux, c’est le ciel, la voûte céleste, qui, comme la palette d’un peintre, peut prendre toutes les nuances de bleues. Les premiers rayons du soleil scintillent à l’horizon et déjà réchauffent la vitre. Je surplombe les toits en tuiles des maisons du voisinage et les petites fenêtres du collège ainsi que la cime des arbres du parc de la Bergerie. Au loin, tel un décor de théâtre, c’est le Parlement Européen, la flèche de la Cathédrale et les crêtes des sommets vosgiens. Pas de bruits à cette altitude. L’odeur du café éveille mes papilles et je sens la joie m’envahir car, la minuterie des ateliers d’écriture va sonner. En tant que narrateur, je viens de prendre conscience avec surprise que je ne vois pas les voitures qui circulent dans les rues ni les passants sur les trottoirs. Peu de végétation, heureusement il y a un parc dans la copropriété et une école maternelle tout près, donc j’entends les cris des enfants et si je change de point de vue et me penche au-dessus de mes balcons, je ne suis plus avec les nuages, les éclairs et les couchers de soleil.    Elisa

Assise sur mon lit aussi loin que mon regard puisse aller, je vois de ma fenêtre les derniers étages des immeubles en face qui titillent un ciel qui aujourd’hui est vide de ses nuages, un ciel qui n’y ressemble pas. Une grue et quelques fumées qui font de l’ombre sur les murs de certains immeubles. Je vois aussi le haut de ce qu’on appelle dans le quartier le cube, tout bleu ou il est tagué SKUB en blanc. C’est la poste. Camions, camionnettes jaunes doivent être garées dans le parking jouxtant des bâtiments administratifs.
Sur les toits de ce mastodonte je vois des arbres, des plantations colorées. Les postiers feraient-ils un jardin partagé ?
J’entends depuis plusieurs heures le métro qui arrive tonitruant sous ma fenêtre. Rien ne l’arrête il suit son chemin du matin avant l’aube au soir dans la nuit. J’ai bien du m’y habituer. Je me suis mise à penser que j’étais dans un film japonais dont je ne souviens plus le nom, le personnage principal a une chambre collée au métro aérien. Je n’y suis pas collée mais c’est pas loin.
Un nid en équilibre dans le seul arbre que je peux voir de mon 8ème étage. J’y vois une famille de mésanges depuis quelques mois. Mon petit bonheur.

Isabelle

Ma fenêtre ouverte sur la quiétude d’un dimanche, l’atmosphère est paisible.

Le voisinage s’éveille en douceur, des effluves de café traversent le jardin.

 Une belle luminosité éclaire la fraicheur matinale.

J’éprouve une douce gaieté, je me sens en harmonie avec la nature qui m’environne.

C’est la promesse d’une belle journée de printemps propice à effeuiller ces instants-là, les petits fragments d’éclats qui colorent à chacun de nos pas nos chemins de vie.

Martine

De mon salon, ma rue est invisible à mes yeux. D’ailleurs ma rue ne s’appelle pas rue, mais route. En me penchant, je ne peux que la deviner derrière 2 rangées de gardes, le chef taillé au carré, plantés là pour faire une haie d’honneur à celui qui perpétue la fonction routière et routinière, roturière aussi dans sa fréquentation, sa majesté Tram A, premier de lignée.
Car j’habite dans un quartier autrefois noble et le seul morceau de rue que j’aperçois vraiment c’est la rue des Ducs qui relie le château de la Couronne à la Cour du Roi. Les véritables et vénérables arbres ne longent pas ma rue, ils ont poussé dans les trois parcelles qui s’étendent juste sous mes fenêtres et constituent une manière de parc privatif, dont je ne peux jouir que par le regard. Leurs cimes rivalisent aisément avec l’altitude de mon immeuble. Ce quarteron de monarques verts règne sur ses sujets, petits arbres fruitiers, buissons colorés, tapis de tulipes et d’autres fleurs printanières. L’empereur de ce domaine est sans conteste cet arbre mythique rescapés des temps immémoriaux, le prodigieux Gingko Biloba en personne, colonisé parfois par quelques volatiles hardis, pies ou corneilles et autres tourterelles  Sur la moquette verte en contrebas, le chat de son territoire fait le tour du propriétaire. Patrick

Instantané d’un dimanche matin

Ce ne sont plus les mêmes oiseaux qui chantaient pendant la nuit. Leurs mélodies sont désormais plus douces – le rossignol a laissé la place aux mésanges Le faible bourdonnement du frigo, à ma droite, se mélange au croassement d’un corbeau qui passe devant ma fenêtre. Au loin, les carillons d’une église m’indiquent l’heure : il est 9h30. Les cloches de l’église, derrière ma maison, laissent retentir un tonner sonore dans la paix matinale, tant pis pour ceux qui voulaient faire la grasse matinée. C’est pareil chaque dimanche à cette heure-ci. Aucune chance de dormir plus longtemps, même les fenêtres fermées. Je lève mon regard pour scruter le paysage à travers ma fenêtre. La vue est un peu encombrée par les deux grandes plantes de géranium aux parfums citronnés. Le persil à côté, ne dépasse que de quelques centimètres le bord inférieur de la vitre, pareil pour le trèfle rouge. Dans le coin droit de la pièce) l’arrosoir : une vielle théière en émail, l’ancien réveil de mon père qui ne manque pas de m’indiquer les 6 minutes déjà dépassées, lui fait face. Le cadre de la fenêtre est en bois, ce qui m’a particulièrement séduite, lorsque j’ai décidé de louer cet appartement. C’est dans ce cadre que s’inscrit la maison blanche voisine, à toit noir dépassée par le sommet des peupliers, tels des squelettes couverts des toutes premières petites feuilles printanières. Le voisin qui habite l’appartement en face au même niveau que moi, est entré dans sa cuisine. J’adore cette vue matinale. Toujours en chemise de nuit blanche, il se prépare son café. Je le guette par ses gestes. Les fenêtres étroites de la salle de bain à côté sont fermées par des rideaux – tant mieux. Les fenêtres de l’appartement en-dessous sont cachées par le grand bouleau sur lequel commencent à pousser ses feuilles vert clair, je perçois encore les branches blanches et entre celles-ci bout du parasol sur le balcon. Ce que j’aime plus est le petit espace qu’il y a entre cette maison et celle à sa droite. Même si un sapin le remplit presque entièrement, entre ses branches je peux apercevoir un petit bout du Rhin. Les soirs, parfois, ce petit bout de bleu tourne à l’ orange et au rouge lorsque le soleil se couche. Ce matin, je suis assise à la table de ma cuisine pour profiter de la plus jolie vue de mon logement. Il est 9h50, je descends et je vais rejoindre le groupe d’écriture en ligne dans un instant … Sabé

Fragments – Cet instant-là…

« L’instant d’avant, j’entendais et ressentais la douleur. L’atmosphère était chargé, lourd et étouffé.

Soudain vient cet instant. Le temps s’arrête. Plus aucun bruit. Aucun mouvement. La vie semble en suspend. J’entends seulement le battement de mon cœur alors que j’attends, haletante, l’instant suivant.

Que se passe-t-il ? Où en sont-ils ? Flottement d’idées, flottement des sens, flottement de mon corps, qui ne sait s’il est entier ou éparpillé. Insoutenable instant qui semble durer une éternité.

Soudain, la vie reprend, l’énergie circule ; je sais , je le sens, il est né, il est arrivé, il est vivant. Un fil nous relie, il fera désormais partie de ma vie ».

Anne-Sophie

Quelques instantanés

Douceur de l’argile sous mes doigts. Je malaxe, forme et déforme cette matière qui soudain prend vie. Émerveillement de penser, voir, créer en trois dimensions. Je sculpte !

J’ai quatre ans et je contemple stupéfaite mes petits orteils ronds peu à peu disparaître sous le sable humide, à chaque nouvelle vague, inlassablement.

J’enfourche mon Solex. Il est mon ami le plus cher : il m’emmène où je veux quand je veux. Les cheveux au vent je m’échappe, je voyage et je rêve… à quelques centaines de mètres de chez moi.

Le soleil a une odeur. Une odeur de beurre salé sur ma peau toastée. Une odeur d’ocre sur des murs anciens. Une odeur de sexe et d’amour. Enfin, je connais l’odeur du soleil.

Clarisse

A cet instant là, à la vitesse d’un bolide au 24 heures du MANS je dévale la pente à 45 degrés du glacier de l’Envers des Aiguilles. J’ai perdu l’équilibre après 600 mètres  d’ascension dans un dédale  de séracs, de crevasses. En dévissant, je n’ai pas perdu mon piolet,  il est mon compagnon de cordée le plus précieux car lui seul peut enrayer ou freiner ma chute vertigineuse. J’essaye de l’ancrer dans la glace, mes efforts sont surhumains mais inutiles. Je franchis  une rimaye et bascule tête la première, je fini par le lâcher, il voltige comme un acrobate et même s’envole dans le ciel et brusquement plonge et disparait. J’ai perdu mon ami, je suis en colère. Mes ongles griffent la glace. Ma peau sous l’effet abrasif de la glace et des graviers est éraflée,  elle saigne et laisse se dessiner un beau ruban rouge. Un grand saut dans le vide, un labyrinthe de  glace, sans trace humaine, ni perspective, un peu fantasmatique et monstrueux. C’est un univers glacial, transparent et ténébreux. J’ai peur, la réalité tend à se dissoudre, ce qui m’attend  est tragique. Le silence. Un froid sidéral. Du bleu partout : mon réceptacle est un souterrain mais pas celui «d’Alice aux pays des MERVEILLES», ni la caverne d’Alibaba..

A cet instant-là, tous les éléments sont contre moi, une pluie torrentielle, des bourrasques de vent à 100 à l’heure, des éclairs, le tonnerre rien ne manque à ce déchainement des forces de la nature. Ma cape de pluie voltige comme une girouette, mes cheveux me bouchent les yeux, les gouttes de pluie me transpercent et dégoulinent sur ma poitrine, dans mon dos, une drôle de jouissance. Je tremble comme une feuille morte. Je lutte de toutes mes forces pour pédaler et avancer. J’ai la sensation de faire du sur-place, et suis inquiète car j’ai à ma droite la ligne du tram et  à gauche la chaussée et les voitures. J’ai peur car tout s’assombrit, j’entends des branches qui craquent, pourvu quelles ne viennent entraver la chaussée et me projeter à terre. Tout à coup, mon vélo s’immobilise, je reste comme un épouvantail quelques secondes puis je perds l’équilibre et bascule. Catastrophe : la roue  s’est coincée dans le rail. Ma tête cogne le sol, ma jambe  est coincée. Je hurle  car je perçois le bruit du diable dans un nouveau tram qui pointe à l’horizon, c’est machiavélique. On m’agrippe par les pieds, j’ai mal mais vue les circonstances, je pense « après moi le déluge ».  

Elisa

Cet instant-là, dès la proposition d’écriture, les mots sont sortis de mes tripes avec une telle violence qu’ils sont devenus le prolongement de ma main sans que j’ai à réfléchir. Nous sommes un groupe qui participe à l’atelier « Fragment autobiographiques » Cette fulgurance m’a dépassée.
Si présent par son absence depuis que je suis toute petite. Sans lui un vide que je ne peux combler, j’en crève de cette vie avec un père si présent par son absence. Comme une chanson, un hymne à l’amour pour ce père que je n’ai pas connu. Je l’aime à mourir. Isabelle

Cet instant-là…

Nos regards se croisent et brillent d’une complicité infinie

Cet instant-là…

Je me jette avec exaltation dans les vagues de l’océan !

Cet instant-là…

J’enfile mes premiers chaussons de danse, la douceur des     rubans de satin au toucher

Cet instant-là…

Je sens la main rugueuse de ma douce Micha dans la mienne

Cet instant-là…

Je pleure à la lecture d’un livre

Cet instant-là…

Je surprends un lézard qui se faufile dans la vielle maison de pierre.

Martine

Premier jeu

Cet instant-là, où je découvre dans une poche de la valise de mes grands-parents, une boîte aux drôles d’illustrations en forme de bornes kilométriques et d’animaux-vitesse, ce jeu qui allait, bien avant le Monopoly, enchanter mon enfance.
« S’il te plaît, papapa, tu joues avec moi ? »

Premier film

« Allez, venez maintenant, on va faire un film. »

Mon père vint de s’offrir sa première caméra super 8. Dans mon imaginaire en construction, des images fantasmées se bousculent. Les seuls films que j’ai eu l’occasion de regarder jusqu’à présent sont fixes : les aventures de Sylvain et Sylvette, ou de Perlin et Pinpin.
La Citroën de mon père nous emmène aux frontières du village, là où un charmant pont traverse la rivière Zorn. Il se campe sur un carré d’herbe, les genoux fléchis pour être à la hauteur de ses deux garçonnets.

« Allez-y, avancez doucement vers la caméra »

Nous nous exécutons gauchement.

-Quoi, c’est tout ?. Quelle déception ! La vie c’est pas du cinéma.

Premier feu

Son bout incandescent attire mes doigts comme un aimant.
Mon grand-père esquisse un geste pour m’empêcher de saisir l’objet de convoitise.

« Non, laisse-le essayer ! » lui enjoint mon père.
Je porte le bâton magique à mes lèvres et tente une aspiration.

Pouah ! Je me mets à tousser sur le champ et tente d’évacuer comme je peux les relents âcres qui m’encombrent la gorge.

On ne m’y reprendra plus !

Premiers émois

C’est la mi-août, il fait beau et chaud et les cigales sont au rendez-vous dans cette cité provençale où séjourna autrefois une célèbre chroniqueuse de la Cour. Ce n’est pas à elle que je pense à cet instant où les accents fugaces du saxo de Gerry Rafferty troublent l’air, mais à cette fille de la bande qui me fait face et dont je bois les paroles.

Ô oui, je ferais n’importe quoi, pour un flirt avec toi…

Patrick

Fragment 1

Cet instant-là … nous réunit. Nous sommes à trois dans le bureau de Charles. Lui, avec sa trompette, Cathy et moi, avec nos saxophones. Nous répétons une pièce pour la énième fois, juste une ligne. Encore et encore.

Et là, tout à coup, le son de nos instruments s’unisse, pour n’en former qu’un seul. Comme une vague qui nous réunit et qui nous emporte. Il n’y a plus de trompette, ni saxophone alto, ni saxophone ténor. Il en est de même ^pour les trois musiciens – nous et les sons sont devenus indivisibles.

Je plonge mon regard dans les yeux de Charles et j’y retrouve le même bonheur et l’étonnement à la fois. On se contemple comme si on était amoureux, ce qu’on n’est pas dans la vie.

En gardant les lèvres autour de la bouche du saxo, je tourne mon regard vers Cathy et nous nous sourions du coin des yeux. Nos corps bougent au même rythme, guidés, emportés par cette vague envoutante de musique.

Puis, nous regrettons déjà la fin de cette pièce. Nous éclatons de rire, couvrant ainsi les petites larmes qui se forment au bord de nos yeux, nées du bonheur de cet instant.

Fragment 2

À cet instant-là, à une distance de vingt mètres devant moi, une dame monte sur son vélo. Le jour est ensoleillé, mais l’air d’avril demeure toujours frais. J’ai terminé mon travail et je rentre chez moi, à vélo, tout comme elle. Je ralentis pour laisser le temps à la dame de monter tranquillement sur son vélo. Son manteau, ses jambes, ses chaussures et ses mouvements m’indiquent qu’elle n’est plus jeune. Ce qui me frappe est son chapeau rouge. Il est d’un rouge vif plutôt dans la mode des années vingt.

Elle est partie, je la suis, on pédale sur la même piste cyclable. Au prochain feu rouge, je la rejoins

et je vois son visage – marqué par les années et jeune à la fois, ravissant. Ses yeux bleus sont entourées de petites rides et le bord de son chapeau rouge les fait encore plus rayonner…

Fragment 3

Je suis enfin arrivée chez moi. Il fait noir ce soir de janvier et je suis épuisée par la route que je viens de faire. Cet instant-là, après enfin avoir trouvé une place pour garer ma voiture près de ma maison, j’ai hâte de pouvoir retrouver mon appartement et enfin enlever mes chaussures qui commencent à me faire mal. Suis-je bien garée ? Je veux juste vérifier en ouvrant la porte de ma voiture de quelques centimètres. La lumière d’une voiture qui me dépasse. Un choc soudain.Un bruit sec. Des fragments qui éclatent, …

Sabé

Fragments déployés

« Je le regarde, de loin, puis de prés. Il m’attire, me donne envie. Sa forme droite et son allure élancée m’inspirent, Allons-y !

Mes pouce et index se réjouissent de l’enserrer et de le porter lentement jusqu’à mes lèvres… qui s’entrouvrent.

Alors je croque, de toutes mes dents, de tout mon être. Qu’il est froid ce chocolat ! Surprise ! Merveille, éclat de bonheur qui se répand et tapisse chacune de mes papilles…. Surprise ! le liquide enfermé se libère et circule doucement, liquoreux, à son rythme… trop rapidement, je le tiens, je le retiens, je le veux, encore et encore…. Surprise, la cerise qui éclate et se laisse déguster, lentement, pour faire durer ce magnifique instant ».

Anne-Sophie

Ce soir-là, nos regards se croisent et brillent d’une complicité infinie.

Dans le partage de nos sourires, c’est une rencontre en silence, des yeux qui s’illuminent, deux visages qui se font faces sans mots, juste la caresse d’un éclat de rire, joli fragment de souvenir, instant de vie inoubliable.

Martine

Je suis face à ma feuille blanche.

Le sujet ne m’inspire guère et pourtant il faut que je me fasse violence. Non, décidément, aucun des fragment que ma plume a exhumés de ma mémoire d’enfant ou d’adolescent ne se prête au jeu du développement. Développer, c’est corrompre me crie ma conscience, c’est un crime contre l’Enfance. À l’instar de la gorgée de bière, la seconde version n’aurait pas la même saveur que la première, un goût de reviens-y qui sentirait le frelaté, l’artificiel, un coup de force pour mettre au pas un souvenir trop présent. Tandis que je continue à me poser mille questions, mon stylo, lui, a pris les devants, tel un cheval fougueux. L’encre couche des mots sur le papier, déjà délesté de sa virginité pesante. L’instrument devance l’esprit, le matériel précède la substance grise. Écrire est un plaisir, parfois, mais c’est aussi une douleur qui s’exprime par le truchement de cette pointe aussi aiguë qu’un scalpel que rien ne saurait arrêter une fois qu’elle est en train d’opérer. Hors-sujet sans doute, mais basta, qu’importe la consigne, l’instant ne se décrète pas, il se vit.

Patrick

Fragment en rouge

Quel beau jour d’avril ! Il fait toujours frais, mais le soleil me chauffe déjà mon dos. Je suis à vélo, sur le chemin du retour de mon travail et je laisse mon regard parcourir les environs et s’attarder sur les passants que je croise. C’est ainsi que je vois à cet instant-là, à une distance de vingt mètres devant moi, une dame monter sur son vélo. qui peut-elle bien être ? Elle ne semble plus toute jeune. Son manteau, ses jambes, ses chaussures et ses mouvements me l’indiquent. Je ralentis pour lui laisser le temps de monter tranquillement sur son vélo … Ce qui me frappe est son chapeau rouge. Un rouge vif comme ceux à la mode des années vingt. Elle semble déterminée. Sans hésiter, assez vive, courageusement elle s’insère dans la file des vélos sur la piste cyclable. Je suis à quelques mètres derrière elle et je ne veux pas la perdre de vue – elle me rend curieuse. J’ai hâte de la rattraper quelque part et si j’ai de la chance, je peux me retrouver à ses côtés et peut-être voir son visage … La route est longue, mais enfin, au prochain feu rouge je la rejoigne.

Puis je vois son visage – marqué par les années et jeune à la fois, ravissant. Ses yeux bleus sont entourés de petites rides et le bord de son chapeau rouge les fait encore plus rayonner… Je la salue en lui faisant un compliment sur son beau chapeau, ce qui devient le début d’une communication joyeuse. Nous partageons quelques fragments de nos vies jusqu’au moment où nos chemins se séparent, c’est à dire devant la porte du supermarché où elle veut faire ses courses …

Sabé

FRAGMENTS DIALOGUES

  • Pourquoi étais-tu là ?
  • Je venais rendre visite à la future maman, la soutenir dans ces heures douloureuses avant la naissance.
  • Et l’as-tu vu ?
  • Non, je ne l’ai pas vu. Elle venait de partir en salle de travail, une infirmière m’a proposé d’attendre si je voulais.
  • Alors qu’as-tu fait ?
  • J’ai hésité. Rester, oui, mais combien de temps, peut-être longtemps. J’avais le temps, l’envie de soutenir à distance ces amis-futurs-parents, alors je suis restée.
  • Et que s’est-il passé ?
  • Tout s’est accéléré. Le couloir était agité ; j’entendais crier ; l’atmosphère était chargée.
  • Et puis ?…
  • C’est là que c’est arrivé, un instant magique où le temps s’est arrêté, où le silence a dominé, où je ne comprenais pas ce qui se passait. Je ressentais une intensité ; la vie était en suspend.
  • C’est fou ça ?
  • Oui c’est fou, ça a été fulgurant. L’instant d’après, j’ai ressenti la vie refaire vie, l’énergie circulait, l’atmosphère s’allégeait. Je savais, il était né ».

Anne-Sophie

Café-clope

  • Quoi Mamie, tu as été fumeuse, toi, vraiment ?
  • Oui, c’est en révisant mon bac que j’ai commencé ce qui est devenu le rituel du café-clope …
  • Mais c’est mauvais, de fumer !
  • Tu sais, ma chérie, si c’était juste “mauvais”, personne ne fumerait, tu ne crois pas ? Et puis, c’était tout un symbole. Un petit noir et une grande blonde, ça te faisait grandir d’un seul coup, et de pas mal d’années même ! Ça te donnait un look affranchi, tu vois ! D’ailleurs c’était aussi un acte de rébellion : une fille n’était pas censée fumer, surtout en public.
  • Mais tu aimais ça ?
  • Oui, c’était bon ces cafés-clopes quotidiens ! leurs âpretés mêlées, la fumée de l’un répondant à celle de l’autre, chaleur et intensité…. C’est vrai que le tandem devenait bien vite un couple exigeant, puis délicieusement addictif, et pour finir un couple infernal qui réglait ta vie pour longtemps, le café appelant la clope et la cigarette demandant sa dose de caféine !
  • Tu regrettes alors ?
  • Bon, l’habitude naît en un instant alors que le sevrage te prend des années…. et pourtant, non, ma chérie, je ne regrette pas. Parce que c’était bon. Bon d’avoir 17 ans. Bon de se sentir rebelle. Bon d’aller au café et de fumer comme une adulte. Alors, au contraire, je leur dit merci, à ces chers cafés-clopes de ma jeunesse !

Et d’ailleurs, j’ai eu mon bac, non ?

Clarisse

Pourquoi es-tu en train d’écrire ?

  • Tu sais bien, je te l’ai dit mille fois, j’ai eu un accident et je vais pondre un article pour une revue de montagne, de toute façon je suis immobilisée, j’ai des fractures, la montagne c’est fini momentanément.
  • Pourquoi fais-tu de la montagne, toi ?
  • J’adore grimper, pour le «fun ». Pas d’objectif, on monte et l’on redescend.
  • Mais dans quel but ?
  • -Pas de but précis, on est «des conquérants de l’inutile».
  • Mais c’est débile : monter et….. lis-moi plutôt ce que tu es en train d’écrire. 
  • « A cet instant-là, à la vitesse d’un bolide au 24 heures du Mans, je dévale la pente à 45 degrés du glacier de l’Envers des Aiguilles. J’ai perdu l’équilibre après 600 mètres  d’ascension dans un dédale  de séracs, de crevasses. En dévissant, je n’ai pas perdu mon piolet,  il est mon compagnon de cordée le plus précieux car lui seul peut enrayer ou freiner ma chute vertigineuse. J’essaye de l’ancrer dans la glace, mes efforts sont surhumains mais inutiles. Je franchis une rimaye et bascule tête la première, je finis par le lâcher, il voltige comme un acrobate et même s’envole dans le ciel et brusquement plonge et disparait. J’ai perdu mon ami, je suis en colère. Mes ongles griffent la glace. Ma peau sous l’effet abrasif de la glace et des graviers est éraflée, elle saigne et laisse se dessiner un beau ruban rouge. Un grand saut dans le vide, un labyrinthe de glace, sans trace humaine, ni perspective, un peu fantasmatique et monstrueux. C’est un univers glacial, transparent et ténébreux. J’ai peur, la réalité tend à se dissoudre, ce qui m’attend  est tragique. Le silence, un froid sidéral, du bleu partout mon réceptacle est un souterrain mais pas celui « d’Alice aux pays des merveilles », ni « la caverne d’Alibaba ».
  • Mais je ne comprends rien ! Vous montez et redescendez une paroi, un glacier, sans objectif, mais c’est insensé.
  • C’est toi qui m’a appris la montagne, grand père, c’est toi qui voulait que je sois la première femme guide de la vallée.
  • C’est impossible, moi je ne sais que nager et voler avec mon parapente.
  • Tu es l’inventeur des « spits », des «robots guides», des compétions des « premières et des dernières » et les écolos quand ils ont compris que tu dynamitais les sommets pour avoir des itinéraires vierges, ils ont mis un véto.
  • Ma mémoire me fait cruellement défaut, je ne comprends rien.
  • Tu trouvais les guides trop rustres, mais ça n’a pas marché ton brevet car les clientes elles tombent toutes amoureuses de leur guide et coucher avec un robot ce n’est pas jouissif.
  • Ton papier, nul car lâcher son piolet c’est ridicule, et s’en foutre de faire quelque chose qui ne serve à rien encore plus ! Et ne pas mettre de titre à ta « nouvelle», ça va intéresser personne, sans compter que raconter des accidents pour promouvoir la montagne c’est sordide.

Elisa

Tu ne ne connais pas ton papa ?
Non
Comment c’est possible
Il vient d’une autre planète
Tu racontes n’importe quoi
Non, j’te dit que c’est vrai.
Ça n’existe pas d’autres planètes
Si, il existe d’autres planètes
Racontes-moi
Mars, vénus, Jupiter et celle du Petit Prince
Et alors ?
Il n’a pas pu aller avec le Petit prince, sa planète est trop petite. Il y habite déjà avec une rose
N’importe quoi
T’a qu’à pas me croire; Moi je sais que c’est vrai
Mais où il est alors, sur quelle planète
Mon papa est dans la cuisse de Jupiter
Ah bon. Tu l’as raconté aux autres ?
Non

Isabelle

Lui : On se connait ?
Elle : Oui, on se connait. Je suis venue chez vous un jour… D’ailleurs on se disait tu.
Lui : Chez moi ? Comment ça ?
Elle : On s’était rencontré sur la place principale de ton village. J’étais avec un garçon : Nat., et tu nous as invités à venir boire un verre chez toi…
Lui : Ah oui… Les français… Lui, je m’en souviens, mais toi… C’est flou.
Elle : C’est peut-être parce que j’ai été prise par la sensation de disparition dans l’escalier qui menait chez toi…
Lui : Je comprends pas…
Elle :… Oui au moment d’entrer dans ton appartement, je me suis retournée et la vue des montagnes immenses, les sons qui montaient du village en s’enroulant autour des fumées des foyers m’ont fait me sentir minuscule
Lui : Tu avais fumé ?
Elle : Non, pas du tout, mais je crois que j’ai à cet instant-là, pris conscience que je suis le résultat d’un instant fugace.
Lui : Heu… Je ne suis pas sûr de te suivre là…
Elle : Je veux dire que nous autres, on est issus d’une rencontre a un instant T ; Mes parents se seraient aimés la veille ou le lendemain, ce n’est pas moi qui serais là maintenant.
Lui : Ouais ! T’avais fumé !
Elle : En fait ce jour-là, je me suis dit que personne que je connais ne savait ou j’étais, ni avec qui, ni dans quel état, et je pouvais disparaitre sans aucun problème
Lui :… Tu veux dire que tu as eu peur ?
Elle : … Peut-être… En tous cas c’était vertigineux comme sensation. Et puis tu vois, j’ai tout simplement disparu de ta mémoire.
Lui Oui, ou je ne t’ai juste pas imprimé !
Elle :…
Lui :… Bon alors on va le boire ce verre ?

Marie-Julie

Méta-dialogue avec moi-même

Même :           Vous dites que les seuls films que vous aviez vu à l’époque sont des films fixes, un peu comme des diapositives. À quoi vous attendiez-vous donc ?

Moi :               Précisément, je ne savais pas à quoi m’attendre. Pour autant, mon imaginaire d’enfant avait, semble-t-il, interprété l’invitation de mon père d’une certaine manière.

Même :           Vous aviez quel âge à cette époque ?

Moi :               Je ne peux pas vous répondre précisément, si ce n’est par déduction. Nous avons déménagé à K l’année de mon quatrième anniversaire et mon frère a aujourd’hui encore presque deux ans de moins que moi. L’action, si on peut parler d’action, qui se déroule à W doit donc probablement se situer entre le printemps et l’été, mon âge approximatif était donc vraisemblablement d’une cinquantaine de mois.

Même :           Et pourquoi ce souvenir est-il encore présent aujourd’hui.

Moi :               Clairement, la déception que j’ai éprouvé ce jour-là fut considérable. Je pense qu’elle provient d’un malentendu. Le mot film m’a évoqué instantanément une séance de cinéma. J’adorais être immergé dans les aventures de Sylvain et Sylvette, car cela éveillait en moi des sensations fortes : peur, angoisse, soulagement et bonheur. Dans cet exercice que mon père nous imposa ce jour-là, il n’y avait rien de tout cela. J’étais incapable de faire le lien entre cette promesse d’émotions fortes et la platitude de cette scène. J’ai du revoir ce bout de pellicule probablement des dizaines de fois, mais cela n’a jamais atténué ma déception face à l’indigence du scénario.

Patrick

– Mamie, c’est joli, ce chapeau que tu portes aujourd’hui ! Je ne l’ai jamais vu !

– Tu as raison, ma puce, je ne l’ai jamais porté jusqu’à présent.

– Tu l’as depuis longtemps?

– Oui, ma petite, mais je n’ai jamais osé le porter en publique.

– Et pourquoi tu le portes aujourd’hui ? C’est beau d’ailleurs !

– J’ai été inspirée par une mamie encore plus âgée que moi.

– Quel autre mamie ?

– Je l’ai rencontrée hier.

– Hier ? Où ça ?

– Dans la rue. Quand je roulais à vélo.

– A vélo ?

– Oui ! Tu imagines, elle pédalait à vive allure devant moi.

– Elle était donc en bonne forme…

– On peu le dire. Elle a eu un peu de mal à monter sur son vélo, mais après, moi j’ai eu du mal à la suivre.

– C’est drôle, Mamie ! Mais le chapeau ?

– Elle portait un chapeau.

– Mais c’est normal ! Il fait froid !

– Oui, mais elle portait un très beau chapeau. En rouge, tu vois ?

– En rouge ? Comme le petit chaperon rouge dans mon livre?

– Non, ma puce. Beaucoup plus élégant. Comme les femmes les portaient il y a très longtemps. Je l’ai vu dans les films des années 20.

– Il était spécial alors ?

– Oui, un rouge vif et une forme ronde avec un petit bord un peu renversé. Mais c’était surtout ce visage rayonnant que j’admirais en-dessous de ce chapeau.

– Mais comment as-tu pu voir son visage, tu m’as dit que tu étais derrière elle !!

– Ta remarque est très pertinente, ma petite. En fait, on s’est arrêté au même feu rouge et on s’est salué.

– Qu’est-ce qu’elle a dit ?

– C’est moi,qui est engagée la conversation. Je lui ai fait un compliment pour son chapeau et puis nous avons continué la route côte à côte et elle m’a raconté sa vie.

– Toute sa vie ?

– non bien sûr. Mais des fragments très intéressants. Elle a vécu des choses incroyables. Et elle n’a jamais perdu son courage.

– C’est pour ça, toi aussi, tu veux être courageuse ?

            – Un peu comme ça.

– Alors qu’est-ce que je peux mettre sur ma tête, Mamie?

Sabé

Caresse à la fleur de nos peaux

Peinture de Christine Hamann

Florilège de mots et d’expressions sur le thème de la caresse

Toucher – peau – sens du poil – caresses et bises à l’oeil – envelopper – partager – contour – tendresse – douceur

quelques mots de plus, issus de caresse

care (en anglais) = attention

ressac -sacré – arc

mais il y a aussi

crasse – casser – caser – cesser – race – acre – écrasé – acéré – esse – sac

secare (en latin) = couper

créasse (un imparfait du subjonctif)

scare (en anglais) = effrayer

César, un nom pas si propre, puisque c’est surtout une figure

pour finir, quelques mots glanés chez les autres écrivants 

décrispation – chair de poule – frisson – lien – caresser une idée – velours – ange – frôler – bouche – mains – contact

Patrick

DES CARESSES A FLEURS DE PEAU

J’avais 7 ans, j’apprenais à lire. « c et a » ça fait quoi comme son «K» il faudra te le dire mille fois. CA/RE/SSE. C’est quoi les caresses ? Dépêches toi, lis, il faut aller te coucher, il y a école demain. A la maison, pas de câlin, pas de cajolerie, pas de bisous, ni de yeux doux ou tendres pour me consoler, me cajoler. Pour avoir des caresses je m’offrais au soleil, au vent ou me frottais contre le dos du chat.

A 15 ans avec mes copines je chantais  «pour un flirt avec toi, je ferai n’importe quoi» et alors que pour elles, leur but était de ne pas oubliez  de séduire les garçons, de jouer de leurs codes. Liberté, liberté, le sexe est un jeu pas un enjeu. Mon objectif  à moi  était : étudies sans relâche, peines, rapportes des notes excellentes, car un secret me glaçait.

Pour ne pas qu’elles se moquent de moi, je leur racontais ma difficulté ; ma mère était fille mère. La honte qui rejaillissait sur elle « une pute », les souffrances  d’être seule en 1939 pour accoucher et élever un enfant sans père. Comment ne pas avoir la sensation que le moindre attouchement pouvait me mettre «en cloque » comme le chantait Renaud. Je ne voulais pas être coincé auprès des garçons, mais l’épée de Damoclès surgissait, et au moindre effleurement je me transformais en statut de sel,  toutes mes cellules se regroupaient en murailles de Chine. Même les sourires, les accolades, les amabilités étaient interdits, et pourtant on m’apprenait que les interdits sont faits pour être franchis, détruits, piétinés afin que d’autres apparaissent encore plus infranchissables et surtout plus enviables.  Essayer d’être  caressée par les mots, ou la littérature érotique qui ne manquait pas et attendre d’avoir la bague au doigt. Ou mieux encore comme Cendrillon attendre le prince charmant, et celui-là ne se fit pas attendre, des ailes me firent m’envoler vers les rivages de la jouissance, de la volupté, du donner et du recevoir, de la grande aventure de l’amour.

Elisa

Pourvu qu’elle vienne ce soir. Dans le noir, avec mes mains je dessinerai ses contours en ombre chinoise. À l’aveugle, je toucherai sa peau, ses émotions, ses frissons, et se dessinera dans le soleil couchant le paysage d’un lac entouré de montagnes. Un cormoran solitaire file au raz de l’eau. BART

Caresse à la fleur de ma peau

Lorsque ma main prend doucement ta main.

Tu as répondu à mon appel et nous voilà face à face dans cette grange fleurant bon le foin, éclairée par les rayons du soleil se faufilant au travers des poutres disjointes.

Sous nos pieds, les vaches ruminent tranquillement. Nous les entendons. Nous les sentons aussi. Quelques mouches volent autour de de nous. Peu importe, nous sommes réunis.

-C’est la première fois ? me demandes-tu dans un souffle

-Je te réponds « oui » dans ton cou qui sent si bon.

Le foin accueille nos corps assoiffés.

Nos mains dansent.

Je ferme les yeux. Nous nous laissons transpercer par ce désir si puissant qui nous élève, nous transporte loin, si loin….

Quand enfin nos souffles s’apaisent, je te regarde, tu me regardes.

Je te dis « je t’aime ».

« Je t’aime aussi » me renvoie l’écho de ta voix.

Élisabeth

Caressefiction

Ils se rapprochèrent cet hiver. Ils dansèrent. Une bise, pas plus. Il parle des retrouvailles en été et qu’il aimerait passer des vacances avec elle, voyager ensemble en roulotte. Elle écoute ses rêves et sa peau languissante lui supplie d’arrêter de caresser l’idée :

Caresse-moi !

Sabé

Caresse à la fleur de ta peau

Évocation douce du présent infiniment présent, absorbé dans l’instant. Évocation forte d’un passé que tu croyais oublié, de sensations qui t’ont construite, de moments de plaisirs qui malgré tout le reste, méritent d’être élevé au rang de souvenir, de souvenirs inconscients bien sûr.  Ton corps porte tous ces souvenirs quand il se gonfle et s’offre à nouveau, neuf, à l’oubli de tout …

Caresse à la fleur de ta peau. Absorbée dans l’instant, tu parcours les pairies imaginaires du bonheur, dans les herbes hautes et sauvages. Tu laisses couler la lumière, tu montes vers le soleil. Ta peau se réchauffe et ton corps prend son envol. Évocation forte d’un présent étiré, prolongé infiniment dans un futur qui nous semble éternel.

Éternelle, la douceur d’une caresse. Éternelle, la sensualité de nos corps mortels, faits de caresses et de peau. Nous ne sommes que promesse.

Les oiseaux volent dans le ciel.

Bart

Je te caresse

un manteau mamie-m’aime

te couvre la nuit

Sabé ©2021

Souffle dans ton cou

Étreinte de nos âmes

Corps à l’unisson

Élisabeth

Flirt

Une nouvelle fois, aile déployée, il tutoya la crête écumante, Raphaël aquatique.

Retournant au contact de la lame, il se se sentit basculer.

À tant vouloir caresser les sirènes, il se laissa engloutir par les flots.

L’océan le dévoila, débarrassé de ses oripeaux, nu comme un ver.

Patrick

État d’urgence


Une caresse à fleur de peau avait suffit à la réveiller.

  • J’avais oublié
  • Je ne le crois pas
  • Ces fragments d’inconscience suspendus à son souffle s’étiraient jusqu’au jour, dans un espace demeuré vacant. Ils s’étaient retrouvés dans les coulisses du petit théâtre fermé depuis quelques mois maintenant.

Point de scène Point de jeu Point d’applaudissement.Il faisait froid. Le rideau de velours rouge était à terre et ils s’en étaient servi comme témoin intime à leurs ébats, ou plus simplement pour se réchauffer. Saisissant le lieu autant que l’instant.

-Tu as froid ?

-Non. Euh, si

– Allons dans une des loges

-Non, restons là.

Comment figer cet instant avant qu’il ne leur échappe ?! Dehors, le monde avait basculé; la foule, les cris, les arrestations. L’état d’urgence avait sonné.Tant qu’il était encore temps, ils avaient couru jusqu’au fond de l’impasse, poussant brusquement la porte « Sortie des artistes » pour trouver refuge dans ce petit théâtre.

-Tu crois qu’on va mourir ?

-Oui, je le crois.

Elle ouvrit soudain les yeux. C’était dimanche. Il faisait beau. Le soleil était à fleur de peau.

Régine

Ta main dans ma main

Mes lèvres sur tes lèvres

Désir de nos corps

Elisabeth

Caresses à la fleur de nos peaux,

le vent marin se mêle à tes perles salées. Le fil de vie qui me cheville à ma frêle planche se tend parfois quand je tente des figures dignes du Kamasutra, puis se relâche au gré de ta fantaisie. Je passe et repasse de ta lèvre à ton épaule, jouant avec ton contour sans cesse changeant, tel un équilibriste sur le fil de ta lame, de ta larme devrais-je dire. Tantôt je me hisse, tantôt je glisse, les sens en alerte, guettant les moindres frémissements de ton enveloppe liquide. Le mat de mon surf, dressé dans l’air instable, griffe l’éther d’arabesques évocatrices, calligraphie suggestive sur des ciels à la Turner. Je reste en contact avec toi, maniant mon wishbone avec lucidité, attentif à tes soubresauts. Je me sens si proche, je prends confiance, évite soigneusement de te prendre à revers, épouse ton profil mouvant, toi mon amoureuse rebelle et sauvageonne. Je tente des défis toujours plus osés, je vis l’instant, scotché entre air et eau. À force de te caresser dans le sens de ma voile, je finis par baisser la garde. Le combat sensuel que nous nous livrons bascule en une fraction d’éternité. Je dérape sur ta frange liquide, et me retrouve avalé par le grand ogre bleu. Qui de nous a trahi l’union sacrée qui nous rendait indissociables ? Je roule et je coule seul à présent, cherchant mon souffle, livré à la furie de ton père impétueux. Notre relation tourne au sado-masochisme, je suffoque et me débats tandis que tu me maintiens la tête sous l’eau, refermant ta membrane liquide sur moi. Quand enfin je reprends pied, je suis éreinté, lessivé, nu comme au jour de ma naissance. Mon idylle avec toi en a pris un sacré coup, la vague vache.
Va, je ne parviens pas à te haïr, dans quelques jours je t’aurai pardonné et nous pourrons reprendre nos ébats de plus belle.

Patrick

Ma main caresse

Le velouté de ta peau

Amour infini

Élisabeth

Une caresse à la fleur de ma peau

Je me tiens debout. À travers ce pays étrange, à travers la pluie, le froid, les petites périodes ensoleillées. Les jours, je ressens le poids de mon sac à dos, j’admire le paysage et mes pieds foulent le sol rocailleux de ton pays. Les nuits, j’embrasse un oreiller modelé de mon pull en laine, et le petit matin au réveil ma main te cherche. Mais je ne te connais pas encore.

C’est juste à mon arrivée en ville que je te rencontre par hasard à l’arrêt d’un bus.

Tu me montre ta ville. Je me croyais à la fin de mon aventure, mais j’ai eu tort.

La traversée de la rue en pleine circulation à gauche déclenche cette aventure inattendue. Je ressens ton bras dans mon dos – „fais attention!“ Tu ne  me touches pas, mais dans l’air ton bras forme un arc protecteur. Quel sentiment inhabituel – quelqu’un me protège. Je ressens ma rigueur s’assouplir.

Nous traversons d’autres rues. Encore et toujours ton bras est là. Comme par hasard, il se rapproche de mon dos. Et mon dos se rapproche de lui. Mes épaules se relâchent, lentement les tensions fuient mon corps et commencent à céder la place à une chaleur qui semble se dégager de ton bras. Mais non, elle vient aussi de mon intérieur. Entre chaleur et frisson, ma peau ne sait plus faire la différence.

La route décrit un tournant et c’est de la droite que s’approche une voiture que je n’ai pas vu. Tu me retiens en me touchant légèrement à ma taille, rien qu’une caresse à la fleur de ma peau …

Sabé

La Vie Éternelle

Sa caresse à fleur de peau… Encore et encore…

Cela faisait des heures qu’il méditait pour qu’Il le guérisse ; pour que la caresse des Cieux sans relâche lui redonne encore une respiration en plus… Toujours aussi râlante !

— Je vais te guérir définitivement ; crois en moi ! Je suis ton Dieu et ton sauveur…

— Oui Dieu ! Je te crois ! Seul toi peux me guérir. La fièvre de la Covid–19 atteint 41 degrés. Je sais que je suis vieux. Du haut de mes quatre-vingt-dix-sept ans, je sais que je ne dois plus trop espérer… mais quand même ! L’Indochine, l’Algérie, pour le service actif, puis la Bosnie, l’Iraq, Le Mali dans les services secrets… J’ai vu tant de champs de batailles ! Mais il y en a un qui a toujours lieu en moi ; dans mon cœur… Le champ de bataille entre le bien et le mal ! C’est le bien que j’ai choisi depuis moultes années, et pourtant, ce soir, c’est le malin qui a prise, sur mon âme qui te cherche en vain, toi mon Amour, toi mon Dieu !

— Eh oui, mon fils ! Tu as rendez-vous avec lui bientôt ! Toute ta vie j’ai fait en ton nom, le pacte satanique qu’il te fallait pour vivre ici-bas, moi ton Dieu. Tu m’as laissé libre de mener ta vie à ma guise. Tu en as sauvé des vies ! Tu as reçu des médailles pour cela ; sans jamais tuer, malgré ton métier de soldat. Tu as su éviter de donner des coups, et tu as réussi à sauver deux cents trente-sept vies. Tu vois, je les ai comptées… Lui aussi, les a comptées avec rage. Moultes fois il a mis sur ta route l’obstacle du meurtre d’autrui… Et moultes fois tu l’as évité ! Comme cette fois au Tonkin, où tu as été torturé pendant des jours et des nuits avant d’être sauvé par tes camarades de la légion ! Tu vois, je tiens ton grand livre de la vie à jour, pages par pages, paragraphes par paragraphes et mots pour maux !

— Alors grand Dieu ! Tu vas me sauver encore une fois ! Je peux encore vivre cinq ans, dix ans ! Jeanne Calment a bien vécu jusqu’à plus de cent vingt-deux ans ! Allez Dieu, je sais que je n’ai pas toujours été un saint. Mais sauve-moi encore une fois… La dernière je te jure !

Il savait que la caresse des anges et de Dieu pouvait ouvrir les portes des écluses des Cieux…

— Ah ! Ah ! Ah… te voilà enfin, le grand guerrier qui n’a jamais tué !

— Toi ! Que fais-tu là ? Je n’ai jamais pactisé avec toi ! Pars ! Va-t’en ! Je ne veux pas te voir…

— Mais moi j’ai des comptes à te demander !

Je préfère mourir que te voir de près !

Quand il comprit qu’il était mort, que Dieu l’avait pris au mot… il fut soulagé ! De toute façon, sa vie n’avait plus de sens… Il avait un nouveau combat à mener… Son dernier combat de résistant des forces du Bien ! Celui contre le Diable ! Sans armes, sans haine et avec amour ! Pour le repos de son âme… Pour la vie éternelle…

Hugues

Acte de foi par une Caresse à fleur de ta peau

Je ne sais pas ce qui m’a pris soudain d’entreprendre cette ascension à ta rencontre, au beau Hélios. Sans doute ai-je saisi la part d’injustice que revêt le prendre sans donner.

Je ne supportais plus la lasse passivité qui entrainait inexorablement mes semblables à se suffire d’uniquement se dorer la pilule nonchalamment, ventousés à tes rayons comme un bébé agrippé nerveusement au sein de sa mère, sans rien concéder en partage.

Et toi, impassible étoile enflammée, tu te prêtais,  j’imagine fatigué, à ce jeux de dupe. Mais j’ai bien senti que cela finirait par altérer ton sourire à force  de tirer sur la corde. Ton intangible énergie finirait sans doute par se consumer d’impatience.

Alors je me suis dit que cela valait bien en retour que je vienne te rendre une once de pareil, en te gratifiant d’une caresse. Je n’ai rien calculé sur l’instant, j’ai juste estimé qu’il était  plus que temps de te renvoyer l’ascenseur et grandir en essence à tes cotés.

En m’adonnant à cet élan naïf, j’ai eu le sentiment de te renvoyer, à ma mesure, un brin d’équité. Il n’y avait rien de prémédité, juste une envie démesurée de prouver à ta face, par mon étreinte, qu’il n’y a pas de donner sans recevoir et vice versa.

Je ne veux plus d’un déséquilibre entre nous, ni d’une relation de Père à Fils, de créature à créateur, mais juste être à ton image. Au travers de cette relation réinventée, les perspectives s’ouvrent, ainsi que le champ des possibles. Je sens que ma part d’enfance et d’adolescence cohabite enfin avec cet adulte créateur que je veux être…J’exprime le vœu pieu silencieux que cela se fasse en ton sein, toi l’exhausteur du goût de la Vie, le sel de la terre et de nos talents cachés.

Yoan

Nanofictions

Bruits de pas dans la neige crissent dans mes oreilles. Rires des enfants, au loin. Je ferme les yeux. Le froid me donne la chair de poule. Soudain, mes yeux rencontrent l’eau figée. Me voici attirée dans ce cristal et aspirée par celui-ci. Baignée dans la lumière du soleil couchant je m’envole tel un ange

Juste avant de tomber dans les bras de Morphée, une pensée vint caresser mon âme. Demain, le reverrais-je ? le sommeil s’empare alors de moi. Je me vois m’élever de ma couche, atteindre la lune, traverser les cristaux d’étoiles. Ma peau devient lumineuse. C’est maintenant que je le vois.

Ma main effleure la tienne, timidement d’abord, elles se trouvent et se serrent enfin. Je suis là, tu es là. Je ne te quitte pas même si pour toi l’heure du grand voyage a sonné. Je ferme les yeux, tu frémis. Ne t’inquiète pas. Soudain, une musique nous enveloppe, tu es parti. Je reste avec nos souvenirs.

Élisabeth

Surfeur au soleil

Englouti par la vague

Adam renaît

Patrick

Une étincelle de magie dans la vie ordinaire

ORDINAIRE ORDINAIRE… selon Tonio

« ORDINAIRE « 

ordonnance, maladie, convalescence, revenir à l’ordinaire, à l’ordre, désordre, ordonner, coordonner, ranger et déranger, dérailler, jouer, s’amuser, sautiller, s’envoler, être libre , rire, re-spi-rer !

Playdoyer pour ou contre l’ORDINAIRE :

Oui, ordonner, mettre de l’ordre, organiser ma vie…mais j’aime improviser, m’échapper. Nous étions faire quelques achats « de première nécessité » de l’autre côté de la frontière, et voilà que j’aperçois la neige sur les hauteurs de la Forêt Noire. « Et si on montait là-haut… allons-y ? » Le vent dans la forêt, éclairée par la neige. Un ciel gris, mais la neige à perte de vue sur les collines. On a fini par avoir froid, l’auberge était fermée. Retour à la maison. La tête vidée, lavée, reposée par le blanc de la neige.

Ode à l’ordinaire

Ordinaire, ordinaire, comme un ver, petit ver de terre, verre en verre, verre de cristal, terre de cristal, lucide, froide et étale. Fragilité de l’instant, ordinaire, ordinaire, la vie de tous les jours, la vie des amours. Donner des mots et du temps, prendre le temps d’écouter l’amie. Elle qui pleure la vie et la mort subie, elle toute angoisse devant la mort, le traitre blotti. Elle s’effondre de peur de cette lourde vie, alors être dans l’ordinaire avec mon amie, ma chère et fragile amie.

O = eau, océan; R = roulis, rêve, rouler; D= demain; I= île dans l’océan; N=naviguer, nager; A= aérien; I-îlot, island, Insel ; R= rapidement; E= échapper, éloigner, étranger

Il était une fois dans un monde ordinaire un enfant …  Déjà un peu plus grand, peut-être même un adulte. Et cet enfant voulait voir l’océan, il voulait voir les roulis, les vagues, et entendre leur roulement. « Demain, j’y vais ! »

Il naviguait alors jusqu’à une île, « eine Insel im Ozean ». Il avait réussi à s’échapper, léger comme une mouette. Heureux de cette nouvelle liberté, aérienne, bien qu’un peu seul sur la plage secouée par le vent. Mais voilà qu’arrive au bout de la digue, un vieux chien, un nouvel ami ?

Station service Mobiloil de Trudo de E. Hopper

Les adieux

« No, Harris, no, I’m really sorry… mais je n’en peux plus. Je m’en vais, Harris darling, un jour tu comprendras. Je dois partir, j’étouffe. Ma place n’est plus ici. Harris, please, ne m’en veux pas, laisse-moi y aller. I’m so sorrry, darling. « 

Elianor avait pris son sac et claqué la porte d’entrée. Subitement, il avait réalisé qu’elle avait préparé ce sac de voyage depuis un certain temps déjà. Qu’elle avait même pris son manteau de pluie beige et le petit chapeau gris.

Le vieux chien avait sauté sur le fauteuil près de la fenêtre et, comme Harris, il regardait Elianor s’éloigner sur la route goudronnée. L’air au-dessus de la route noire vibrait, depuis des mois le soleil de midi cognait dur.

Elle doit aller vers l’arrêt de bus, pensait Harris, le seul endroit d’où elle pourrait partir de leur petite maison. La maison que le couple habitait depuis trente-cinq ans, cette maison où elle avait mis au monde leur fils, John, il y a trente ans, et cette maudite maison où elle avait pleuré tant et tant d’heures.

Il est tard. La nuit vient de tomber, Harris sort vérifier une dernière fois la pompe à essence. Ça aussi c’est son job, la pompe apporte un petit supplément.  De temps en temps, un voyageur vient faire le plein. Dans cette région où les champs s’étendent à perte de vue, peu de voitures s’égarent. La pompe à essence met un peu de beurre dans les épinards. Avant, les champs de maïs rapportaient pas mal, mais le soleil d’été brûle de plus en plus souvent sur pieds les céréales qu’il vendait à bon prix il y a encore quelques années. Depuis la mort de son père Harris senior, il avait dû céder la moitié des champs à son frère aîné. Et là, devant le notaire, il n’y avait rien à discuter.

Avec la chaleur des nuits d’été, il faut vérifier que les becs des pompes soient bien raccrochés. Un accident est vite arrivé. C’est la dernière chose qu’Harris fait tous les soirs avant de se coucher, avant de lire quelques lignes dans sa bible et d’éteindre. Le chien revient avec lui dans la maison et se couche à la cuisine. Le vieux chien se couche toujours sous la table, comme si c’était sa niche. Un chien errant qui un jour les avait choisis comme sa famille. Un bon chien, fidèle comme la faim.

Harris monte dans la chambre, se rince la bouche, pose son dentier jaunâtre dans un verre à eau à côté du lit et prend sa petite bible en cuir noir. La nuit est étouffante, rien à faire. Il se relève et prend une douche. Même l’eau de la douche est tiédasse, la vieille canalisation chauffe.

Il ouvre sa bible, Mathieu 6, 14 : “Si vous pardonnez aux hommes leurs offenses, votre Père céleste vous pardonnera aussi ; mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père ne vous pardonnera pas non plus vos offenses“.

Harris regarde le ciel noir d’encre devant la fenêtre ouverte, pas un souffle d’air. Au loin, aboie le chien du voisin, enfin, si on peut dire voisin de quelqu’un qui habite à deux kilomètres et demi.  La chaleur stagne dans la chambre, dans la cour, dans le jardin trop sec, dans les champs arides et dans la plaine brûlée. Harris entend son cœur battre dans son crâne.

« Pardonner, yes I will . » Harris avait beaucoup pardonné, il était patient et même tellement patient et généreux qu’on le prenait des fois pour un idiot.

Il avait pardonné que sa mère lui ait toujours préféré son frère, que son père le battit pour rien, qu’Elianor aille si souvent à l’église qu’il avait dû admettre qu’elle y retrouvait le père Charles, et que ce n’était pas que pour prier, répéter les gospels pour le dimanche suivant, décorer l’autel pour Thanksgiving ou se confesser.

Harris avait encaissé et pardonné toute sa vie. Et maintenant qu’il fermait ses yeux, il entendait la porte qu’Elianor avait claquée. Comme une gifle.

Elianor avait pris une chambre dans le petit motel près de la plage. Le matin, elle entendait la rumeur des vagues, même si la chambre la moins chère ne donnait pas sur la mer, elle pouvait entendre le grondement des rouleaux. Le ciel au-dessus des garages était d’un bleu navy. Ce fier et lumineux bleu de la marine américaine. Elle n’avait presque pas dormi, tout était revenu, comme l’odeur écœurante et acre des égouts remonte les jours d’orage. La naissance de son bébé, Johnny, son beau garçon, son petit toujours impatient, son fils espiègle et joueur. Puis, il était devenu son grand John, étudiant fier et droit dans son uniforme de l’Ecole de la marine. John parti au Vietnam, laissant un grand vide dans la maison. L’attente des cartes ou rares lettres.

Un midi, la lettre est arrivée, cette enveloppe verte olive annonçant qu’il était tombé dans un combat, là-bas. Elle se souvint qu’une nuit noire était tombée sur ses yeux et qu’elle s’était réveillée allongée sur leur lit. Le vieux Doc Miller se penchait sur son bras, il lui avait pris la tension.

« C’est l’émotion, ma pauvre Elianor, c’est l’émotion. Un si jeune homme, pardonnez-moi, mes amis, je suis touché. Toutes mes condoléances, vraiment de tout cœur toute ma fidèle amitié vous accompagne, Harris et toi. « 

Doc Miller lui avait ordonné quelques jours de repos, ne pas sortir avant la cérémonie, le plus possible se reposer et boire beaucoup de thé frais. Eviter le soleil. Doc Miller avait demandé à son épouse d’aider Elianor à préparer son départ.

Elle se souvenait juste de la sonnerie aux morts, le son aigu d’une trompette et ensuite le défilé cadencé des « boys »de la Marine. Ils avaient mis un drapeau sur son cercueil. Les « boys » portaient le même uniforme que John. Quelqu’un avait fait un discours – aucun souvenir, pas un mot, il ne restait qu’un grand vide dans sa mémoire. 

Les amis de John, ses camarades, tous aussi jeunes étaient là, silencieux. Leurs visages pâles et graves comme coupables. Tout cela était là dans sa tête, comme un bloc de béton. Ce jour-là, son cœur s’était rétréci. Il était rentré dans sa coquille d’escargot, elle étouffait sous la chape de chagrin. Elainor aurait voulu se coucher avec son bébé dans sa tombe.

De de retour chez eux à l’ombre du grand chêne près de l’église, il y avait eu le défilé des habitants, leurs pauvres mots de condoléance qui n’en finissait pas. Elle avait dû prendre une chaise pour ne pas s’évanouir à nouveau.

Elle pouvait encore entendre les pas rapides de John qui descendait l’escalier. Elle pouvait encore voir ses grandes mains qui lui tendaient l’assiette. Elle pouvait encore entendre son rire quand le chien attrapait le ballon au vol. Elle l’entendait pleurer quand il était tombé de son premier petit vélo.

 » Je suis morte avec mon fils », elle l’avait souvent pensé sans jamais oser le dire à son mari. Ce pauvre Harris encore plus ridé, taiseux et maigre depuis la mort de son unique fils. A quoi bon maintenant la ferme, les champs, tout ce dur travail qu’il ne pourra transmettre à personne.  Dans ces années-là Harris avait dit à Elianor :  » Ecoute-moi bien, Elianor, je donnerai tout à l’Eglise. Toi, tu auras la maison, ma retraite et mes économies. Mais les champs, la grange, le tracteur et les machines, je donnerai tout aux pauvres. Au moins, j’aurai fait une chose utile dans ma vie.  » Voici ce qu’il avait dit, son vieux Harris, inconsolable du chagrin de leur unique fils que la guerre leur avait pris.

A l’église Harris avait bien entendu les mots de consolation du pasteur.  Mais si, il le reverra, son grand John. Le Seigneur nous accueillera dans sa vaste demeure et que là-bas nous serons tous unis dans l’Amour inconditionnel et éternel, dans la belle fraternité de la plus grande des familles, celle de notre Seigneur. Oui, il y aura petit John et aussi sa mère Eliette, son père Harris senior, son premier chat Milky, le cheval de son grand-père Doland  …

Un grand ciel bleu envahissait la chambre d’Elianor au motel. Elle avait pris un verre de café glacé, au moins ce petit cadeau, elle pouvait se l’offrir. Sortir, marcher, boire un café glacé avec une boule de vanille sur la dune et regarder les vagues.

Puis elle avait marché une heure sur la digue le long de la plage et ses pas l’avaient ramené vers l’arrêt de bus. Elle était remontée dans le bus. Sa maison était là-bas.

De loin Elianor voit la voiture du Doc Miller devant leur maison. Cette voiture noire vibre au soleil de midi. Comme un grand cercueil noir, pense-t-elle le temps d’un éclair. Alors elle court, elle trébuche, elle tombe sur le macadam, elle saigne du genou, elle avance en boitant vers leur maison.

Le chien lui fait la fête, il lui fait mal en griffant son genou blessé. Elle entre dans le couloir sombre et voit le Doc sortant de la cuisine, le visage grave, refermant sa sacoche.  » Ma pauvre Elianor, Harris n’est plus avec nous. Viens ma chère Elianor, donne-moi le bras, viens t’asseoir au salon, nous allons ensemble dire une prière pour ton mari Harris. »

 » Notre père …. ».  Elianor écoute la voix du vieux Doc Miller dire calmement cette prière. Elle ne retrouve pas une phrase de cette prière mille fois récitée depuis son enfance. Elle n’en reconnait pas un seul mot. C’est comme si elle ne l’avait jamais entendu.

 » Notre père …  » Elianor revoit son père, le jour elle entrait à son bras dans l’église pour épouser Harris. Je n’ai eu qu’un père pense-t-elle, et c’est mon père, celui qui m’a appris à rouler à vélo. Celui qui m’a appris tous les noms des plantes de la ferme.

A présent elle se sent vide. Elle se voit de l’extérieur, une forme immobile, comme une montre qu’on aurait oublié de remonter.

Elle prend une grande inspiration. Le Doc dit toujours sa prière. Alors elle sent doucement, tout doucement quelque chose qui s’enlève de ses épaules. Elianor sent qu’elle marchera sur une longue route, seule, avec le vieux chien à côté d’elle. Sans but, juste marcher.

Tonio

ORDINAIRE, ORDINAIRE, selon Sabé

Ordinaire – grille de mots

O – Océan

R – Rails

D – dérouté   (verwirrt!)

I – intimité

N – nul

A – aspirer

I – indicateur

R – rouler

E – exemple

Il était une fois dans un monde ordinaire…

dans l’intimité d’un petit port à l’autre bout de l’océan surgit de nulle part : cette vieille barcasse bleue, signe indicateur secret de la prochaine livraison.

À coté du village portuaire, des wagons qui ne roulent plus sur les rails garantissent la meilleure planque et en vu de ce gardien dérouté, la contrebande devient parfaite.

Exemple de survie.

Pour ou contre l’ordinaire

Vivre. Chaque jour. De jour en jour, pendant cette année bouleversante. La vie de tous et de chacun.

L’extraordinaire devient le quotidien, l’ordinaire. Suis-je pour ou contre ?

Hors  de question, l’extraordinaire est ordonné.

Je préférerais choisir.

Et à la fois, je ne suis pas capable de choisir, de préférer l’un plus que l’autre.

Un jour pareil à l’autre, ce long enchaînement : se lever, manger, travailler, se coucher sans interruption, me tue. Il n’y a plus de créativité, plus d’enthousiasme, plus de nouveaux souvenirs, mon cerveau s’endort, ma vie s’endort, je m’endors, morte quoique vivante.

Hélas ! Mais cet extraordinaire nous sert une variante chaque jour.

Effarouchée par tous ces changements de vie, du travail, des règles, des loisirs, des relations et même des amitiés, quand aucun planning ne survit plus la prochaine semaine, le prochain jour, parfois même pas la prochaine heure – je suis épuisée. Tout cet extraordinaire me fatigue.

Je cherche mes repères dans l’ordinaire, le rythme de mes jours. Inspirer. Souffler. Activité et repos. Réflexion et lâcher prise … afin d’affronter l’extraordinaire.

L’un n’est pas vivable sans l’autre.

Ordinaire ordinaire

suivant les traces de nos mères

nourrir, sourire, servir

à la vie, la soutenir

Ordinaire ordinaire

la vie à venir,

contre tout désespoir

voir – il y a un futur

Ordinaire ordinaire

porté par nos pères

leurs efforts, leurs pleurs

bien cachés – aimés

Ordinaire ordinaire

de jour en jour

encore – un – pas –  pour

nourrir, sourire,

un jour mourir

dé-couvrir

d’ordinaire

vers le ciel cette échelle

d’étincelles 

Station service Mobiloil de Trudo de E. Hopper

Essence

« La vie ordinaire est une vie de détails, une vie vue de près, de beaucoup trop près, ça colle, on s’englue, et on fini par ne plus bouger … » *

… ne plus bouger. Ne plus bouger que ces quelques pas entre les trois pompes à essence, ma petite cabane et le dépôt à sa gauche. Quelques pas autour. Je ne me promène même pas dans la forêt, cette forêt trop dense, trop sombre, trop terrifiante qui abrite ces créatures maudites.

Je n’avais jamais voulu rester ici. Arrivé à cette station il y a 2 ans, je comptais y travailler quelques semaines, le temps que ma famille me rejoigne pour ensuite vivre dans notre nouvelle maison déjà louée dans la ville à 10 miles d’ici. Une nouvelle vie devait commencer pour nous, mon épouse devait intégrer l’école qui enfin l’avait accepté comme maitresse, mon fils était déjà inscrit à son nouveau club de rugby… Et jusqu’à ce que je trouve un bureau qui m’embaucherait, j’acceptais de travailler comme pompiste auxiliaire, puis on verrait.

On n’a rien vu. Le jour de l’arrivée de ma famille, j’étais de l’équipe du matin. Ils voulaient passer chez moi avant de gagner la ville. Quand j’avais presque terminé mes heures, ils m’ont averti qu’ils arriveraient même plus tôt que prévu.

Presque.

Car lorsque je les ai vu s’approcher. De loin. Un de ces chiens sauvages, mi-chien, mi-loup, émerger au bord de la forêt et sauter sur la route. En un clin d’œil, impossible d’arrêter la voiture. Tout allait trop vite. Un bruit sourd du choc du chien contre la carrosserie, un deuxième bruit effrayant lorsque la voiture se collait contre l’arbre. Je restais figé sur place.

Je n’ai jamais déménagé dans la nouvelle maison. Ils m’ont autorisé à m’installer dans la petite cabane blanche. Il n’y a plus d’équipes, c’est moi qui suis en charge de la station, jour et nuit, pour les rares clients qui y passent.

Je me tiens debout. Je fonctionne. Enlever le robinet, remplissage du réservoir, reposer le robinet, encaisser les Dollars, regarder s’éloigner les voitures vers cette ville.  Les matins et les soirs, je nettoie toute la station, je balais la rue, je ramasse des bouts de papier jetés par des clients négligemment; je polis les pompes, je range dans la petite boutique les bidons de coca dans les étagères, je vérifie l’illumination de la station, chaque ampoule, je monte sur l’escabeau coulissant et j’essuie la poussière de l’enseigne lumineuse.

Me voici, immobilisé dans les gestes de mon quotidien. Je ne regarde pas vers l’autre bord de la route dont les derniers rayons du soleil qui se couche montrent le même vide comme d’ordinaire. Dans quelques instants, je trouverai refuge dans ma cabane, juste un dernier tour pour que tout soit propre. Mais c’est quoi ça ?!? Quelqu’un a coincé un papier entre les jerricanes d’huile – un papier…? Une lettre – qui m’est adressée… à moi…

Sabé

*Incipit, extrait de Adèle van Reeth : « La vie ordinaire »

ORDINAIRE, ORDINAIRE, Selon Yoan

Ode à l’ordinaire

Ordinaire, Ordinaire ! tu piques les orgueilleux jamais alignés sur le Présent ;

Ordinaire, ordinaire ! ton ronflement répétitif fait disjoncter les agités du bocal ;

Ordinaire, Ordinaire ! dans ton regard tu figes les faux-semblants à ton rythme semblable ;

Ordinaire, Ordinaire ! comme tu es reposant par ton pas nonchalant ;

Ordinaire, Ordinaire ! il me faut tellement d’autres ressources pour te saisir que mes effets de toge ;

Ordinaire, Ordinaire ! sans les stimulus de la cité tu me laisse nu et vrai ;

Mettre mon souffle au creux de ton thorax olympien me régénère et cela me propulse dans l’extraordinaire ;

Ordinaire, Ordinaire ! non seulement tu ne refrènes aucune de mes pulsions, mais tu es au contraire mon accélérateur de particules de Vie.

Soleil du matin de E. Hopper

Vous vous mettez dans la peau du peintre qui est en train de créer son œuvre, de saisir cet instantané et d’imaginer la vie ordinaire que vit son personnage, l’étincelle de magie qui pourrait surgir à tout instant

« Le couché de soleil inversé »

« La vie ordinaire est une vie de détails, une vie vue de près, de beaucoup trop près, ça colle, on s’englue, et on finit par ne plus bouger. »*

La femme représentée sur te tableau semble à première vue comme hypnotisée et paralysée par le spectacle qui s’offre à elle au travers de cette fenêtre, lucarne sourde, à défaut d’être aveugle, sur le monde extérieur qui n’attend pas après elle.

Elle se sent démunie face à cette autre réalité qui la défie dans sa torpeur, et cela  l’englouti à cet instant présent. Dans le confort douillet de sa chambre, elle imagine sans mal le sentiment de peur qui agite cette humanité complexe. Un sentiment d’impuissance la percute et la désarme, car elle se sent toute petite et inutile  devant  la fourmilière qui s’agite au-dehors, et à laquelle elle ne prend pas sa part ici-même.

Elle se questionne sur sa contribution à ce monde, qu’elle perçoit de sa chambre comme un théâtre de marionnette.

Elle contemple ce miroir et cherche à saisir quelques échos de la ville. Elle se demande en son for intérieur en quoi elle contribue à ce spectacle si lointain.

Elle se dit finalement que l’existence n’est qu’une représentation à l’infinie de la commedia dell’arte amalgamée à de la réalité à vif… du fictionnel parfois sordide, mélangé à des sentiments vrais et authentiques. Elle ne sait plus très bien faire la part des choses, mais accepte d’être vulnérable et inutile.

Que peut-elle bien pouvoir apporter concrètement, claquemurée dans sa tour d’ivoire et impassible ? Ne faut-il pas juste humblement se laisser  submerger par ce tableau vivant.

Elle sent bien que le fait de ne pas avoir d’emprise directe immédiatement sur le cours des choses et le lot de sa condition trop humaine.

Sa passivité, son arrêt sur image, est tout le contraire des apparences trompeuses, car elle se questionne avec sincérité sur le bienfondé de ses interactions avec ce monde. Elle se confronte à sa propre ombre qui lui tient compagnie, en usant de l’introspection, vraie richesse méconnue.    

La femme sent que son immobilité est  précieuse par certains égards, et n’a rien d’immorale ou coupable. Ce  moment de fixation lui permet de contempler le monde, tel qu’il est en Vérité, sans les artifices ordinaires de l’agitation.  Elle se dit que c’est comme regarder un coucher de soleil à l’envers, avec dans ce cas-là le regard des Dieux et non l’inverse. Peu importe si ces derniers nous trouvent désolant, gauche et futile, car leur mansuétude à notre égard sera toujours plus puissante que leur consternation.

Aussi infime que soit son emprise sur le temps présent, le recul de cette femme offre au monde du sens et elle le sait au fond d’elle comme une vérité absolue. Ce n’est peut-être que le propre sens qu’elle y met ou y trouve, pour autant elle participe à sa manière à poser un regard attendri sur ses semblables, et le si peu rejoint alors le « tant et plus ».   

Yoan

*Incipit, extrait de Adèle van Reeth : « La vie ordinaire »

Photo extrait du film de Wim Wenders, Les ailes du désir

ORDINAIRE, ORDINAIRE, Selon Clarisse

Éloge de l’extraordinaire

Seuls les Flamands chantés par Brel ou les mangeurs de pommes de terre peints par Van Gogh peuvent avec une platitude exaspérante se contenter de l’ordinaire. La beauté de l’homme est de toujours aspirer à l’extraordinaire. Jusqu’à la folie parfois… Tel Don Quichotte sillonnant La Mancha, il est de notre devoir de tenter de nous extirper de la gangue de l’ordinaire. Si nous nous étions contentés de l’ordinaire, il y a fort à parier que nous aurions disparu depuis des siècles. L’humanité, c’est la quête parfois démente d’un possible non encore advenu, non ?

Et si vraiment on veut trouver un refuge et se faire un nid, pourquoi ne pas recourir au provisoire ? Prendre une roulotte plutôt qu’un appartement et un amant plutôt qu’un mari ?

Ordinaire, ordinaire

C’est lourd et gluant et bas comme la terre

C’est gris, ennuyeux et bien trop pépère

pour me plaire

Juste bon pour se taire

Ordinaire, ordinaire

J’en voudrais un solaire

Un chaque jour différent

comme le printemps

Même si ça rend dément

Ordinaire, ordinaire

Pourtant de toi je suis tributaire

Sauf à finir tristement solitaire

car tu règles nos vies

Bien qu’j’en ai pas envie.

Soleil du matin

Je suis là, figée sur ce lit, dans cette chambre d’hôtel impersonnelle, seule face à la ville immense et hostile. La chaleur étouffante de cette fin d’après-midi m’englue. Oui, “la vie ordinaire est une vie de détails, une vie vue de près, de beaucoup trop près, ça colle, on s’englue, et on finit par ne plus bouger.”*

Voilà dix ans que je le retrouve là, dans cette même chambre, tous les samedis entre 10h et 12h.

Voilà dix ans qu’il me dit que c’est provisoire, qu’il va bientôt divorcer, qu’on s’installera ensemble.

Voilà dix ans que je fais semblant de le croire, parce que c’est si confortable d’avoir des certitudes, tellement réconfortant d’avoir une relation, fût-elle bancale, plutôt que de se retrouver seule avec soi-même…

Mais ce qui était extraordinaire – notre rencontre “coup de foudre”, le piment de l’amour adultère, l’excitation exacerbée de l’attente – a désormais pris la couleur terne de l’habitude, d’une vulgaire liaison, d’un ridicule triangle bourgeois.

Et aujourd’hui, en ce jour anniversaire, j’ai décidé de dire “ça suffit ! ”, de me lever de ce lit et, par la magie de ma seule volonté, de reprendre mon autonomie. 

Clarisse

*Incipit, extrait de Adèle van Reeth : « La vie ordinaire »

ORDINAIRE, ORDINAIRE, Selon Beevy

Il était une fois dans un monde ordinaire une anomalie d’intérêt général. Comme à son habitude, le gouvernement, avait fait preuve de raideur à l’annonce de cet évènement extraordinaire. Mais là, pas de tergiversation possible et malgré la rigidité des dirigeants, il fallait se rendre à l’évidence : c’était bien un Inuit qu’on avait retrouvé dansant nu sur le parvis de la cathédrale. « C’est bien original ! » s’était exclamée la ministre de l’écologie des opinions durables.

Il faut du courage pour vivre l’ordinaire. Le détailler, le regarder de près, nécessite tout à la fois expertise et distance. Mais comment prendre de la distance quand on a le nez collé à la vitre ? Commet observer son propre rythme sans perdre son souffle ? Comment, jour après jour, aimer la musique du quotidien sans la trouver lancinante ni répétitive ?

Je me lève. C’est le jour. Rien de remarquable. Et pourtant. L’engagement qui est le mien, dans cette vie, avec cette routine, ces contraintes, appellent une certaine forme de dépouillement. L’ordinaire m’émeut, me heurte et me fragilise à la fois. Je l’aime comme je le fuis. Il est mon agenda intérieur. Il me dérange dans mes aspirations les plus folles. Il est d’intérêt général. Je ne peux faire sans lui. Je dois faire avec lui. Je l’aime comme je le fuis.

Ordinaire Ordinaire

Il ne manque pas d’air cet ordinaire

Toujours là à me rappeler ce que je dois faire

Comment je dois me comporter et de quelle manière

Ordinaire Ordinaire

C’est une mère et un père

Le fondement les repères

Ni tyrannique ni autoritaire

Juste là comme un Roi

Ordinaire Ordinaire

Je me débats je me laisse faire

C’est que je dois aimer ça l’ordinaire

Cette musique répétitive ce quotidien

Les contraintes ces petits riens

Ordinaire Ordinaire

Si on y pense c’est extraordinaire

Tout le courage qu’il faut et dont on a besoin

Pour affronter chaque jour le quotidien

Ordinaire Ordinaire

Il ne manque pas d’air cet ordinaire

A s’inscrire dans ma vie mine de rien

A la rendre rien de moins

Qu’extraordinaire

Beevy

ORDINAIRE, ORDINAIRE, Selon Hugues

Humble

Simple,

Clair

Evident

Religion

Militaire

Exceptionnel

Extraordinaire

Contrordre

Ecrire un texte comprenant ces mots que vous avez choisi sur le thème Ordinaire.

Il était une fois dans un monde ordinaire, des ordres répétitifs dû à des autocrates et des soi-disant scientifiques fit de ce monde un vrai désordre ou tout devenait instable. Même les gens neutres, qui faisaient autorité, perdaient leur idéal de vie en réaction avec cet évident capharnaüm qu’était devenu ce monde.

Acrostiche ORDINAIRE

Ordre

Répétitif

Désordre

Instable

Neutre

Autorité

Idéal

Réaction

Evident

ORDINAIRE

Jeune j’étais ébloui pas les vies extraordinaires des grands artistes, des grands hommes et des femmes d’exception… Le rêve d’une vie de baroudeur et de grand sage m’attirait comme si le cauchemar d’une vie ordinaire me terrorisait.

Mais les ans ont passé. Avec l’âge, j’ai appris la patience. Et avec la patience est venue l’humilité… L’humilité d’une vie simple, ordonnée et bien rangée. J’ai choisi mon camp ! Finis les rêves tonitruants d’impossibles histoires pétaradantes tout autour du monde, voire de l’espace. J’ai compris que derrière ce rêve d’adolescent boutonneux et peureux, se cachait en fait la vraie mort, celle de l’âme perdu dans la fébrilité de la fuite du temps vers le futur ou pire le passé.

C’est dans l’introspection, la méditation et l’oraison que j’ai finalement trouvé mon bonheur… Le bonheur simple de ne plus fuir le temps présent, mais de faire corps avec… avec ce présent ou une mort minuscule se loge dans chaque instant de temps. Apprendre à apprivoiser la mort qui se cache dans l’éphémère ! Voilà le grand rêve que je fais en ces jours de confinement ou le virus tueur rode partout. Elle est prête, l’extraordinaire maladie à s’abattre sur ma tête de mécréant quand je m’éloigne trop du petit sentier humble que me trace cette force d’Amour universelle… Celle qui prédestine à la marche du monde ordinaire.

Apologie ou critique de l’ordinaire.

L’humilité de l’Ordinaire

Fut un temps lointain et passé,

Ou l’extraordinaire rêve

M’éveillait moi le passionné

Pour toute ma vie sans trêve.

Puis lentement les ans sont passés

Et avec ces années la patience

S’est installé dans ma vie illuminée.

L’humilité est venue, fruit du sens.

Extraordinaire ou Ordinaire

Dilemme sans réponse claire.

Finie la course peureuse de l’éternité

Finie, la quête sans fin extraordinaire

Finie la rechercher d’ivresse éthérée

Finie la fuite des temps éphémère

Extraordinaire ou Ordinaire

Dilemme sans réponse claire.

Enfin est venue le temps de vie vraie

Enfin est apparue l’oraison stellaire

Enfin est revenu la mort tant aimée

Enfin est l’éternité de l’atmosphère…

Hugues

ORDINAIRE, ORDINAIRE, Selon Patrick

Nuage de mots en rapport avec ordinaire :

basique, banal, train-train, quotidien, prisonnier, authentique, routine, normal, simple, contraintes.

Acrostiche sur Ordinaire puis placer tous les mots dans un texte en écriture automatique commençant par « Il était une fois dans un monde ordinaire ».

Orange

Raconter

Destin

Imaginaire

Naturel

Artificiel

Idée

Ressentir

Elargir

Trajectoires

Il était une fois, dans un monde ordinaire, un homme et une femme dont le destin allait se croiser. Quoi de plus naturel, me direz-vous, mais dans un monde imaginaire ça ne l’est pas. En effet, il est permis d’y raconter n’importe quoi, y compris les choses les plus artificielles. L’idée même d’une rencontre entre deux êtres n’est pas si évidente si on y réfléchit, car en période de confinement, il est difficile d’élargir son cercle de connaissances. Il faut vraiment ressentir une attraction universelle comme l’orange de Newton la ressentit mécaniquement pour la terre où poussent les orangers.

Pour ou contre l’ordinaire

Echappatoire

Contre la dictature du lien quotidien

Qui l’air de rien nous traite de vauriens

Contre la normalité de la routine assassine

À laquelle la société nous destine, nous confine,

Fuir la banalité de l’étreinte qui éreinte

Pour épouser l’empreinte des ardeurs éteintes

La vie n’est pas cette musique basique

Le chemin authentique ignore le viatique.

« Je ne suis pas le numéro zéro » s’écrie le prisonnier.

En traçant le Z de Zorro de la pointe de son pied.

Du train-train des rudes habitudes imposées

Les contraintes sans crainte il faut faire exploser

Exprimer tout ceci depuis mon asile fut facile

Le réaliser ? Plus indocile sera l’exil.

Transformer le texte précédent pour le rendre (plus?) poétique en utilisant une construction anaphorique : Ordinaire, ordinaire…

Réconciliation ?

Ordinaire, ordinaire,

Tu régentes notre quotidien.

Ordinaire, ordinaire,

Ne sommes-nous donc que des vauriens ?

Ordinaire, ordinaire,

Parfois ta normalité nous endoctrine.

Ordinaire, ordinaire,

Es-tu bien ce à quoi la société nous confine ?

Ordinaire, ordinaire,

Chacun vit la banalité de tes contraintes.

Ordinaire, ordinaire,

Sous tes braises percent des ardeurs éteintes.

Ordinaire, ordinaire,

On voudrait te réduire au basique,

Ordinaire, ordinaire,

Je cherche la voix de l’acide authentique,

Ordinaire, ordinaire,

Prisonnier de mon matricule,

Ordinaire, ordinaire,

Je me rêve en héros à particule.

Ordinaire, ordinaire,

Libre de délaisser ta geôle enfin

Ordinaire, ordinaire,

Il suffit de troquer le masque contre un chemin

Ordinaire, ordinaire,

De fer à la manière d’un pré vert,

Ordinaire, ordinaire,

D’élargir son regard à la terre entière.

Ordinaire, ordinaire,

Avec toi je veux bien composer

Ordinaire, ordinaire,

Pourvu que tes frontières je puisse exploser.

Ordinaire, ordinaire,

Pardon d’avoir été si critique,

Ordinaire, ordinaire,

Un jour il faudra que l’on s’explique.

Patrick

ORDINAIRE, ORDINAIRE, selon Régine

Ordinaire, ordinaire

Tu me réconfortes

Car tu sais que je suis forte

Incapable de me mettre en pause

Il faut tout le temps que j’ose


Ordinaire, ordinaire

Tu siffles à mes oreilles ce temps de pause

Puis là où tu veux, je me dépose

J’irai, soit, le temps d’une courte escapade

Puis reviendrai l’esprit agité, avec en main toujours cet iPad


Ordinaire, ordinaire

Comment fais-tu pour me priver de mes émotions ?

Alors que je passe ma vie à m’engager dans cette construction ?


Ordinaire, ordinaire

Je me glisse en toi comme dans un bain

Comme tu sais ce qui me fait du bien

Et puis soudain tu m’agaces sans fin !


Ordinaire, ordinaire

Je suis lassée tes répétitions

Fatiguée de ta séduction

Coupable de te pas arriver à t’aimer

Responsable de te fuir

Pourtant je t’ai cherché

Et j’ai échoué.

Régine

Entre refuge et liberté

ATELIER NOMADE – Entre refuge et Liberté

Nuages de mots 

REFUGE : intimité, bougie, intériorité, ressource, retrouver, mon antre, récupérer, nid, grotte, cabane, abri, se blottir, repli, couette, pénombre, recours, secours, port d’attache.

Ce qui nécessite un refuge ?

La peur, le froid, l’absence, la guerre, la tempête, la haine, la souffrance, la tourmente, la maladie, la perte, la maltraitance, l’indifférence

Choisir un refuge les yeux fermés et le décrire.

Sur mon refuge

En face, le ciel et les nuages filant l’horizon.

Sous moi, les tuiles grises et leurs attaches métalliques.

A ma droite, la cheminée, seule forme de premier plan s’imposant à mon regard.

En moi, une solitude aimée, un centrage recherché, un horizon complice.

L’air tout autour.

L’altitude nécessaire, sans doute.

La respiration libérée, sûrement.

Je ne savais pas ce qui me poussait à ouvrir la fenêtre

et rejoindre mon toit…

Il faut du temps parfois pour comprendre la relation aux lieux, aux choses, aux êtres

qui jalonnent le fil rouge de la vie.

Introduire un personnage fictif, décalé – décrire le sentiment de liberté.

« La liberté c’est être soi-même dedans et dehors ».

Etre à l’air libre,

En position ressource.

Dans la maison, la réalité

fragile, aléatoire, déroutante,

est laissée à distance.

Sur mon refuge,

Je m’en libère, je la laisse de côté.

Je suis juste le ciel.

Le moi est au repos,

Les doutes endormis.

Reste le cœur qui bat,

Dans ce tout mystérieux.

Mais qui va là ?

Brisant ma retraite intérieure,

Pénétrant cet espace choisi,

Que je croyais n’être qu’à moi.

De sa démarche velour,

Il me nargue.

Son regard m’éclabousse…

C’est sûr, il est le roi des lieux.

Mais… suis-je ridicule !

Ce lieu n’appartient à personne.

La liberté c’est être soi-même dedans et dehors !

Adresser une lettre à quelqu’un en souvenir d’un sentiment de liberté

« On ne s’était jamais sentis si libres, si vivants, de la tête aux pieds, à l’unisson, reliés entre nous par les mêmes veines, irrigués du même fluide voluptueux ».

Ma chère Alyette,

Je suis sur le toit de la maison.

En pensées,                         puisqu’elle n’est plus.

Tu sais la magie de la mémoire et la surprise des souvenirs enfouis qui émergent parfois.

Il y en a un qui a explosé ce matin à la surface.

Et ce souvenir bonheur

a laissé échappé

une dose d’endorphine, un souffle chaud de gratitude.

Il a labouré un sillon, provoqué en moi une longue onde de plaisir

qui audace mon envie de vivre.

T’en rappelles-tu ?

Nous 2 à Londres – adolescentes.

Dans cette famille d’accueil,

en bas des escaliers de bois rutilant,

Ce fou rire qui nous avait pliées en 2,

qui nous avait tordu le ventre, ouvert les entrailles.

Je ne me suis jamais sentie si vivante.

Une explosion, une implosion, un trop plein libéré, une onde de choc

et cette sensation de lâcher prise viscérale

de la tête aux pieds

à l’unisson

reliées entre nous par la folie de ce rire

Ce rire ENORME,

Ce rire hoquet

Ricochet

Ce rire qui nous terrassait,

qui ne nous appartenait plus,

qui liait notre amitié

mieux que tout ce que nous avions connu

jusqu’à présent.

Nous étions, je le jure,

Irriguées du même fluide voluptueux.

Isabelle

la Toile

Dans ma tente-refuge, je suis allongé ; les yeux grand ouverts, je divague après la longue étape du jour.

Un papillon de nuit s’est invité dans la toile, ou plutôt sur la toile, puisqu’il danse en ombres chinoises dans le cône de projection de ma frontale, telle une silhouette dessinée par Lotte Reininger. Le sphynx calme ses ailes fébriles un instant. Arrêt sur image…

Va-t-il me proposer de résoudre l’énigme du film de ma vie ?

Non, il reprend le cours de ses déplacements cahotiques et s’efface en hors-champ.

Mon livre tenu à bout de bras, j’ai du mal à me concentrer sur le scénario en floutage caméra

Je tourne la tête de côté et c’est une autre historiette qui prend le relais à cour ; coup de zoom sur une minuscule fourmi funambule, arpentant un fil qui pend.

Un timide croissant de lune s’est levé à jardin, prêtant son obole blafarde à ces micro-spectacles intimistes.

Duo sous Canopée

La fatigue finit par avoir raison de moi. Je m’entends ronfler, puis…

La fermeture éclair de ma tente s’actionne comme par enchantement et ma compagne s’invite dans mon cocon privatif. Elle qui a cheminé auprès de moi la veille et les jours précédents ne s’était jusque là jamais permis de franchir le seuil de ma douce cahute et voici qu’à présent ma tendre Philomène se tient devant moi dans sa robe grise. Elle me dévisage de ses yeux de velours aux longs cils carboniques, passe sa tête dans l’entrebâillement, la secoue énergiquement de droite à gauche et m’apostrophe bruyamment, me signifiant sur un ton de reproche assumé : « La liberté c’est être soi-même, dedans et dehors. »

Je me réveille en sursaut…

Le jour du dehors filtre déjà dedans ma niche. Au pieu, mon ânesse fait un raffut du diable, ce que j’interprète en langue asinienne comme: « Debout, fainéant, il est l’heure de lever le camp. 

les Eaux-Fortes

C’est de mon refuge du jour que je t’écris. J’ai fait ce soir une infidélité à ma toile chérie, profitant de l’accueil paisible de Notre Dame des Neiges qui abrita autrefois en son sein le bienheureux Charles, un trappiste à la mentalité d’aventurier, un presque trappeur en somme. Je suis installé sur une lourde table monastique. Ce périple, j’ai choisi de le faire à pied, mais j’aurais, pourquoi pas, pu adopter un mode de déplacement fluvial, barque ou canoé.

Elavérin ou ligérien, j’avais le choix du vecteur.

Je nous revois là-bas, dans les terres arides du nouveau monde, c’était il y a…

Ma mémoire est incertaine, mais mon cœur, lui, s’en souvient. Nous avions utilisé toutes sortes de moyens de déplacement pour suivre la piste des navajos, tantôt chevauchant nos petits chevaux indiens pacifiques à travers la mythique Monument Valley, tantôt pilotant une jeep fougueuse défiant la piste rocailleuse qui menait à la mesa d’Island in the Sky, la bien nommée. Te souviens-tu  de ce coucher de soleil sur Delicate Arch où nous avions croisé le redoutable serpent à sonnettes et fait fuir un coyote un peu trop curieux. Et je ne te parle même pas de ce grizzly plus qu’entrevu dans le légendaire parc du Yellowstone.

Mais ce qui reste profondément gravé en moi, c’est cette descente de la gorge royale de l’Arkansas. En guise de prélude, notre guide nous avait rappelé l’accident fatal qui s’était produit deux semaines plus tôt sur ce parcours. La fugue ? Nous n’y songions pas un instant, tant le courant passait entre nous. Fondus sous notre uniforme fluorange, nous n’avions pas eu le temps de nous faire du mauvais sang que déjà nous étions engagés dans le premier rapide de la série. Epaule contre épaule, ballottés par les eaux blanches en fusion, suspendus aux ordres de notre maître-barreur : – À droite, à droite, plus vite, à gauche maintenant, hurlait-il dans le fracas des eaux déchaînées.- nous faisions corps avec l’embarcation, attentifs l’un à l’autre, cherchant à nous maintenir sur le fil de l’eau et à ne pas décoller de notre tapis flottant, jouant les équilibristes sur un câble de vie tendu entre deux méandres. Et lorsque, soulagés d’avoir esquivé le mur et la vague, nous laissions derrière nous les flots furieux pour retrouver un lit plus calme, t’en souviens-tu comme les sourires illuminaient nos faces trempées par les embruns ? Dans ces moments-là, on ne s’était jamais sentis si libres, si vivants, de la tête aux pieds, reliés entre nous par les mêmes veines, irriguées du même fluide voluptueux.

Que de souvenirs qui affluent en moi, dans cette abbaye ardéchoise nichée dans l’or des genêts, si propice à la mémoire !

Patrick

JE SUIS GARDIENNE

Je suis gardienne, quel mot étrange, cela implique que je rende un certain nombre de services. Me lever à minuit ou deux heures du matin pour réveiller les grimpeurs et leur préparer un petit déjeuner, accueillir les promeneurs qui ont pris le premier train  du Montenvers  et sont friands d’anecdotes. Astiquer le refuge de fond en combe, donner à manger aux marmottes et aux choucas. Lever les couleurs et y rajouter un fanion féministe pour interpeller les cordées et qu’ils ne discutent pas que de 8 ou 9B qu’ils viennent de gravir. J’adore tous ces rôles car j’aime me montrer, avoir de l’importance, croire que je suis reconnue, indispensable, que l’on m’aime. Je porte beaucoup de masques, pas ceux du confinement de 2020. Ceux de l’hypocrisie, de la comédie,  des simagrées. Mes parents m’ont inculqué le culte de l’argent et suivant que vous serez riches ou misérables, mon attention sera différente : vous mangerez près du feu à la cuisine, vous coucherez dans la chambre de la gardienne et elle sur une table à la cuisine. Vous aurez des vêtements de rechange. Pourquoi l’école ne m’a jamais fait méditer sur «la liberté c’est être soi même au-dedans comme au dehors ». Car des qualités je n’en manque pas, je suis courageuse, inventive, créative, téméraire, sans peur. 

LA RONDE DES CŒURS

 Il a neigé et depuis 15 jours. Impossible de mettre le nez dehors. Le silence règne et seules les avalanches qui dévalent dans un bruit assourdissant viennent le perturber et me font sursauter. Parfois, un petit mulot sort de la cuisine et semble ne pas me reconnaitre car je suis engoncée sous un monticule de couvertures. J’ai de grosses moufles pour t’écrire, car le froid est glacial. Heureusement que je peux lire et écrire. Je vis tout à la fois : des moments sidérants d’angoisse, de paix, de joie et même d’éclats de rire. Mes pensée folles vagabondes et font ressurgir des souvenirs heureux qui me réchauffent le cœur. Te souviens- tu de ces petits mulots ? Toi seul, très courageux, essayait de les attraper. Nous les mettions dans des bocaux avec un coton d’éther pour une mort plus douce, puis préparions une cérémonie bouddhiste avant de les bruler pour qu’ils se réincarnent en petits princes montagnards. Ces petites bêtes ne nous dégoutaient pas, mais avant leur hibernation elles grignotaient les planches, les couvertures.

Te rappelles-tu nos bambées, nous étions des cordées joyeuses. L’aventure nous enivrait, et nous plongions dans l’ivresse. Tu étais le plus valeureux, le héro. Tu connaissais mieux  que nous toutes les techniques de l’escalade, car tu voulais faire de la montagne ton royaume, ton Olympe. Nous étions libres et ce fut nos premiers flirts.  Tu tirais sur la cordes, ça voulais dire « je t’aime à la folie « , tu faisais des poses imprévues, pour t’assurer que  les lanières de mes crampons tenaient bien et te relevais avec des yeux plein de lumière. Tu me pardonnais mes imprudences : sauter une crevasse béante. Tu exprimais ta colère si d’autres s’y aventuraient. Tu sais, jamais nous ne nous étions sentis aussi libres, si vivants de liberté, emplis de la tête aux pieds par les mêmes fluides voluptueux. C’était la ronde des cœurs, des vrais moments de grâce, nous étions jeunes et nous étions heureux.

LE REFUGE DE L’ENVERS DES AIGUILLES

 De tous mes exploits, il en est un que j’aime à me remémorer. J’ai gardé un refuge durant 42 ans dans la vallée de Chamonix. C’est la Mecque de l’escalade moderne, classé par l’UNESCO comme Capitale de l’Alpinisme. Ce n’est pas  un petit abri, c’est une construction en pierre de taille et ceux qui l’ont édifiée sont des bâtisseurs de cathédrales. Le reste des matériaux a été monté à dos d’homme. Un de mes oncles a porté 3O tonnes, il s’appelle  Ulysse,  je le nommais l’Atlante du mont BLANC, car comme le Héro de la guerre de Troie qui sillonna les mers, lui arpentait la Mer de GLACE, une mer gelée, qu’il arpentait non pas en quête d’exploits à accomplir comme Homère, mais comme gagne pain. L’architecture du bâtiment est simple : une entrée où on laisse ses grosses chaussures pour enfiler des sabots, des toilettes, – ce qui est rare pour l’époque-, une grande salle de séjour avec des poutres où trônaient des écussons offerts par Wibault un artiste-peintre, très coté. Une minuscule cuisine avec un beau fourneau à bois, et, à l’étage 3 dortoirs avec des bas-flancs. Au sous-sol, entièrement dans la roche : une cave. Ce lieu est hautement symbolique car mon désir d’écrire,  de pratiquer des ateliers d’écriture, me vient de ce paradis car je me disais que je devais en être l’historienne.  Sa construction a débuté en 1942, c’est un ministre de l’éducation national qui en a donné l’ordre. Ce lieu a abrité des chantiers de jeunesse sous Pétain, puis servit aux résistants pour combattre les italiens pendant  la guerre….Au fil du temps, il est devenu un point de départ pour les plus belles et plus difficiles ascensions, pour les «conquérants de l’inutile «   comme les nommait Lionnel Terray. Il a été un lieu œcuménique et de protection pour les montagnards, une vierge sur le Grépon, un Christ en métal monté par le secours en montagne, et un pont entre l’orient et l’occident car les bouddhistes de Kutolsheim avaient peint un immense Boudha, sur un rocher derrière le refuge.

Elisa

Bonjour Julie,

En ce moment je me remémore souvent cette belle soirée, qui était le point d’orgue venu saluer la fin de notre stage de cet été. Rien que le fait d’invoquer à nouveau ce souvenir impérissable me donne du baume au cœur comme tu n’en as même pas idée.

C’était vraiment une nuit baignée de magie, faite de l’agrégat improbable de tous nos brins de créativité mis bout à bout, enchevêtres…

Qui aurait pu penser un seul instant, que ce patchwork si improvisé et imprévisible allait  aboutir à ce si beau feu de la Saint Jean de l’âme, cette symbiose si inhabituelle vu du balcon étroit de ce qui passe pour être la vie ordinaire. Tout avait l’air si évidemment, naturel et simple, comme si nos poumons et nos cerveaux, nos cœurs entrechoqués et nos entrailles à ciel ouvert n’avaient eu que seul but pour advenir au monde…comme si nous avions été conçus uniquement avec le dessein de célébrer cet unique instant fugace.

Tout sonnait si juste, là où se dresse d’ordinaire que des rocs menaçants. Tout était ruisselant d’eaux vives, que rires et sourires, pour n’être plus que sur-rires aux éclates d’étoiles, comme les soirées d’été peuvent comme personne si savamment les révéler au grand jour.

Je garde encore l’arrière-gout délicieux de cette impression de tournis qui s’est emparée de nos corps et esprits… la ronde ne nos individualités virevoltantes ne formant plus alors qu’une seule et même emprunte, une seule et même trace…un unique faisceau filant à toute allure.

On ne se connaissait que d’hier et pourtant nous rimions si profondément les uns avec les autres dans cette ritournelle endiablée.

Ce n’était à l’évidence qu’une parenthèse, mais qui témoigne pourtant qu’une telle osmose est possible sur ce terreau terrestre trop souvent stérile.  

Même si le cours des choses m’a ramené depuis lors à mon lot quotidien embourbé, je sais qu’il existe quelque part au fond de moi un écho qui subsiste inviolé de ce moment envolé. Un sillon a été labouré et une ligne qui file droit sans ciller écrite à tout jamais.

Rien que de replonger dans ce souvenir me gorge d’espoir, et souhaitant que cette ronde des cœurs soit devenue demain notre pain quotidien, et non pas uniquement un heureux accident.

Cette pensée m’arme de confiance en l’avenir, et je vais m’atteler à bien veiller à  ce que cette graine de tournesol qui a été mise en terre puisse sagement éclore durablement…cela sera alors comme des retrouvailles bénies avec une veille amie latente.

Ton cher et tendre,

Yoan

La couleur de nos jardins

Surprise au jardin

Arrivée devant le portillon de bois tout branlant, je le pousse et pénètre dans un lieu que je n’avais encore jamais visité.

Mes yeux caressent les roses qui m’accueillent en dressant fièrement leurs têtes ourlées. Des légumes, des plantes aromatiques, des fleurs de toute sorte s’offrent à moi, plantés dans un désordre qui fait toute sa beauté et sa richesse.

Les couleurs s’entremêlent, les effluves m’enivrent.

Doucement j’avance. Un calme étrange règne en ces lieux, uniquement dérangé par le vrombissement des abeilles, des guêpes et autres insectes.

Je distingue, au fond de ce paradis, un cabanon. On le dirait en pain d’épices, fenêtres ornées de rideaux Vichy, volets décorés de cœurs.

La porte ouverte m’invite à rentrer. C’est drôle cette impression soudaine de ne plus être seule….

La pénombre m’enveloppant, je ne distingue rien si ce n’est un vase offrant un bouquet de pivoines roses aéré de gypsophiles, une merveille…

J’entends soudain de drôles de petits bruits, des petits gloussements et voilà que mes sœurs bondissent de sous la table où elles se cachaient !

 « Joyeux anniversaire Petite sœur » !

Elisabeth K, 20 juin 2020

Jardin  buissonnier

La porte grise du jardin étant  entrouverte, je décide d’y pénétrer car ce jardin m’a toujours intriguée avec ses sculptures et ses herbes folles.

Je passe  timidement le portillon, et regarde à droite, à gauche : personne. J’ose m’aventurer un peu plus loin. Une odeur de lilas flatte mes narines. Je ne tarde pas à découvrir deux cages à oiseaux sans vie. Une table git à côté. Elle est renversée sur le flanc et ne semble pas avoir bougée depuis des siècles. La végétation et la rouille l’ont colonisée.

Je tourne à droite et découvre alors un parterre  fleuri, éclatant de vie. Des capucines s’enracinent sur des morceaux de bois qui sentent l’humidité. Des lys multicolores et multi-têtes leur font face et les surplombent de façon hautaine et dédaigneuse. Des tulipes fanées et flétries exhibent leurs pistils, dernier témoignage d’une splendeur passée. Je dépasse le parterre et m’émerveille devant un catalpa qui a fleuri, majestueux centenaire.

Il abrite des oiseaux mais aussi un écureuil qui me regarde furtivement et disparait, visiblement gêné par ma présence. Une pie me toise et me regarde d’un  air méfiant, avec défiance. Qui est cette inconnue qui ose venir sur mes terres ?

Je passe mon chemin ayant le sentiment d’être une intruse. Je m’avance doucement, sans faire de bruit et aperçois alors le potager. Les aubergines sont si petites e : je me demande qui s’occupent d’elles. Elles ont l’air fragile et seules. Non, elles ne sont pas seules, la consoude veille sur elles, tel un ange-gardien. Les feuilles des courgettes se recroquevillent avec la chaleur et la menthe poivrée libère une fraiche senteur.

Un craquement me fait sursauter. Je cherche sa provenance quand j’aperçois un petit pont japonais surplombant un ruisseau. Au bout du pont, j’entrevois une silhouette. Une femme vêtue d’une tenue ample et jaune-soleil est assise en tailleur et semble méditer. Le temps est suspendu. Je respire et en silence je profite avec elle de ce moment de communion avec la nature, puis repars sur la pointe de  mes gros orteils afin de ne pas être trop en retard à l’école.

Viviane

Jardin d’enfance

Descendre au jardin.

Petit escalier extérieur accessible depuis la maison de campagne, au coeur d’un minuscule village normand. Heugon.

Descendre ces quelques marches était comment pénétrer dans la joie, le chant des oiseaux, la liberté. Ce carré de verdure créé par les mains de mon père, médecin… des fleurs. Il y a mis toute son âme, tous ses espoirs. Des roses roses embaumes au milieu des pivoines fuchsias et blanches. Je cours vers la balançoire. Je vais y passer des heures programmant les défis de plus en plus fous. Je croyais m’envoler, ou, au moins, faire le tour de la branche à laquelle elle était attachée. Mes pensées décollent, s’envolent, explosent de bonheur. Mes pieds, au contact de l’herbe me rassurent, lorsque je descends. Mais je remonte aussitôt voir l’horizon, les vaches et laisser mon imagination explorer les moindres recoins de ce territoire. Je veux cette maison dans ma vie future. C’est la seule chose que je voudrais de mes parents. Mon père dit qu’il voudrait être enterré là. Je passe un petit portail et débouche sur un autre jardin rempli de pommiers. Puis, un autre jardin avec au fond, la grange. J’entre, toujours un peu apeurée, mes pieds nus dans la paille. Je grimpe et m’assieds au rebord de la fenêtre, sans fenêtre, la vue plongeante sur la nature. Je rêve d’en faire ma maison, un jour, quand je serais grande. Tout est possible.

Je ne rencontre personne. Le vide. L’oublie. Et puis au moment de repartir, je découvre cette clé sous la paille. Une grosse clé en fer forgé. Je ne sais pas qu’elle porte elle va ouvrir, mais je la mets dans ma poche et repars vers la maison.

Régine, 20 juin 2020

Parc de La Bergerie, 11h 30

Le jardin de mon enfance

Je descends les escaliers à arrière de la maison. Dans la cour, il fait toujours plus frais qu’ailleurs. C’est le côté Nord où les rayons de soleil se font rares. Derrière la maison, une pente donne sur le niveau supérieur du jardin. Et au pied de la pente, se trouve la remise de mon père qui abrite le bois de cheminée pour l’hiver. Sur le côté, la remise de nos voisins, identique à la nôtre.

Après avoir contourné ces deux vieux bâtiments – en bois également – on se retrouve au pied de la pente.  Six marches d’un escalier en pierre – et on accède aux ifs. Il faut alors se mettre à 4 pattes, ramper sous la vieille haie en if, afin de se faufiler dans notre cachette. Un trou formé de branches, les aiguilles tapissant le sol.

C’est notre séjour, la cuisine, notre foyer tout à la fois.  C’est là que nous nous installons. Nous – la fille de nos voisins et moi-même. Quand, de temps à autre, mon cousin nous rend visite, je l’y amène. Chaque personne ayant le droit d’y pénétrer est obligée de garder le secret. Un secret illusoire, car ma mère sait très bien où nous sommes.

Aujourd’hui, mon cousin qui est venu pour passer le weekend chez nous. Il a 8 ans, j’en ai 9.

Cette fois-ci c’est lui qui va me confier un secret …

Sabé

Et puis soudain, après un dernier virage, un dernier carrefour, la voiture s’élançait dans « l’avenue de Paris » et, avant même d’être garés devant, nous devinions déjà la grille rouge du 28.

La voiture enfin stoppée sous le cerisier, nous nous éjections en vrac et le rituel commençait.

Entre les deux gros buissons de buis au parfum qui disait « Vous êtes arrivés », s’élancer sur la vieille allée au béton fendu par endroits, longer les vieux rosiers oubliés par la taille depuis trop longtemps et rendus à la sauvagerie des aubépines qui les avaient fait naître, contourner, juste après la vieille pompe, les énormes touffes de romarin exhalait de délicieuses promesses, laisser sur la droite le potager quadrillé de planchettes et les buissons sournois des groseilles à maquereaux et foncer en vainqueur, dans une dernière ligne droite entre les lauriers, pour être la première à se jeter dans les bras grands ouverts de Mamie.

Mais, ce jour-là, un obstacle imprévu s’était jeté en travers de cette progression immuable. Traversant avec insolence un royaume qui lui était habituellement farouchement interdit, un chat, insulte suprême faite au propriétaire des lieux, se pavanait sur l’allée.

Papy allait être furieux. Le séjour s’annonçait chaotique.

Texte jardin- 20/06/20- Parc de La Bergerie- Magali

D Day ou la résistance par las fleurs

Aujourd’hui je me sens bizarre, excitée. Fébrile comme pour un premier jour d’école.

Nous sommes le 11 mai 2020, je jour du déconfinement. Je retourne à ma boutique de fleurs, ma petite entreprise. Elle m’a tellement manqué mon activité.  Tout comme mes clients.

Mes fleurs m’attendent : je les ai toutes commandées par internet. Qui l’eut cru ? Moi qui rechigne à me mettre sur l’ordinateur.

Des questions m’assaillent comme une armée qui ne laisse aucun répit.

COMMENT  accueillir mes clients afin de ne pas leur faire prendre de risques?

Mon havre de paix est petit mais il est un océan de plénitude dans lequel je me sens libre, belle comme mes fleurs, mes chères amies : Rose, Capucine, Hortense, Marguerite et Angélique.

Je n’ai pas envie d’enlaidir mon comptoir avec des plaques de plexiglas. Non, non et non. Résiste ! Comme dirait France Gall « Prouves que tu existes !!

COMMENT payer les loyers en retard ?

Je plonge mon visage dans un bouquet de roses Piggy. Elles me redonnent un élan de vie et d’optimisme.

Encore un soldat embusqué dans mes pensées.

EST-CE-QUE mes clients vont revenir ?

Je prends conscience que je suis en état de siège. STOP ! Il me faut avoir confiance en l’avenir.

Mais COMMENT avoir confiance avec cette crise économique qui nous menace ?

Soudain, j’entends la clochette du magasin. Mme Lamartine me fait un grand sourire et me dit : « Bonjour Myriam, je suis très contente de vous voir et de constater  que vous allez bien. Pourriez-vous me faire un bouquet qui fait du bien au moral, s’il vous plait? »

Viviane

Libérée délivrée : la fleuriste déconfinée 

55 jours ! 55 jours que je me confine, que je me ronge les sangs ! La nuit je me réveille en sursaut, assaillie par une armée de chiffres, attaquée par quelque huissier hurlant… La sueur me dégouline de partout !

Ouf ! ce n’est qu’un cauchemar ! Demain, 11 mai 2020, enfin j’ouvre ma boutique, je lève le rideau.

En attendant de me lancer dans l’action, j’essaye de dormir. Il est six heures ! je saute sur mes pieds, une bonne douche chaude finit de m’apaiser momentanément.

Au petit-déjeuner, en super organisatrice que j’étais AVANT, je m’arme d’un stylo et de mon carnet. Par quoi commencer ?

  • Filer au Marché-gare de Cronenbourg faire mes achats
  • Tout présenter de belle manière
  • Ne rien oublier, tout oublier
  • La clé, la carte bancaire….

Je vais y arriver mais j’ai l’impression de ne plus savoir…

Ça y est, tout est en place, arrangé à mon goût : roses Miss Piggy, pivoines rose thé, œillets lie-de-vin, coquelicots géants, sans oublier les plantes aromatiques, les potées de géranium rouge d’andrinople, mon préféré. Les senteurs et les couleurs se mêlent harmonieusement.

Il est 10 heures, allez, c’est parti, j’ouvre. Mon cœur bat la chamade.

Mes clients seront-ils au rendez-vous ? Mille questions m’assaillent telles des flèches acérées qui viennent me piquer partout.

Je lève le rideau et, que vois-je ? Madame Casse-pieds accompagnée de Monsieur Je-sais-tout ! Oh non, pas eux !

Bon, sourions, voici Monsieur Soleil. Qu’il me fait du bien celui-là !

La matinée s’écoule agréablement. Je repousse sans cesse l’ouverture de la pile de courrier. Je l’attaque finalement tout en picorant mon déjeuner.

Une facture, une deuxième, une troisième. Mon estomac se serre. De nouveau les chiffres valsent sous mes yeux.

Du calme Myriam ! respire.

« J’épluchai alors une pomme rouge du jardin quand j’ai soudain compris que la vie ne m’offrirait jamais qu’une suite de problèmes merveilleusement insolubles. Avec cette pensée, est entré dans mon cœur l’océan d’une paix profonde ». (Christian Bobin – Noireclair)                                                                                  Elisabeth K, 20 juin 2020

Dans la peau d‘une fleuriste

Nous sommes le 11 mai. Ma tasse de café devant moi, je suis assise à la table de ma cuisine. Il est 5h du matin. Le jour se lève. Et avec lui mon excitation. Je n’ai presque pas dormi de la nuit.

Hier, j’ai travaillé  dans mon magasin. Je l’ai nettoyé à fond, j’ai réorganisé les éléments de décoration qui ornent les étagères, j’ai enlevé la poussière partout. Le petit atelier, derrière la boutique, n’était pas aussi poussiéreux. Au moins là pendant le confinement, j’avais pu continuer à créer les quelques bouquets pour les entreprises qui tenaient le coup. Au moins là, j’ai eu la possibilité de garder le contact avec mes plantes. Les tulipes, les narcisses, toutes les fleurs du printemps. Passées.

Maintenant, c’est au tour des pivoines. J’en ai commandé 7 boîtes. Trop ? Assez ?

Comment va se dérouler cet après-midi??? Heureusement, j’ai encore la matinée pour me remettre en route, pour lier les bouquets pour l’entreprise que je livre chaque lundi. On s’accroche aux habitudes.

Mais cet après-midi, après la pause déjeuner, pour la première fois depuis 8 semaines je vais surtout ouvrir la porte en grand, au public.

Qui va venir ? Qui va oser ? Allons-nous fêter nos retrouvailles ? Où va-t-on commencer très doucement ? Aurai-je à faire à des clients hésitants, encore intimidés, incertains par rapport au contact avec l’extérieur ?

Qui va gagner la bataille entre la peur et l’envie de fleurs fraîches ? L’appétit pour la vie?

J’hésite sur la quantité à commander. Si j’en commande trop, je vais devoir les jeter – ce qui me fait mal au cœur – et me mènerait à chaque fois un peu plus à la ruine financière. Si j’en commande trop peu, au bout  de deux heures je devrais faire patienter les clients jusqu’à la prochaine livraison. Et peut-être les perdre…

Depuis les quatorze années que j’ai ma boutique, j’ai toujours eu la bonne intuition. J’espère qu’elle ne m’aura pas quittée…

Sabé

La fleuriste

6 heures. Je viens d’arroser abondamment le potager à saturation. Maintenant que la terre est nourri, je me pose sur la table ronde du jardin et prends mon petit-déjeuner. Le soleil se lève, sur la gauche et me touche par un premier rayon. J’adore ce moment. C’est souvent là que je prends conscience de la chance que j’ai d’être en vie. Ce matin il règne un tumulte certain dans ma tête. C’est le premier jour du dé-confinement et je ne sais pas ce que je vais trouver au dehors, dans la rue, dans la ville. Heureusement la boutique est au bout de la rue. Je peux y aller à pieds. Le trajet est un peu comme le chemin des écoliers.

Ce matin il n’y a personne. C’est presque angoissant. Mes repères n’arrivent plus à s’ajuster à cette réalité irréelle. Pourtant, rien n’a changé, ou presque. Après cinquante cinq jours de confinement je me demande si je suis la même. Ai-je vraiment envie d’aller ouvrir cette boutique ? Que vais-je y trouver ? Des fleurs mortes, séchées, une odeur de pourrie ? Un tas de courriers, de publicités, de factures à payer ? De la poussière, la saleté de la vitrine ? Tout cela n’est rien. Ce qui m’effraie le plus, c’est de découvrir que je n’ai plus l’envie, le désir; celui qui m’a tellement mise au parfum de ma vie, les jours d’avant ! Si je n’avais pas cette boutique, sortirais-je pour acheter des fleurs, là, en ce jour d’après le confinement ? Non. Certainement pas. Et pourtant j’en achetais chaque semaine, avant ! C’était avant. Maintenant, je ne sais plus ce dont j’ai envie. Je ne sais plus me projeter, aimer ce que j’aimais. Je ne sais plus.

Je grimpe les deux petites marches de la boutique, j’ouvre la porte le coeur battant. J’entre comme dans un conte. Chaque plante, chaque fleur est là à m’attendre. Elles se sont maintenues comme elles pouvaient jusque là. Je les regarde dans les yeux, m’interrogeant sur ce qu’elles avaient bien pu vivre durant ces longs mois. Mais au fond, c’est moi que j’interroge ! Que s’est-il passé ? Je suis moi et une autre à la fois. J’ai troqué mes certitudes contre la peur. Celle de mourir, comme elles. Je suis devenues elles.

Régine

20 juin 2020 – Parc de La Bergerie, 11h 30

A l’horizon de nos rêves

Mon jardin
Quand je vais dans mon jardin, je vois de belle allées bétonnées couleur grises, qui entourent quatre ilots où poussent des légumes et des plantes variées. Au fond de ce jardin, se trouve une petite remise contenant le matériel de jardinage et à coté de cette remise un robinet pour remplir un arrosoir, ainsi qu’un siphon. Le tout est entouré d’un mur de la même couleur que le sol d’une hauteur d’environ 2 mètres. Il n’y a pas de mauvaise herbes ou d’insectes dans les ilots, chaque chose y est à sa place et fait ce qu’elle doit faire. En apparence ce jardin pourrait être parfait.
Mais il ne fait pas toujours bon être dans ce jardin. Sous cette « perfection » ne se cache il pas en réalité une absence de vie ? Ou est la fantaisie, la créativité, l’inconnu ? Quel intérêt de répéter inlassablement les mêmes gestes pour obtenir les mêmes résultats ? Est-ce vraiment là ce que j’attends d’un jardin qui ne remplit qu’un rôle « récréatif » ? Pourquoi une telle « aseptisation » et volonté de résultats ?
Je me sens à l’étroit dans ce jardin. Bien qu’éclairant suffisamment ce qui y pousse, le soleil ne réchauffe pas mon cœur lorsque je suis dans ce jardin. Les murs l’empêchent de rayonner de toute sa majestueuse force. Je rêve de briser ces murs et cette « perfection ». Je rêve d’un jardin qui serait véritablement vivant et s’ouvrirait sur toute la beauté de la nature : le ciel, l’eau, les oiseaux, le vent, les insectes et la douche chaleur du soleil.

Albert

Ce que je ferais avec une grosse somme d’argent

Par une belle matinée de printemps, le soleil dépassant déjà de l’horizon, les pneus de ma voiture émettent leur bruit si caractéristique sur le gravier, alors que dans un dernier virage, j’arrive sur ma place de stationnement. J’adore ce bruit. Bien sûr, le gravier a ses inconvénients, surtout avec cette voiture « tape à l’œil » que je possède maintenant, mais il faut bien savoir faire des compromis ! Cette voiture est aussi une vitrine rassurante pour bien des gens.

Je verrouille ma voiture à l’aide de son « bip », et m’avance maintenant en direction du portail en fer forgé gris, entouré de murs blanc surmonté de chaperons gris eux aussi. Je profite pleinement de ce moment. La brise légère, la douceur de la température, le bruit de mes pas sur le gravier, le sentiment qui m’habite en cet instant est assez indescriptible.

Au départ ça me semblait une idée folle. Je ne savais pas trop comment j’allais la réaliser. Mieux que personne je connais les réticences et limitations de notre société… Et bien entendu combien de personnes m’on dissuadé de me lancer dans une telle aventure. Et que dire des difficultés administratives ! Mais j’ai tenu bon, portée par la conviction profonde du sens que mon initiative avait pour la société et par mon mental -enfin apprivoisé-. Oui, il faut vraiment savourer ce moment. Le graver dans ma mémoire.

Je déverrouille la grille qui s’ouvre sans un bruit. Dommage ! J’aime bien le grincement des grilles. S’offre alors à moi la vue d’une allée pavé entourer toujours du même gravier, et sur chaque coté du gazon, puis des conifères proprement taillés, et enfin des haies le long des murs. Ce paysagiste s’est vraiment surpassé !

Je poursuis ma progression sur l’allée et m’arrête un instant. La douce odeur du gazon et des conifères se répandant dans mes narines, agrémenté de l’air encore frais de la matinée. Et là encore je marque cet instant en me disant « Ca y est ! ». Et oui ça y est ! Mon cabinet de soutien aux créateurs, inventeurs, – bref à tous ceux qui veulent innover, changer des choses et qui ont besoin de soutien financier, ouvre aujourd’hui. D’ailleurs je devrais me hâter un peu !

Il est temps de se diriger vers le bâtiment qui est au bout de l’aller. Les murs sont la aussi blanc, une baie vitrée avec une porte sur la gauche au rez de chaussée et au second niveau un balcon donnant sur les fenêtres de mon nouvel appartement. A droite du bâtiment un jardin à la japonaise : bassin avec des carpes, avec des pierres permettant de le traverser et dans l’angle du mur une petite cascade avec une table a proximité, le tout légèrement ombragée par quelques arbres. Le bruit de l’eau est si apaisant… Un bon endroit de ressourcement et -je l’espère- de signature d’affaire fructueuses !

Mais pour l’instant, il est de temps de me rendre dans mon bureau. Alors que je me rapproche de la porte vitrée, l’excitation me gagne. Dans quelques minutes mon premier client arrivera. J’ai hâte ! Entendre parler de projet divers et variés, les questionner, les améliorer, les réaliser…. Ça va être génial !

Et puis, il me faudra bien sur percer à jour les profiteurs et autres mythomanes, mais ça va être amusant de les percer à jour :p J’ai tellement appris maintenant. Je ne me ferai pas avoir facilement et même si c’était le cas, j’apprendrais alors quelque chose de plus ! Je pénètre maintenant dans le bâtiment. Sur la droite, quelques sièges entourent une table basse avec quelques magazines, et quelques plantes siègent là.

Je continue mon chemin, en passant devant la porte menant à mon appartement et arrive dans mon bureau. Lumineux, spacieux, une table vitrée avec une lampe, un ordinateur des feuilles et quelques stylos. J’ai voulu rester sobre. Les armoires qui se rangent le long du mur qui fait face au bureau sont là pour le superflu. Mais ce n’est pas ce que mes clients verront en premier quand ils rentreront. Si les deux chaises pour mes clients sont confortables, mais sobre, on ne peut pas en dire autant de mon fauteuil. Comme pour la voiture, je l’ai voulu tape à l’œil. Accessoirement, il est aussi très

(trop ?) confortable. Pas sur que j’ai tellement envie de le quitter.

Je prends place, et encore une fois je savoure le moment… Et puis qui sait ! Maintenant que j’ai concrétisé ce projet je peux peut-être même rêver plus loin ! Et pourquoi pas initier un nouveau mouvement politique ? Le changement pour la société n’en serait que plus grand ! Mais je m’égare, je m’égare ! Time for buisness now ! Mon premier client va arriver.

Je ferme les yeux, je respire profondément, je maintiens les yeux fermé quelques secondes et lorsque que je les ouvre à nouveau, mon esprit est là, présent, concentré, prêt pour cette nouvelle aventure. Comme on dit par ici : Jetzt geht’los !

Albert

Dans mon jardin, je vois par une lucarne, le lilas violet en fleur, le potager en friche, les cerises qui se colorent, le vent qui agite les branches du pommier.

Je me dis : c’est beau un pommier en fleur ! Cette énergie au bout de la branche, éveille en moi un sentiment de plénitude, un élan de vie, une douceur bienfaisante.

J’aime l’odeur de la terre après la pluie, le soleil qui colore ma vie et mes tomates.

Dans mon jardin, je n’essaye pas de dompter la nature rebelle mais je la laisse s’exprimer, je l’observe et l’écoute. Je sais qu’il faut lui faire confiance.

Je me sens connectée, vivifiée et bien vivante dans mon jardin.

Viviane

O DACIIIEUX

Atteindre les cieux ou osez les atteindre.

Se donner la possibilité.

Quel beau mot.

Suis-je audacieuse ?

Je ne sais pas, je ne crois pas.

Mon besoin de sécurité m’en empêche.

Mais je tente puis m’arrête dans certains élans.

Ecrire pour tenter puis raturer et recommencer.

Viviane

Dans mon jardin…

Je vois les allées alignées du jardin de mon père,

Où nous passions nos étés à exprimer, enfants, nos galères, 

Cueillettes forcées de groseilles, petits pois et haricots verts, 

Des vacances entières à scruter le monde infini des insectes et autres vers de terre

Il fait toujours beau et chaud, là-bas, 

Le son des grillons, le chant des oiseaux, 

Les batailles d’eau avec le tuyau

Galère rime avec poussière

Je sens ces odeurs de fruits et de fleurs,

L’odeur de nos peaux qui ont pris la chaleur, 

La grenadine tiède des fins d’après-midi,

Grâce à toi, Sabine, ces souvenirs reviennent à la vie….

Carole

Mon rêve…

Ce rêve, c’est mon escalier, celui qui me fait grandir, une marche après l’autre.

C’est l’escalier parfois instable, celui sur lequel certaines marches sont manquantes, 

Et qui pourtant, malgré ces obstacles, ne m’empêche pas d’avancer la tête pensante…

Ce sont les mêmes marches que j’ai gravi au PEROU, celles qui mènent tout droit vers le MACHU PICCHU, 

Sur ce sentier d’une vie,  de magnifiques découvertes, de belles rencontres, des lieux incroyables, des visages indélébiles, et des émotions pures…

même si parfois le souffle, s’essouffle, une fois en haut, la vue est magnifique, pleine de sens, 

Que l’on regarde devant, que l’on regarde derrière. 

Mon rêve serait de vivre ma mission sur terre, 

De permettre à des personnes essoufflées par le voyage, épuisées dans leur escalier, de se faire confiance, de s’aimer assez pour continuer….

J’aimerai leur permettre de voir d’en haut comme la vie est belle, comme leur chemin est beau…

Sans oublier que finalement le haut de l’escalier n’est en fait qu’un palier!

L’essentiel c’est notre présence lorsque chacun de nos pieds se pose délicatement sur ces marches.., c’est ce qui rend l’escalier si précieux! 

Carole

Dans mon jardin intérieur

Dans ce jardin, je vois une petite fille rieuse, pleine de joie et d’enthousiasme, courir pour essayer d’attraper des papillons. Je la regarde avec tendresse mêlée à une pointe de tristesse et de nostalgie.

L’odeur de l’herbe fraîche envahit ses narines. Elle s’émerveille de la beauté de ce paysage sauvage, devant ces animaux volants, rampants, si étranges et merveilleux, sortis tout droit d’un conte fantastique. La sensation de liberté et de légèreté l’emplit. Quel bonheur de sentir la caresse du vent sur son visage, la rugosité de l’écorce de l’arbre sous ses doigts. C’est comme si elle se sentait pleinement unie à ce monde. Je la vois entretenir un dialogue étonnant avec cette nature qui l’entoure.

Sophie

« La maison qui mène à soi »

Je suis face à cette grande bâtisse, ce lieu que j’ai imaginé, construit pas à pas avec énergie, passion, amour et qui fait aujourd’hui parti de moi. Carrefour de rencontre des pratiques spirituelles, créatives et culinaires.

Il me ressemble, est à mon image.

Espace d’apaisement où chacun peut déposer les armes, se retrouver, se ressourcer, permettant une reconnexion à soi-même, à la terre et au monde qui l’entoure.

Maison où le lien se crée, où chacun est libre d’être lui-même et peut Se Dire en toute authenticité. Juste quelques jours pour soi en pleine nature, pour accueillir la bienveillance, l’amour de l’autre, la main tendue, mais aussi pour s’accueillir, s’aimer, s’accepter, se questionner et se donner l’énergie pour s’épanouir, voilà ce que je souhaite offrir dans mon refuge hors du temps.

Sophie

Ces livres qui nous relient

Le livre qui se livre !

Et si j’étais un livre…

Dans la peau d’un livre…

Prends-moi, allez…. laisse-toi tenter ! Je vois bien que tu hésites encore. Regarde bien ma couverture et touche-la, vois comme elle est douce et attractive. Voilà ! C’est bien, je t’ai accroché. Maintenant, feuillette. Allez, feuillette-moi ! Oui, comme ça… ah, tu as repéré mes facéties typographiques, hein ! Je savais que ça te titillerait, ça. Et approche ton nez maintenant, tu sens ma bonne odeur de neuf, parfums d’encre et de papier mêlés ? Je DOIS être à toi. Tu me désires tant déjà, ne résiste plus. Je vais t’offrir tellement de surprises, d’émotions jamais ressenties. À te faire frissonner de plaisir, tu ne seras pas déçue, je te le promets. Avec moi, tu vas le connaître, l’extase du lâcher-prise, l’excitation des neurones, la libération des affects ! Alors, vas-y, qu’est-ce que tu attends ! tu y es presque, tu es à la caisse…Oui ! Je suis à toi ! Oh, dévore-moi, maintenant. Mummmmm, mummmm….

Clarisse

LE LIVRE EN GUERRE CONTRE LE COVID

Moi, un des livres parmi les milliers de la librairie, je ne comprends pas ce qui se passe, mon patron est-il mort ?  S’agit-il d’un attentat ou d’une grève, peut être une fermeture définitive, une liquidation ? Depuis plusieurs jours, aucun bruit, pas de lumière, le rideau est baissé. J’entends les autres chuchoter nous sommes  « confinés » et pourquoi ? Il y a le corona virus et le ministre ne considère pas que nous sommes des produits de première  nécessité. Voila bien une invention des politiques. Je suis furieux, en colère, j’enrage,  je sens de la violence en moi, l’angoisse m’étreint,  sans nous le monde serait horriblement triste, c’est un besoin fondamental. Je suis prisonnier, personne  pour m’acheter, m’admirer, me chérir, m’aimer, m’offrir, me traiter comme la prunelle de ses yeux. Comment imaginer qu’en me confinant le monde ira mieux,  c’est vraiment irrationnel, c’est même idiot.  Certains disent même : « quand tu es malade ne vas pas chez le médecin mais chez le libraire. » Ca mérite peut-être une introspection de ma part. Qui suis-je ? Le voyage, le rêve, les souvenirs, les retrouvailles, la consolation, le refuge, le partage,  pour l’écolier l’apprentissage de la lecture,  pour les syriens des armes pour résister, la détente et mille autres choses. Je suis triste, inconsolable, frustré, c’est pire  que les époques ou l’on brûlait les bibliothèques, condamnait  ceux qui lisaient.  Pour me calmer,  alors « moi »  je me mets à fredonner : « Monsieur le Président je vous fais une lettre que vous lirez peut être : ROUVREZ LES LIBRAIRIES, rouvrez les librairies, car on peut vivre sans la richesse, sans la gloire, mais on ne peut pas vivre sans le LIVRE. »

Elisa

Petite histoire d’un livre

Voilà dix bonnes années que je m’ennuyais dans le noir, incommodé par l’odeur âcre du carton qui me tenait lieu de maison. Et puis soudain, hier matin, une main est venue m’extraire de ma geôle de papier mâché pour m’installer au milieu de mes semblables dans une immense bibliothèque.

Imaginez ! D’un coup, me voilà fier et digne, trônant pile entre « La Prisonnière » de Proust (quelle coïncidence) et « Les Fleurs du Mal » du grand Charles.  

Pourtant, j’ai la boule au ventre. J’ai mal aux mots.

Pourquoi ne me prend-on jamais au pied de la lettre ? Pourquoi me pose-t-on d’un endroit à l’autre sans jamais me feuilleter, m’effeuiller ? Mon titre peut-être n’est-il pas assez noble, ma couverture trop sombre ?

Je m’ennuie, malgré la richesse de mes camarades qui se languissent autant que moi, mais qui semblent s’être habitués à leur statut de déco chic.

Je les jalouse. Peut-être ont-ils été lus, eux ?

Las, par la vitre de cette bibliothèque un peu guindée, j’observe le corps qui prolonge la main qui m’a placé là : il est assis, immobile derrière une étrange machine ; il semble lire pourtant… oui oui, je le vois, il ME lit ! Mais en pianotant sur une surface plane, lisse et argentée

Je réalise subitement que j’ai dû rester trop longtemps enfermé à l’abri du  monde et que durant tout ce temps, je suis devenu l’ancêtre d’une espèce nouvelle.

 Je me suis dématérialisé.

Face au virus, la bibliothèque est notre forteresse dérobée.

Nadine

« la lettre de doléance  » …d’un livre ou la consigne : je suis le livre … » je veux séduire le lecteur »


Doléance, douleur, mal-être, ETRE,
symptômes, folie … éphémère, MERE, terre, ver de terre, verres partagé, joie de retrouvailles, prendre dans ses bras, bras, brassée, une brassée de fleurs, bouquet de fleurs, brasse, natation, flotter, se laisser porter, être léger, légère, sans souci, « le château Sans Souci « , l’hiver, le givre, le froid, le vent du nord , glacial, soleil, crissement des pas , une main chaude dans la poche de l’autre, avancer ensemble, se tenir, l’horizon, ouvert, respirer, re-spi-rer, répéter, une répétition, les répétitions de situations dans une vie, tourner en rond, sortir du cercle, passer pardessus des frontières, les limites, être sans limites , mite, mythes, Ulysse, l’Odyssée, le voyage d’une vie, partir … sans revenir .

Tonio

De la part de „Tom Sawyers Abenteuer“ de Mark Twain

Ah ! Tu m‘as découvert dans la bibliothèque de ta mamie ?! Et tu n‘as pas l‘habitude de lire des histoires sur papier – mais tu as pourtant lu le mot „aventure“ sur mon dos ?! Et voilà – sers-toi de moi ! Sers-toi de la fantaisie de mon auteur de l‘avant-dernier siècle en sachant que ta grand-mère l‘a fait à ton âge.
À l‘époque, je l’ai emmenée au Mississippi. Déjà quel drôle de mot avec ses doubles consonnes qui le rendent un peu énigmatique, qui évoque un fleuve large, les eaux coulant sous la chaleur de l’été, des pastèques, le chant des grillons et à son bord un garçon…
Pieds nus, il s’est échappé de l‘étroitesse régnant de chez sa tante Polly et il attend ses meilleurs amis – Becky, la fille sage, toujours bien habillée et propre, raisonnable mais pas toujours et Huckleberry, cet ami fidèle, aventurier libre, vêtu en culotte usée toujours sordide.
Tous les trois prêts à se lancer dans une nouvelle aventure, le plus souvent involontaire, au risque de recevoir une fois de plus une bonne correction …

Outlander“ de Diana Gabaldon

Oups! Vous m‘avez surpris…
J‘ai un peu honte, excusez mon apparence. Comme j‘ai passé plusieurs mains, ma reliure est devenue usée, mon dos cassée, quelques pages sont écornées.

Hélas ! Il y a dix ans à peu près ma vie était assez mouvementée. Je ne retrouvais plus du repos. Mes lecteurs – à vrai dire surtout des lectrices – m‘amenaient partout. Au début, elles me cachaient dans un enveloppe vite fait d‘un journal, parfois d‘un papier plus élégant, afin de cacher à la personne assise en face d‘elles dans le tram, le train ou des salles d‘attente, sur les bancs publiques, bref, pour cacher aux autres qu‘elles lisaient une littérature considérée comme profane.
Je porte dans moi de la fantaisie, l‘amour, les mythes, … à la fois romantique, sauvage et compliqué.
La lectrice, lorsque elle était … disons démasquée, se trouvait aussitôt dans un cercle de grands fans…
Suivaient mes sœurs cadettes, les tomes 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, … (on attend toujours le dernier). Tous ensemble nous avons mangé des milliers d‘heures à un large publique.

Quelques années plus tard on a pris l‘intrigue pour en produire une telenovela. Elle aussi a connu un grand succès, pourtant je regrette tout ce qui s‘est perdu. Ça commence par la couleur ambre des yeux de la héroïne principale, ses connaissances détaillées des plantes et des herbes médicinales, des descriptions vétilleuses de la médecine du 18ième siècle, les nuances de la conversation et les discussions allant jusqu‘au fond des conflits de ce couple à travers le temps. Puis alors la complexité de la vie d‘une ferme dans les Highlands d‘Écosse, secouée dans les batailles de la rébellion jacobite, combat féroce et infructueux pour l‘indépendance, et des personnages à caractère si multidimensionnelle… Bref, tout cela ne pouvait pas transparaître dans les films, évidemment la mise en scène de mes 850 pages se heurtant aux limites du genre …

C‘est la vie. La vie d‘un livre se composant de périodes de succès, quelques années au repos dans une bibliothèque, dans les cartons lourds de déménagement, puis de temps en temps sorti de nouveau, relu, prêté de nouveau, …
J‘aime bien ma vie de livre.

„ Gramp – ein Mann altert und stirbt“ de Mark Jury et Dan Jury

Comme je fus content lorsque Mark et Dan en 1978 trouvèrent enfin une maison d‘édition !

Ces deux jeunes hommes, ces photographes courageux, créatifs et prêts à documenter une histoire émouvante. L‘histoire de leur grand-père et oncle qui trouva au sein de sa famille un endroit, un refuge même, pour vieillir avec sa maladie d‘Alzheimer et y mourir dans la dignité.
Je témoigne d‘une famille qui se battit pour Gramp, le vieil homme, et pour son droit de rester auprès de ses proches aux confins de sa vie. Leurs photos et leurs textes parlent de cet effort, ces joies et de la richesse de cette épreuve qu‘ils traversèrent ensemble.

En 1982 une maison d‘édition allemande publia ma traduction par E. Ortmann.

Aujourd‘hui je suis tombé dans l‘oublie, à l‘exception de quelque exemplaires qu‘on trouve avec de la chance dans les bouquineries.

„Unsere Welt neu denken“ de Maja Göpel

Je suis une invitation à vous pour repenser notre monde. J‘étais redigé au sujet de la crise climatique, cependant mon invitation est aussi valide dans la crise actuelle qui porte un autre nom et nécessite le même effort de réflexion, même s’il est beaucoup plus complexe.
Je vous propose un regard sur notre monde moderne et je vous fournis un tas d‘informations que je vous invite à regarder de plus près. Nature et vie – Homme et comportement – Croissance et développement – Progrès technologique – Consommation – Marché, état et bien commun – Justice – Pensée et action.
Cela vous tente ? En fait, une fois la crise surmontée, il nous restera un plus grand défi – celui de ne plus détruire notre planète, lieu seul et unique pour nous à y vivre.

Sabé

Nos bibliothèques face au confinement

La bibliothèque, notre « forteresse dérobée » – Nos livres, nos « armes d’instruction massive »

MERCI AUX PASSEURS DE LIVRES DE DARAYA

Je suis née pendant la guerre, à Chamonix, en 1943
Je pleurais beaucoup, on disait : sa mère n’a pas assez de lait pour l’allaiter suffisamment. Moi je pense que je pleurais car déjà je comprenais que la guerre était horrible, qu’il y avait les camps de concentration, des milliers de Juifs  déportés,  l’innommable.

Mon  grand père Melchior est mort en 1950 des suites de ces blessures dans les tranchées  à Verdun. Je  pleurais,  on disait c’est la première fois qu’elle est confrontée à la mort d’un être aimé c’est logique. Moi je pleurais  les catastrophes, les  souffrances, les traumatismes, les veuves et les orphelins.

Mon papa a combattu en Indochine,  jusqu’aux accords de Genève en 1954,  moi je pleurais car je ne comprenais  pas qu’on puisse tuer tant de vietnamiens, plus d’un million tout cela pour une guerre coloniale. Je  n’arrivais pas  à sécher mes larmes, on disait elle est triste car son papa n’est pas là.  On émettait des opinions, des points de vu,  jamais on ne cherchait les causes,  des théories des lois.

A l’école républicaine j’ai appris les fables de la Fontaine : « les animaux malades de la peste », déjà des virus. Et surtout la déclaration des droits de l’Homme. Les gifles pleuvaient car je posais des questions, je ne comprenais rien,  pourquoi on ne pratique pas l’égalité, la fraternité,  pourquoi on  exploite les hommes ? On pensait que je ne savais pas ma leçon que j’étais sournoise ou que je me réfugiais dans  des interrogations pour détourner l’attention et ne pas avoir à copier 200 fois ma leçon. Comment aider son prochain, comment combattre les inégalités ? Pourquoi des gens n’ont pas à manger? Le courage s’apprend il ?

 La paix est signée tout ira bien, c’était la réponse éternelle. Je l’ai cru et je me suis blottie dans les livres. J’aime les livres pour le toucher des couvertures,  le grain du papier, d’ailleurs je fais de la reliure,  je collectionne les livres de montagne, c’est  une passion.  Aux bibliothèques idéales  je rencontre les écrivains,  j’adore.  J’ai des livres partout dans toutes les pièces ce n’est pas une denrée rare. Je n’hésite pas à m’acheter un ouvrage même si je dois me priver cruellement de nourriture. Chacun sa drogue, son addiction.

Un jour Sabine  à l’atelier d’écriture a  lu  les passeurs de livres de Daraya, quelle vive émotion, qu’elle trouble étrange. Ces jeunes  ont ramassé dans leur ville détruite par les bombardements incessants des livres parmi  les décombres. Et ils se retrouvent pour les lire. C’est  leur lutte, leur arme d’instruction  massive,  un acte politique pour la paix,  la démocratie.  C’est  leur façon de s’évader de leur enfer,  de sortir de leur isolement et de partager avec d’autres l’apprentissage  de la lecture pour ceux  qui n’ont pas eu la chance d’être scolarisés. Quelle héroïsme, quelle bravoure, votre aventure est exaltante car dans l’adversité  vous ouvrez une troisième voie. Vous vous battez avec votre cœur, vos idées, vos expériences devront nous faire réfléchir, c’est vous que l’on devrait aussi applaudir le soir à nos fenêtres car vous ne perdez pas vos repères malgré la durée de ce conflit interminable et monstrueux. 

Et moi je n’ai pas versé de larmes pour vous,  quand les médias nous bombardaient d’information, j’ai exprimé mon indignation,  ma révolte intérieure,  ma  honte mais c’était trop loin la Syrie, et puis j’ai un agenda surchargé, je dois impérativement faire ceci et cela, je dois être efficace, entreprenante, je ne veux rien sacrifier à toutes les futilités qui me sont proposées. Je me suis seulement impliquée à une très petite échelle en faisant des cours d’alphabétisation aux réfugiés  syrien, en faisant des dons  aux humanitaires. J’ai soulagé ma conscience, et me suis consolée en pensant qu’à l’échelle  de l’humanité je ne peux pas changer le monde. Mais le corona virus m’a confiné, et cela  devient un temps pour enfin réfléchir.  Alors face à ma bibliothèque je sais que chaque livre sera «une alerte». Alerte pour me signaler que je ne vais pas attendre que les choses redeviennent comme avant mais grâce à vous, je me promets de chercher vraiment quel geste posé. Alerte pour pratiquer l’altruisme. Alerte pour simplifier mes actions, et comme le colibri qui s’active pour jeter de l’eau sur l’incendie je prends la résolution «de faire ma part» , grâce à vous, merci infiniment.

Elisa

Les livres, nos armes d’instruction massive.

Très chers amis,

L’oppression s’insinue bien souvent de manière invisible. L’ennemi vous est connu, il est montré du doigt, nommé. Il rode dans les airs et combat sur les ruines de vos villes, de vos vies. Mais il est l’arbre qui cache la forêt. Car l’oppression, la dictature commencent avant tout par l’ignorance et la censure.

Je pense Autodafé.

La censure qui tue les gens dedans, qui veut les dessécher de l’intérieur en les privant de nourritures terrestres quand chaque livre est un festin pour l’âme et pour l’esprit. Chaque récit est un repas qui repousse la famine des idées. La faillite des idées. La langue ne ment pas, Klemperer l’avait bien compris.

Il pense Manipulation. Alors oui chers amis, remplissez votre bibliothèque, dévorez- là, extirpez-en votre révolte. Nourrissez-vous pour échapper à La peste, à tous les archipels du Goulag, aux mains sales et à la Foret Profonde. Avalez les mots pour vomir votre oppression. Donnez à vos livres une raison d’exister pour qu’un jour, bientôt, à coups d’armes d’instruction massive explosent les murs du souterrain qui les protègent, mais les insultent.

Nadine

Une bibliothèque et ses lives du « confinement », une « arme de destruction massive » ( ref. à Daraya) , ce qu’est un livre, des livres en temps de « siège » …


Confinement, cloitrée, cloitre, couvent , nonnes, les clarisses, St Francois et ses oiseaux, ses frères, ses soeurs, j’aime le confinement, la lecture, le calme, une certaine lenteur, ralenti, convalescence, reconstruction, le fil des jours, les journées denses, intenses, le regard plus aiguisé, le sens de l’observation plus attentif, plus ouvert, le silence sans la rumeur de la ville, vivre les fenêtres ouvertes , le chant des oiseaux, tout un monde de chant – à la première écoute indéchiffrable, repérer les voix, les mélodies, les notes, comprendre la ligne mélodique, chante-t-il en fa, en sol . .. et là un dièse, une syncope, un martèlement, une note répétée, une percussion, un son fluté .. puis sa réponse, de loin, en écho, le dialogue des merles, en écho, ils se parlent, dès l’aube, un accueil, un nouveau jour commence …

Tonio

 “Les passeurs de livres de Daraya” : réflexions en période de confinement

“Face au virus, la bibliothèque est notre forteresse dérobée”. Mais de quel virus parle-t-on ? De celui de la discrimination sociale ! La bibliothécaire de Cronenbourg m’a ainsi raconté que certains, parmi les adhérents, lui avaient fait part de leur souhait de faire déplacer les locaux de la bibliothèque vers le quartier Saint Florent, beaucoup mieux fréquenté selon eux que celui où ils se situent actuellement. Or, c’est justement un des seuls lieux où, parfois, les différentes populations du faubourg se croisent. Quelle idée pathétique ! Et comment a-t-elle pu germer dans ces têtes qui, pourtant, doivent se pencher régulièrement sur d’admirables ouvrages, pleins de générosité et d’empathie avec l’autre? Les livres seuls ne suffisent-ils donc pas à ouvrir l’esprit et le coeur ? Ne sont-ils hélas pas pour tous ces “armes d’instruction massive” que nous désirons qu’ils soient ?

Clarisse

„Dire presque la même chose“ de Umberto Eco

Bonjour ma belle, bienvenu à ton bureau! Si tu veux, je t‘accompagne aujourd‘hui aussi dans ton travail qui te passionne autant, qui fait vibrer tes neurones, qui te fait voyager entre les mondes, entre les cultures, entre les langues.

Je te propose les réflexions de mon auteur au cours d‘une longue vie consacrée à l‘écriture, aux langues, à l‘art de la traduction.

Je me mets de côté de Swetlana Geier, qui t‘a appris des règles fondamentales de la traduction. Prendre du recul face au texte, te laisser t‘imprégner de ses idées, de son atmosphère, son style, son intonation, son rythme. L‘univers du texte de départ et reproduire sa complexité avec la plus grande fidélité possible dans la langue cible.

J‘aimerais bien (comme l‘avait déjà fait „In other words“ de Mona Baker) te fournir des éléments nécessaires pour que tu puisses travailler avec la plus grande diligence. C‘est ça, l‘art de la traduction, là, où il faut surmonter pas mal d‘obstacles, des différences interculturelles, la sémantique, des associations et références divergentes, des différences entre le monde d‘une langue et d‘une autre afin d‘enrichir le deuxième avec un texte qui, si tu te consacres entièrement à la tâche, sera „dit dans d‘autres mots“ et qui restera cependant „presque la même chose“ …

Sabé

Ce livre qu’on a pas encore écrit…

Quatrième de couverture d’un livre qui s’invente

Quatrième de couverture du livre que vous souhaiteriez avoir écrit

Les tribulations d’une urne

en 80 jours autour du monde

À partir d’un jeu de cadavre exquis nous suivons le parcours, plein d’aventures loufoques à crever de rire, d’une urne funéraire.

Un livre où se plonger absolument, si on ne souhaite pas mourir idiot !

L’auteure

C. Lamaure

Autodidacte, elle a multiplié les petits métiers, femme-sandwich, magicienne, thanatopractice, y trouvant une source inépuisable d’anecdotes joyeuses et farfelues qu’elle nous transmet désormais. Pour notre plus grand bonheur !

Clarisse

RETOUR EN AUTOBUS

Après avoir raté l’autobus, elle décida de tout reprendre à zéro : elle fit demi-tour, poussa pour la première fois la porte d’un café, commanda un double scotch et composa le numéro de téléphone d’Amélie Nothomb.

Avec Retour en autobus, Domitille Masquez signe ici son troisième roman, sans doute le plus intime. Fille de libraires espagnols, elle puise ici dans ses souvenirs et dans ceux de tout un pays qui oscille entre franquisme et movida.

Nadine

UN VACCIN CONTRE LE COVID OU LA FIN DU MONDE….

Dans un saisissant décor d’apocalypse  des chercheurs de tous les laboratoires du monde reçoivent des Dieux de l’Olympe une énigme afin de trouver un vaccin pour lutter contre le covid  19. Quel pays va relever le défi ? Une lutte sans merci  commence ou tous les coups sont permis. La médiocrité, les petitesses mais aussi les joies et les noblesses de l’engagement pour peut être guérir l’humanité de ce fléau.

ELISA, romancière et dramaturge, a reçu de nombreux prix, elle s’implique dans des associations accompagnant la mutation de notre société vers plus d’écologie et surtout de lien social.

J’emprunte à Ph. Jacottet « Pensées sous les nuages « 
Une rencontre avec l’oeil du poète. Un regard « Vous voyez là c’est mon frère. Et là, c’est moi , enfant » . Mais qui est cet auteur, de quelle vie est-il question ? Un opérateur, un spectateur, un photographe ? Quelqu’un qui nous invite à saisir, à regarder « par un petit trou  » … le trou de la serrure !

Tonio