Le corps dans l’écriture
Mon corps cet expert, mon corps qui espère
J’ai soudain lâché prise. Mon corps s’est défendu. Il s’est exprimé. Il m’a écrit.
Il a HURLÉ :
Ô la haut ! La duchesse
Ne sens-tu pas les crispations, les tensions et les émotions que je ressens ?
Peux-tu, s’il te plaît, arrêter d’être hautaine et faire attention à moi !
Je suis là, je suis avec toi et nous formons un couple avec ses moments de communion et de disputes.
Dois-je t’écrire une longue lettre lorsque je vais mal ?
Dois-je te donner des maux ?
Être sensible, à l’écoute, prévenante, c’est ce que je te demande. Prends soin de moi
ET arrête de juger mes défauts : accepte-les, une bonne fois pour toute!
R E S P I R E
Oui c’est bien.
INspire, expire – inspire, EXxxxxpire
Vis et observe.
Tu vois ?
Ressens-tu une différence ?
La détente qui vient et le bien-être qui suit.
Esprit et corps, nous ne faisons qu’un.
Nous resterons toujours solidaires.
Viviane
Du corps au papier en format phrase longue
Mon corps se tend comme un arc s’apprêtant à décocher sa flèche d’encre, comme des ricochets d’idées dessinant un sillon laborieux, et faisant couler le mental par saccades, en un jet concentrant mon jus de cervelle. Il y a une certaine forme de jouissance à s’oublier dans cet acte créateur, ponctuation entre nuages de pensées et la consécration dans l’espace. L’aérien glisse et finit par se figer dans une longue ligne droite qui s’étire, dégoulinante d’intelligence, et qui termine sa course au bout du chemin par une ponctuation signifiant que tout est advenu.
Yoan
La peau
D’abord la main, la peau. Est-elle lisse est-elle douce ?
L’ordinateur est allumé, l’écran attend. L’oeil voit l’impatience du petit trait qui clignote.
La peau est-elle douce ?
Elle a été frottée délicatement ce matin avant la douche. La brosse a réveillé la peau et les sens, fait rougir les pores. La peau, l’émonctoire à chérir, à nettoyer tous les jours pour libérer les toxines, laisser tomber ce qui ne sert plus, permettre à la lumière intérieure et aux idées de jaillir.
New self. Nouvelle page. Chaque jour.
La peau est-elle douce ?
Du marc de café et de l’huile de sésame se mélangent dans une pâte granuleuse, odorante, qui colore le corps d’une teinte sombre. On frotte à peine. L’eau rince et le corps est neuf.
La peau est-elle douce ?
La peau est douce, elle est souple.
L’écran est rigide, le clavier est froid, mais mon corps est souple, réveillé. Mes yeux passent de l’écran à mes mains, mes avant-bras.
Je caresse mes pieds et je libère les idées.
Anne
Reine et ouvrière
Lorsque j’évolue au bout de ma corde, avec toutes les parties de mon corps comme mes mains, mes pieds, mes jambes, mes yeux, mon cerveau, je m’envole telle une danseuse dans une chorégraphie historique agile.
Mes mains s’agrippent à la pierre que je vais restaurer, caresser, polir. Avec patience, j’oeuvre dans l’oeuvre avec un profond respect pour tous ces Hommes laborieux qui ont fait des splendeurs. Le temps s’arrête et je m’appuie sur lui, sur le savoir-faire des artistes et artisans, avec tout mon ÊTRE.
Je suis en fusion, je suis bien, moment de plénitude, plénitude du moment.
Mon ballet reprend, mon corps suit : je me balance de droite à gauche, de gauche à droite, je saute de haut en bas, me hisse de bas en haut.
Tel un pendule, j’oscille dans ce tableau,
Tel… un animal! Comme les insectes que j’aimais observer dans mon enfance.
Je me remémore ma fascination pour les abeilles et les ruches de mon grand-père. Je passais des heures à les observer travailler. Moi aussi, je colmate, je répare, j’amène ma pierre à l’édifice.
Abeille ou araignée, je fascine également les passants qui sont au spectacle et me regarde m’élancer vers la flèche de leur cathédrale.
Ils m’interpellent parfois et veulent entrer en contact. Impassible, je continue mon ouvrage et garde ma concentration, seule au monde.
Parfois, le ciel s’assombrit mais rien ne vient obscurcir le sentiment de liberté éprouvé au bout de mon cordon.
En fin de journée, je dois le couper et redescendre sur terre. Fatiguée mais heureuse, je prends soin de mes mains et les masse avec une crème onctueuse qui sent le citron de Sicile.
Demain est un autre jour, une promesse de courant d’air, une bouffée d’adrénaline et d’éternité.
Viviane
Serge
Serge se demande parfois comment ses collègues parleront de lui lors de son pot de départ à la retraite. Mais à vrai dire qui parlera de lui ? Qui le connaît suffisamment pour le décrire au-delà de l’évidence ?
« Serge est très grand, et on l’appelle pour aider à attraper ce qui se trouve en hauteur quand on ne trouve plus le tabouret. »
« Serge est très bronzé, on a l’impression qu’il revient toujours de vacances.’
Personne n’osera dire que Serge a l’air plus vieux que son âge réel, il a pas mal de rides.
Oui mais encore ? C’est tout ? Serge n’est qu’un physique ?
Serge s’imagine son chef ânonnant son discours de remerciements pour ses années de travail dans l’entreprise : « Serge a toujours été serviable, gentil, ponctuel, professionnel ». Si le supérieur n’est vraiment pas inspiré il pourrait dire que Serge ne fait pas de vague, ses vêtements sont propres et bien repassés, d’une couleur floue. »
Serge sera-t-il gêné par cette image qu’il a donnée de lui toute sa vie professionnelle ? Pas sûr.
Car là où Serge s’épanouit, il n’est rien de tout cela.
Sur son temps libre, celui où il n’est pas enfermé, encagé, Serge est un homme nu.
Depuis peu, Serge a osé franchir la barrière qui le séparait de son aspiration depuis des années.
il offre son corps à la nature. Sans vêtements, sans les oripeaux qui trahissent la condition sociale, Serge ne s’est jamais senti aussi libre.
La première fois qu’il a fait glisser son slip sur ses chevilles et enlevé sa chemise à l’extérieur de chez lui, il n’a pas osé déambuler.
Il guettait la réaction de ceux qui l’entouraient sur cette plage de gravière, nichée au creux de la forêt. Mais les habitués du lieu, occupés à faire une pétanque, à lire, à discuter ou à dormir, ne lui prêtèrent aucune attention. Personne pour venir lui reprocher d’être un pervers, un exhibitionniste, un mateur ! Il avait craint tout type de regards, de réaction, et il n’y en avait aucune ! Alors, Serge se déploya petit à petit, redressa cette grande colonne, vertèbre par vertèbre, et étira ses bras si haut au-dessus de sa tête que ses mains vinrent chatouiller les branches d’un pommier sauvage. Quelques fruits tombèrent. Les têtes finirent par se tourner vers Serge et les pommes à ses pieds. Enfin quelqu’un d’assez grand pour venir glaner ces fruits ! Serge continua de cueillir quelques pommes pour les distribuer à ceux qu’il ne connaîtrait que par leur prénom.
Les pommes étaient acides, croquantes, fraîches.
Et Serge, nu comme un ver, venait tout juste de sortir de sa chrysalide.
Anne
Du corps au papier en format phrase longue
Qu’est-ce qu’un corps dit d’un monde ou d’un univers – partie du corps comme perspective et assis dans un contexte.
Frédéric a épuisé son corps au gré des long mois de son isolement. Il a essayé du mieux qu’il pouvait d’en prendre soin au début du confinement, mais la discipline n’étant pas son fort, il s’est vite essoufflé pour mieux s’emmitouflé.
Son bide est devenu une sorte de jauge miroitant son niveau d’amour propre. Il l’a senti gonfler comme une baudruche, au même rythme que sa présence dans le vrai monde se diluait dans les nimbes de l’esprit poreux.
Son abdomen s’est transformé en un monde à part entier, un deuxième cerveau engluant autant sa fierté que sa volonté. Il est devenu enceinte de l’oubli, de l’insignifiance ou encore de l’irrévérence qu’on se porte à soi-même.
L’astre noir logé dans sous ses abdominaux a fini par accaparé tout son esprit et devenir son unique obsession. Certains portent leur croix, et lui materne sa boule au ventre.
Afin de se donner le change, il a bien cherché à user d’artifices élaborés, comme réinventer sa chevelure au travers d’une couple plus dans le vent, ou en refaisant sa dentition à grand renfort de frais dentaires. Rien n’y a fait, car un dentiste sait rendre les dents biens blanches et alignées, mais il ne détient pas la science pour faire naitre un sourire véritable.
Dans cet abime du temps engoncé et contraint, Frédéric en est même arrivé à se faire ronger de l’intérieur par le feu de la colère. Son foi s’est mis à lui adresser des signaux inamicaux et ravageurs. Ses organes ont tentés de lui envoyer des appels pour qu’il se ressaisisse à temps, et lui éviter de tomber tête-bêche dans le précipice de la désolation. Les tripes sont décidément des viscères tortueux et labyrinthiques où il est aisé de se perdre.
Heureusement, Frédéric pouvait compter sur de solides amitiés, des compagnons fidèles qui l’ont invité à s’extraire de son bas-ventre pour regagner l’espace de son poitrail flamboyant.
A cette heure-ci, il oscille encore entre vide et plein, mais une graine est plantée afin qu’il puisse se reconnecter à ses besoins.
Yoan
Les Mains du Copiste
Elles sont bien blanches, manucurées avec soin, les ongles mi-longs, les veines bien visibles et bleues… Mais ce n’était qu’une impression ! Toutes les articulations étaient gonflées à l’extrême, les phalanges déformées horriblement. Mais le pire ! Elles tremblaient… Elles semblaient danser la gigue.
Joseph le pieu, moine copiste de l’Abbaye de Solesmes en l’an de grâce 1356, soupira profondément… A 77 ans, son rêve allait enfin être achevé bientôt ! Recopier une bible à la perfection ! Dans un ultime effort surhumain, il banda tout son corps ! Et quel corps ! Celui d’un vieil athlète !
Grand, décharné comme un épouvantail, un escogriffe chancelant, vieux, sec, nerveux, courbé… son corps le tourmentait ! Par malchance, la souffrance de la migraine lui rongeait le cerveau aujourd’hui.
Mais pire que tout, la peau purulente irritée par la soutane trop serrée et sale tachait le papier partout. Un corps qui souffrait d’arthrite, les doigts goures, les tremblements nerveux sous l’effort surhumain, les gestes malhabiles, les lettres à former à la perfection malgré la souffrance…
Les muscles durs et secs qui rechignent à obéir au nerfs tendus, crispés et vibrants d’émotions. Le cerveau en feu à cause de la maladie, la lutte contre Parkinson… Les derrières phrases de son dernier évangile… Les pleins et les déliés qui ne doivent pas s’emmêler…
Voilà avec quoi il avait fait la perfection !
Un dernier effort, là maintenant… Le dernier mot ! Il se mit à le calligraphier…
F, comme Fou de Dieu. Toute sa vie il avait lutté contre le mal et ne voilà-t-il pas que le mal s’incarnait en lui, sous la forme de ses maladies si terribles ! Il aurait voulu crier, tempêter et vociférer, mais il n’en avait plus l’énergie… Sa gorge était paralysée, aucun son n’en sortait plus… Son seul moyen d’expression était l’écriture…
I, comme Icare… Ce héro grec qui était mort d’avoir voulu tutoyer les hauteurs et Dieu ! Ses ailes d’ange brûlées par le soleil, par la vindicte de Dieu ! Fâché par l’orgueil de l’humain ordinaire ! Lui aussi avait tutoyé Dieu… Dans ses oraisons, il avait cru le voir, lui parler et communier avec lui… Alors, pourquoi l’affectait-il de ces si terribles maladies ?
N, comme Nuit. Il allait y sombrer pour l’éternité, dans la nuit noire de l’oubli. Bientôt, plus personne ne se souviendrait de lui, le vieux moine copiste oublié de tous, perclus d’arthrite comme ces vieux archers qui n’arrivaient plus à décocher une simple flèche !
Enfin, le voilà calligraphié à la perfection ce dernier mot qu’il avait rêvait si fort… Le dernier mot de son chef d’œuvre, une bible parfaite, fruit de soixante années d’expérience de scribe : FIN !
Puis l’abandon ! Le corps qui abdique. C’était donc bien sa dernière œuvre ! Dans un dernier soubresaut d’énergie, il essaya de maintenir son cou droit, mais il s’effondra, tête la première sur ses mains blanches au sang bleu de noble, sur l’écritoire qui était patiné par la sueur de centaines de générations de copistes…
La mort le saisit… Dans l’instant !
Le supérieur entendit le bruit… Il se leva de sa chair de grand copiste pour s’approcher de Joseph le Pieu, alias dans une autre vie, Joseph Santiny, chevalier du château de Santiny. Le vieux sage vit de suite ce qu’il était advenu. Il se pencha sur le mort et écouta son souffle ! Rien, il était bel et bien décédé…
Il releva la tête doucement, avec respect, et ferma les yeux de Jospeh qui étaient encore figées sur son travail.
Et quel travail ! Le supérieur fit la grimace ! Sur le si beau papier des bibles de haute facture, il y avait des milliers de hiéroglyphes illisibles et brouillonneux qui semblaient avoir été écrits par un bébé !
Un gribouillis infâme !
L’âme de Joseph le Pieu était redevenue enfant, et allait regagner les Cieux avec l’habit parfait de l’enfance…
Paix à son âme…
Hugues
L’HEUREUSE MÉTAMORPHOSE DE THOMAS
Il avait lu cette phrase dans un magazine, sur une page publicitaire achetée, sans doute au prix fort, par une marque de cosmétiques dont le nom lui avait vite échappé. Une jeune femme dénudée – comme il était de coutume et comme la coutume demeure – simulait de gracieux mouvements de danse qu’on devinait classique. Le photographe avait opté pour du noir et blanc et de brillants esprits modelés dans l’or de cet âge scintillant de la publicité avaient trouvé ce slogan :
Le parfum est la musique du corps
C’était à la fin des années 80. Peut-être aussi au tout début des années 90.
Thomas était étudiant alors, et avait planché deux heures durant sur cette page, sa photo et sa légende. Il devait en résulter une analyse fine du message, devoir noté à rendre pour le lendemain.
Cet après-midi-là pourtant, le corps avachi sur sa chaise de bureau, Thomas se fichait de l’impact de ce mannequin nu sur le chiffre d’affaires de Dior, Hermès ou Givenchy. Brusquement, quelque chose l’en avait détourné. Une porte venait de claquer, ouvrant de son souffle une fenêtre jusqu’alors dissimulée dans son esprit. Et sans crier gare, cette fenêtre laissa passer des courants d’écriture.
Thomas se redressa d’un bond. Sa tête, sa nuque, ses pieds, ses tripes et bientôt son corps tout entier sentirent passer ce courant vivifiant. Sa peau se mit à frémir, sa bile stoppa net sa production d’angoisse et chacune de ses cellules sembla comprendre que la jeune enveloppe humaine qui les abritait était entrée en métamorphose.
Lui qu’on avait si souvent rabroué pour son manque d’enthousiasme devant les analyses et commentaires infligés comme des fessées, lui l’élève brillant et disert mais si timide de la plume venait de réaliser qu’il était libre. Libre d’écrire ce qui lui passait par la tête, de juxtaposer des mots qui semblent ennemis, d’associer des contraires, de se jouer de la syntaxe pour bouleverser ses propres convenances.
C’est ce mardi-là que Thomas décida qu’il serait écrivain.
Non pas publicitaire ou brillant cadre marketing dans une puissante entreprise, mais écrivain. Auteur de mots qui se courent après, se cherchent, se cachent et se bousculent, se couchent difficilement mais dorment docilement. Il mettrait en musique l’alphabet, caresserait la chair inusable des « l » élancés, des « b » au ventre rond et « s» contorsionnistes jusqu’à l’hypoderme, jusqu’à l’excès.
Dès le lendemain matin, Thomas se rendit dans une petite papeterie de son quartier qu’il avait peu fréquentée jusqu’alors. Ses copies simples lignées perforées étaient bien moins chères dans les supermarchés, il n’avait jamais compris l’intérêt de dilapider sa bourse dans des feuilles de qualité supérieure qui n’accueilleraient que des notes de cours. Mais là, c’était bien différent ; sa noble ambition méritait du noble matériel, choisi avec soin. Du papier de bois et de coton qui accroche en suffisance, mais permette à la plume de glisser le long de l’inspiration.
Il acheta donc aussi un stylo-plume. Un Waterman. Cela commençait à chiffrer mais, se dit-il « L’écriture passe par le corps, ma main et mes doigts doivent être à la noce ».
Ainsi naquit la vocation de Thomas, devenu l’écrivain que l’on sait.
Jamais plus son corps ne le fit souffrir, jamais plus son infirmité génétique ne lui parut un handicap. Jamais plus il ne resta vautré des heures sur son canapé, maudissant ce bras que la vie lui avait arraché enfant, juste par cruauté.
Ce mercredi-là, la littérature venait d’accoucher d’un homme heureux.
Nadine
BONUS, l’atelier nomade « corps & écriture » à Paris
Textes de Charlotte
Mon nuage de mots, façon monologue intérieur :
Pied
Histoire qui tient debout
Écrire avec ses pieds
J’écris en marchant, j’écris en respirant, j’écris en ne dormant pas
J’écris debout
Est-ce que ça passe par la cuisse gauche ?
Que fait ma main gauche ? Elle tient la feuille
Que fait mon ventre ? Il est contracté
J’ai le corps qui écrit
Dans la pénombre
Il fait sombre et chaud
ça pulse et ça bat, assourdissant dedans qu’on n’entend pas dehors
Lecture chuchotée qui dit si le texte va
Épaule, tête, cou
Omoplate
Écriture
Petit orteil ?
plante, paume
phalange
pli du coude
gorge
Écrire comme un pied
Dialogue
– Tu écris comme un pied !
– Merci.
– Ce n’était pas un compliment.
– J’écris debout, des histoires qui tiennent debout. Tout ça est donc bien affaire de pied. La stabilité dans les orteils et le talon, la respiration de la voûte : des piliers et de l’air.
– Mon cerveau me suffit : des images, des couleurs, des musiques : un bon texte.
– Aucune idée ne t’arrive jamais par l’omoplate gauche ? le pli du coude ?
– … (regard perplexe un peu long)
– Et contracter les abdos, quand tu veux donner de la force à tes personnages ? Tu as déjà fait ?
– Je ne sais pas, j’ai plutôt l’habitude de chercher mes synonymes sur le CNRTL…
Textes de Nadine
Texte 1
La tête pour moi, des phrases qui tournent et retournent, ritournelle qui s’insinue, idées qui
passent et s’oublient, idées fuyantes ou idées qui s’ancrent.
De ça de là, des mots des bouts de phrases, griffonnés à la hâte quelque part, un carnet
parfois, avant, le téléphone le plus souvent, maintenant.
L’écriture habite ma tête mais ne se glisse pas dans les gestes.
Rarement, maintenant, le papier. Le clavier plutôt, le toucher du clavier, les bruits qui
l’accompagnent, la vitesse qui s’entend.
Le papier, j’ai un peu oublié. Je ne crois plus à cela, l’écriture plus vraie, plus forte sur le
papier. Artifice, pour moi.
Mais du papier, j’aime le stylo-plume. Prolongement du papier, son vrrooot qui glisse, son
shshcrht qui râpe, son cccrrreeu qui accroche.
Perte de l’habitude, douleurs dans le poignet, la main se crispe. Inconfort.
Autre inconfort, pourtant, avec le clavier. La crispation se déplace, du poignet aux cervicales.
Le torticolis pointe.
Texte 2 (dialogue)
– L’écriture, la vraie, est le seul art imphysique.
– Imphy quoi ?
– Imphysique. Aphysique, si tu préfères.
– Aphysi quoi ?
– Tu le fais exprès ou quoi ?
– J’ai du mal à rejoindre ta perchitude.
– Ma quoi ?
– Ta perch’attitude, si tu préfères.
– Tu te fiches de moi, en fait ?
– Absolument pas, j’essaie de me mettre à ton niveau, mais l’échelle est trop haute à
monter.
– De quoi parles-tu ?
– Ah, c’est moi le haut perché, finalement !
– Mais franchement, de quoi parles-tu ?
– Le stylo-plume crisse et glisse sur le papier lisse…
Nadine, Paris, 30 mai 2021
Textes de Fabienne
Texte 1 :
Liturgie du corps
Les mains posées sur le bureau
Le dos droit sur la chaise
Le relâchement, mais pas la décontraction
La détende, mais pas la langueur
L’esprit aux aguets, attentif, prêt à attraper les idées lorsqu’elles surgissent
Elles sont fugaces, elles sont sauvages,
Un corps à l’écoute, disponible, au service
Une tension à maintenir.
Communion de l’esprit.
Texte 2 :
Le corps – Tu n’es rien sans moi.
L’esprit – Comme toujours, l’intendance suivra ! Pourquoi te donner tant d’importance ?
Le corps – Comme toujours, ce mépris du corps
L’esprit – Le corps n’est qu’un moyen, c’est toi qui n’es rien sans moi
Le corps – Ce mépris de classe, c’est agaçant
L’esprit – Accepte ma supériorité et tout sera plus simple pour toi.
Le corps – Tu confonds tout, être au service n’induit pas une infériorité.
L’esprit – J’en ai assez de ce discours de gauchiste, tu me fatigues
Le corps – Prends soin du moi, et tu verras, tu y arriveras
L’esprit – Je ne t’écoute pas, tu ne fais que me rappeler ma déchéance.
Le corps – C’est vrai que tu n’as pas écrit grand-chose ces derniers temps.
L’esprit – Ne me harcèle pas,
Le corps – Laisse-toi faire, tout ira bien, je suis là.