Ces instants-là… l’éclat des fragments

Instantanés de sa fenêtre

« Le ciel est lumineux et pourtant encore embrumé. Je reconnais les bruits familiers de la ville le dimanche matin : celui des voitures peu nombreuses, les cloches de l’église sonnent à l’instant, les oiseaux y mêlent leur chant dominical. Sur la terrasse, le pommier est tout en fleurs et certains arbustes laissent naître leurs bourgeons vert clair. Au loin, un mélange arboré aux couleurs dégradées, allant du blanc au vert foncé, qui s’entremêle aux habitations aux toits ardoisés. Et dans le loin profond, je peux deviner la longue chaine des Vosges qui se perd dans la brume, où chaque vallon nous invite à aller chercher le suivant. Ces cloches sont comme un joyeux messager invitant à une belle journée. Le soleil décide à l’instant de se manifester et lui aussi nous transmet dynamisme et énergie. Comme il est bon de se laisser caresser par ces éclates de vie qui nous rappellent à chaque instant la valeur de les vivre. Je suis prête à une belle journée ! ».

Anne-Sophie

De ma fenêtre

Un ciel laiteux baigne ma chambre d’une blancheur dépolie. C’est lui que je vois tout d’abord, ce ciel qui me fait sentir oiseau, en suspension au-dessus du quadrillage coloré des jardins s’étalant comme un tapis d’orient à mes pieds.

Pas âme qui vive… et pourtant chaque carré a son style, chaque lopin révèle un peu de la personnalité de son propriétaire. En voilà un méticuleusement rasé de frais, pas un brin d’herbe dans les allées de gravier blanc. À côté, une luxuriance d’arbres et de buissons dans un camaïeu de verts, de gris et de bleu, offre aux mésanges et sittelles un paradis bruissant de pépiements excités. Plus loin, le potager aux carrés soignés témoigne d’un jardinier patient, laborieux et productiviste. Ailleurs, des rangées de tulipes sagement alignées, une rouge, deux jaunes, une rouge, deux jaunes. Et là, un ballon oublié, une chaise longue abandonnée, un jardin à imaginer…

Clarisse

Je domine mon territoire, ma rue, car ma station spatiale est rue Curie à STRASBOURG au  8ème étage, 60 mètres au-dessus de la terre. Par les baies vitrées, si je lève un peu les yeux, c’est le ciel, la voûte céleste, qui, comme la palette d’un peintre, peut prendre toutes les nuances de bleues. Les premiers rayons du soleil scintillent à l’horizon et déjà réchauffent la vitre. Je surplombe les toits en tuiles des maisons du voisinage et les petites fenêtres du collège ainsi que la cime des arbres du parc de la Bergerie. Au loin, tel un décor de théâtre, c’est le Parlement Européen, la flèche de la Cathédrale et les crêtes des sommets vosgiens. Pas de bruits à cette altitude. L’odeur du café éveille mes papilles et je sens la joie m’envahir car, la minuterie des ateliers d’écriture va sonner. En tant que narrateur, je viens de prendre conscience avec surprise que je ne vois pas les voitures qui circulent dans les rues ni les passants sur les trottoirs. Peu de végétation, heureusement il y a un parc dans la copropriété et une école maternelle tout près, donc j’entends les cris des enfants et si je change de point de vue et me penche au-dessus de mes balcons, je ne suis plus avec les nuages, les éclairs et les couchers de soleil.    Elisa

Assise sur mon lit aussi loin que mon regard puisse aller, je vois de ma fenêtre les derniers étages des immeubles en face qui titillent un ciel qui aujourd’hui est vide de ses nuages, un ciel qui n’y ressemble pas. Une grue et quelques fumées qui font de l’ombre sur les murs de certains immeubles. Je vois aussi le haut de ce qu’on appelle dans le quartier le cube, tout bleu ou il est tagué SKUB en blanc. C’est la poste. Camions, camionnettes jaunes doivent être garées dans le parking jouxtant des bâtiments administratifs.
Sur les toits de ce mastodonte je vois des arbres, des plantations colorées. Les postiers feraient-ils un jardin partagé ?
J’entends depuis plusieurs heures le métro qui arrive tonitruant sous ma fenêtre. Rien ne l’arrête il suit son chemin du matin avant l’aube au soir dans la nuit. J’ai bien du m’y habituer. Je me suis mise à penser que j’étais dans un film japonais dont je ne souviens plus le nom, le personnage principal a une chambre collée au métro aérien. Je n’y suis pas collée mais c’est pas loin.
Un nid en équilibre dans le seul arbre que je peux voir de mon 8ème étage. J’y vois une famille de mésanges depuis quelques mois. Mon petit bonheur.

Isabelle

Ma fenêtre ouverte sur la quiétude d’un dimanche, l’atmosphère est paisible.

Le voisinage s’éveille en douceur, des effluves de café traversent le jardin.

 Une belle luminosité éclaire la fraicheur matinale.

J’éprouve une douce gaieté, je me sens en harmonie avec la nature qui m’environne.

C’est la promesse d’une belle journée de printemps propice à effeuiller ces instants-là, les petits fragments d’éclats qui colorent à chacun de nos pas nos chemins de vie.

Martine

De mon salon, ma rue est invisible à mes yeux. D’ailleurs ma rue ne s’appelle pas rue, mais route. En me penchant, je ne peux que la deviner derrière 2 rangées de gardes, le chef taillé au carré, plantés là pour faire une haie d’honneur à celui qui perpétue la fonction routière et routinière, roturière aussi dans sa fréquentation, sa majesté Tram A, premier de lignée.
Car j’habite dans un quartier autrefois noble et le seul morceau de rue que j’aperçois vraiment c’est la rue des Ducs qui relie le château de la Couronne à la Cour du Roi. Les véritables et vénérables arbres ne longent pas ma rue, ils ont poussé dans les trois parcelles qui s’étendent juste sous mes fenêtres et constituent une manière de parc privatif, dont je ne peux jouir que par le regard. Leurs cimes rivalisent aisément avec l’altitude de mon immeuble. Ce quarteron de monarques verts règne sur ses sujets, petits arbres fruitiers, buissons colorés, tapis de tulipes et d’autres fleurs printanières. L’empereur de ce domaine est sans conteste cet arbre mythique rescapés des temps immémoriaux, le prodigieux Gingko Biloba en personne, colonisé parfois par quelques volatiles hardis, pies ou corneilles et autres tourterelles  Sur la moquette verte en contrebas, le chat de son territoire fait le tour du propriétaire. Patrick

Instantané d’un dimanche matin

Ce ne sont plus les mêmes oiseaux qui chantaient pendant la nuit. Leurs mélodies sont désormais plus douces – le rossignol a laissé la place aux mésanges Le faible bourdonnement du frigo, à ma droite, se mélange au croassement d’un corbeau qui passe devant ma fenêtre. Au loin, les carillons d’une église m’indiquent l’heure : il est 9h30. Les cloches de l’église, derrière ma maison, laissent retentir un tonner sonore dans la paix matinale, tant pis pour ceux qui voulaient faire la grasse matinée. C’est pareil chaque dimanche à cette heure-ci. Aucune chance de dormir plus longtemps, même les fenêtres fermées. Je lève mon regard pour scruter le paysage à travers ma fenêtre. La vue est un peu encombrée par les deux grandes plantes de géranium aux parfums citronnés. Le persil à côté, ne dépasse que de quelques centimètres le bord inférieur de la vitre, pareil pour le trèfle rouge. Dans le coin droit de la pièce) l’arrosoir : une vielle théière en émail, l’ancien réveil de mon père qui ne manque pas de m’indiquer les 6 minutes déjà dépassées, lui fait face. Le cadre de la fenêtre est en bois, ce qui m’a particulièrement séduite, lorsque j’ai décidé de louer cet appartement. C’est dans ce cadre que s’inscrit la maison blanche voisine, à toit noir dépassée par le sommet des peupliers, tels des squelettes couverts des toutes premières petites feuilles printanières. Le voisin qui habite l’appartement en face au même niveau que moi, est entré dans sa cuisine. J’adore cette vue matinale. Toujours en chemise de nuit blanche, il se prépare son café. Je le guette par ses gestes. Les fenêtres étroites de la salle de bain à côté sont fermées par des rideaux – tant mieux. Les fenêtres de l’appartement en-dessous sont cachées par le grand bouleau sur lequel commencent à pousser ses feuilles vert clair, je perçois encore les branches blanches et entre celles-ci bout du parasol sur le balcon. Ce que j’aime plus est le petit espace qu’il y a entre cette maison et celle à sa droite. Même si un sapin le remplit presque entièrement, entre ses branches je peux apercevoir un petit bout du Rhin. Les soirs, parfois, ce petit bout de bleu tourne à l’ orange et au rouge lorsque le soleil se couche. Ce matin, je suis assise à la table de ma cuisine pour profiter de la plus jolie vue de mon logement. Il est 9h50, je descends et je vais rejoindre le groupe d’écriture en ligne dans un instant … Sabé

Fragments – Cet instant-là…

« L’instant d’avant, j’entendais et ressentais la douleur. L’atmosphère était chargé, lourd et étouffé.

Soudain vient cet instant. Le temps s’arrête. Plus aucun bruit. Aucun mouvement. La vie semble en suspend. J’entends seulement le battement de mon cœur alors que j’attends, haletante, l’instant suivant.

Que se passe-t-il ? Où en sont-ils ? Flottement d’idées, flottement des sens, flottement de mon corps, qui ne sait s’il est entier ou éparpillé. Insoutenable instant qui semble durer une éternité.

Soudain, la vie reprend, l’énergie circule ; je sais , je le sens, il est né, il est arrivé, il est vivant. Un fil nous relie, il fera désormais partie de ma vie ».

Anne-Sophie

Quelques instantanés

Douceur de l’argile sous mes doigts. Je malaxe, forme et déforme cette matière qui soudain prend vie. Émerveillement de penser, voir, créer en trois dimensions. Je sculpte !

J’ai quatre ans et je contemple stupéfaite mes petits orteils ronds peu à peu disparaître sous le sable humide, à chaque nouvelle vague, inlassablement.

J’enfourche mon Solex. Il est mon ami le plus cher : il m’emmène où je veux quand je veux. Les cheveux au vent je m’échappe, je voyage et je rêve… à quelques centaines de mètres de chez moi.

Le soleil a une odeur. Une odeur de beurre salé sur ma peau toastée. Une odeur d’ocre sur des murs anciens. Une odeur de sexe et d’amour. Enfin, je connais l’odeur du soleil.

Clarisse

A cet instant là, à la vitesse d’un bolide au 24 heures du MANS je dévale la pente à 45 degrés du glacier de l’Envers des Aiguilles. J’ai perdu l’équilibre après 600 mètres  d’ascension dans un dédale  de séracs, de crevasses. En dévissant, je n’ai pas perdu mon piolet,  il est mon compagnon de cordée le plus précieux car lui seul peut enrayer ou freiner ma chute vertigineuse. J’essaye de l’ancrer dans la glace, mes efforts sont surhumains mais inutiles. Je franchis  une rimaye et bascule tête la première, je fini par le lâcher, il voltige comme un acrobate et même s’envole dans le ciel et brusquement plonge et disparait. J’ai perdu mon ami, je suis en colère. Mes ongles griffent la glace. Ma peau sous l’effet abrasif de la glace et des graviers est éraflée,  elle saigne et laisse se dessiner un beau ruban rouge. Un grand saut dans le vide, un labyrinthe de  glace, sans trace humaine, ni perspective, un peu fantasmatique et monstrueux. C’est un univers glacial, transparent et ténébreux. J’ai peur, la réalité tend à se dissoudre, ce qui m’attend  est tragique. Le silence. Un froid sidéral. Du bleu partout : mon réceptacle est un souterrain mais pas celui «d’Alice aux pays des MERVEILLES», ni la caverne d’Alibaba..

A cet instant-là, tous les éléments sont contre moi, une pluie torrentielle, des bourrasques de vent à 100 à l’heure, des éclairs, le tonnerre rien ne manque à ce déchainement des forces de la nature. Ma cape de pluie voltige comme une girouette, mes cheveux me bouchent les yeux, les gouttes de pluie me transpercent et dégoulinent sur ma poitrine, dans mon dos, une drôle de jouissance. Je tremble comme une feuille morte. Je lutte de toutes mes forces pour pédaler et avancer. J’ai la sensation de faire du sur-place, et suis inquiète car j’ai à ma droite la ligne du tram et  à gauche la chaussée et les voitures. J’ai peur car tout s’assombrit, j’entends des branches qui craquent, pourvu quelles ne viennent entraver la chaussée et me projeter à terre. Tout à coup, mon vélo s’immobilise, je reste comme un épouvantail quelques secondes puis je perds l’équilibre et bascule. Catastrophe : la roue  s’est coincée dans le rail. Ma tête cogne le sol, ma jambe  est coincée. Je hurle  car je perçois le bruit du diable dans un nouveau tram qui pointe à l’horizon, c’est machiavélique. On m’agrippe par les pieds, j’ai mal mais vue les circonstances, je pense « après moi le déluge ».  

Elisa

Cet instant-là, dès la proposition d’écriture, les mots sont sortis de mes tripes avec une telle violence qu’ils sont devenus le prolongement de ma main sans que j’ai à réfléchir. Nous sommes un groupe qui participe à l’atelier « Fragment autobiographiques » Cette fulgurance m’a dépassée.
Si présent par son absence depuis que je suis toute petite. Sans lui un vide que je ne peux combler, j’en crève de cette vie avec un père si présent par son absence. Comme une chanson, un hymne à l’amour pour ce père que je n’ai pas connu. Je l’aime à mourir. Isabelle

Cet instant-là…

Nos regards se croisent et brillent d’une complicité infinie

Cet instant-là…

Je me jette avec exaltation dans les vagues de l’océan !

Cet instant-là…

J’enfile mes premiers chaussons de danse, la douceur des     rubans de satin au toucher

Cet instant-là…

Je sens la main rugueuse de ma douce Micha dans la mienne

Cet instant-là…

Je pleure à la lecture d’un livre

Cet instant-là…

Je surprends un lézard qui se faufile dans la vielle maison de pierre.

Martine

Premier jeu

Cet instant-là, où je découvre dans une poche de la valise de mes grands-parents, une boîte aux drôles d’illustrations en forme de bornes kilométriques et d’animaux-vitesse, ce jeu qui allait, bien avant le Monopoly, enchanter mon enfance.
« S’il te plaît, papapa, tu joues avec moi ? »

Premier film

« Allez, venez maintenant, on va faire un film. »

Mon père vint de s’offrir sa première caméra super 8. Dans mon imaginaire en construction, des images fantasmées se bousculent. Les seuls films que j’ai eu l’occasion de regarder jusqu’à présent sont fixes : les aventures de Sylvain et Sylvette, ou de Perlin et Pinpin.
La Citroën de mon père nous emmène aux frontières du village, là où un charmant pont traverse la rivière Zorn. Il se campe sur un carré d’herbe, les genoux fléchis pour être à la hauteur de ses deux garçonnets.

« Allez-y, avancez doucement vers la caméra »

Nous nous exécutons gauchement.

-Quoi, c’est tout ?. Quelle déception ! La vie c’est pas du cinéma.

Premier feu

Son bout incandescent attire mes doigts comme un aimant.
Mon grand-père esquisse un geste pour m’empêcher de saisir l’objet de convoitise.

« Non, laisse-le essayer ! » lui enjoint mon père.
Je porte le bâton magique à mes lèvres et tente une aspiration.

Pouah ! Je me mets à tousser sur le champ et tente d’évacuer comme je peux les relents âcres qui m’encombrent la gorge.

On ne m’y reprendra plus !

Premiers émois

C’est la mi-août, il fait beau et chaud et les cigales sont au rendez-vous dans cette cité provençale où séjourna autrefois une célèbre chroniqueuse de la Cour. Ce n’est pas à elle que je pense à cet instant où les accents fugaces du saxo de Gerry Rafferty troublent l’air, mais à cette fille de la bande qui me fait face et dont je bois les paroles.

Ô oui, je ferais n’importe quoi, pour un flirt avec toi…

Patrick

Fragment 1

Cet instant-là … nous réunit. Nous sommes à trois dans le bureau de Charles. Lui, avec sa trompette, Cathy et moi, avec nos saxophones. Nous répétons une pièce pour la énième fois, juste une ligne. Encore et encore.

Et là, tout à coup, le son de nos instruments s’unisse, pour n’en former qu’un seul. Comme une vague qui nous réunit et qui nous emporte. Il n’y a plus de trompette, ni saxophone alto, ni saxophone ténor. Il en est de même ^pour les trois musiciens – nous et les sons sont devenus indivisibles.

Je plonge mon regard dans les yeux de Charles et j’y retrouve le même bonheur et l’étonnement à la fois. On se contemple comme si on était amoureux, ce qu’on n’est pas dans la vie.

En gardant les lèvres autour de la bouche du saxo, je tourne mon regard vers Cathy et nous nous sourions du coin des yeux. Nos corps bougent au même rythme, guidés, emportés par cette vague envoutante de musique.

Puis, nous regrettons déjà la fin de cette pièce. Nous éclatons de rire, couvrant ainsi les petites larmes qui se forment au bord de nos yeux, nées du bonheur de cet instant.

Fragment 2

À cet instant-là, à une distance de vingt mètres devant moi, une dame monte sur son vélo. Le jour est ensoleillé, mais l’air d’avril demeure toujours frais. J’ai terminé mon travail et je rentre chez moi, à vélo, tout comme elle. Je ralentis pour laisser le temps à la dame de monter tranquillement sur son vélo. Son manteau, ses jambes, ses chaussures et ses mouvements m’indiquent qu’elle n’est plus jeune. Ce qui me frappe est son chapeau rouge. Il est d’un rouge vif plutôt dans la mode des années vingt.

Elle est partie, je la suis, on pédale sur la même piste cyclable. Au prochain feu rouge, je la rejoins

et je vois son visage – marqué par les années et jeune à la fois, ravissant. Ses yeux bleus sont entourées de petites rides et le bord de son chapeau rouge les fait encore plus rayonner…

Fragment 3

Je suis enfin arrivée chez moi. Il fait noir ce soir de janvier et je suis épuisée par la route que je viens de faire. Cet instant-là, après enfin avoir trouvé une place pour garer ma voiture près de ma maison, j’ai hâte de pouvoir retrouver mon appartement et enfin enlever mes chaussures qui commencent à me faire mal. Suis-je bien garée ? Je veux juste vérifier en ouvrant la porte de ma voiture de quelques centimètres. La lumière d’une voiture qui me dépasse. Un choc soudain.Un bruit sec. Des fragments qui éclatent, …

Sabé

Fragments déployés

« Je le regarde, de loin, puis de prés. Il m’attire, me donne envie. Sa forme droite et son allure élancée m’inspirent, Allons-y !

Mes pouce et index se réjouissent de l’enserrer et de le porter lentement jusqu’à mes lèvres… qui s’entrouvrent.

Alors je croque, de toutes mes dents, de tout mon être. Qu’il est froid ce chocolat ! Surprise ! Merveille, éclat de bonheur qui se répand et tapisse chacune de mes papilles…. Surprise ! le liquide enfermé se libère et circule doucement, liquoreux, à son rythme… trop rapidement, je le tiens, je le retiens, je le veux, encore et encore…. Surprise, la cerise qui éclate et se laisse déguster, lentement, pour faire durer ce magnifique instant ».

Anne-Sophie

Ce soir-là, nos regards se croisent et brillent d’une complicité infinie.

Dans le partage de nos sourires, c’est une rencontre en silence, des yeux qui s’illuminent, deux visages qui se font faces sans mots, juste la caresse d’un éclat de rire, joli fragment de souvenir, instant de vie inoubliable.

Martine

Je suis face à ma feuille blanche.

Le sujet ne m’inspire guère et pourtant il faut que je me fasse violence. Non, décidément, aucun des fragment que ma plume a exhumés de ma mémoire d’enfant ou d’adolescent ne se prête au jeu du développement. Développer, c’est corrompre me crie ma conscience, c’est un crime contre l’Enfance. À l’instar de la gorgée de bière, la seconde version n’aurait pas la même saveur que la première, un goût de reviens-y qui sentirait le frelaté, l’artificiel, un coup de force pour mettre au pas un souvenir trop présent. Tandis que je continue à me poser mille questions, mon stylo, lui, a pris les devants, tel un cheval fougueux. L’encre couche des mots sur le papier, déjà délesté de sa virginité pesante. L’instrument devance l’esprit, le matériel précède la substance grise. Écrire est un plaisir, parfois, mais c’est aussi une douleur qui s’exprime par le truchement de cette pointe aussi aiguë qu’un scalpel que rien ne saurait arrêter une fois qu’elle est en train d’opérer. Hors-sujet sans doute, mais basta, qu’importe la consigne, l’instant ne se décrète pas, il se vit.

Patrick

Fragment en rouge

Quel beau jour d’avril ! Il fait toujours frais, mais le soleil me chauffe déjà mon dos. Je suis à vélo, sur le chemin du retour de mon travail et je laisse mon regard parcourir les environs et s’attarder sur les passants que je croise. C’est ainsi que je vois à cet instant-là, à une distance de vingt mètres devant moi, une dame monter sur son vélo. qui peut-elle bien être ? Elle ne semble plus toute jeune. Son manteau, ses jambes, ses chaussures et ses mouvements me l’indiquent. Je ralentis pour lui laisser le temps de monter tranquillement sur son vélo … Ce qui me frappe est son chapeau rouge. Un rouge vif comme ceux à la mode des années vingt. Elle semble déterminée. Sans hésiter, assez vive, courageusement elle s’insère dans la file des vélos sur la piste cyclable. Je suis à quelques mètres derrière elle et je ne veux pas la perdre de vue – elle me rend curieuse. J’ai hâte de la rattraper quelque part et si j’ai de la chance, je peux me retrouver à ses côtés et peut-être voir son visage … La route est longue, mais enfin, au prochain feu rouge je la rejoigne.

Puis je vois son visage – marqué par les années et jeune à la fois, ravissant. Ses yeux bleus sont entourés de petites rides et le bord de son chapeau rouge les fait encore plus rayonner… Je la salue en lui faisant un compliment sur son beau chapeau, ce qui devient le début d’une communication joyeuse. Nous partageons quelques fragments de nos vies jusqu’au moment où nos chemins se séparent, c’est à dire devant la porte du supermarché où elle veut faire ses courses …

Sabé

FRAGMENTS DIALOGUES

  • Pourquoi étais-tu là ?
  • Je venais rendre visite à la future maman, la soutenir dans ces heures douloureuses avant la naissance.
  • Et l’as-tu vu ?
  • Non, je ne l’ai pas vu. Elle venait de partir en salle de travail, une infirmière m’a proposé d’attendre si je voulais.
  • Alors qu’as-tu fait ?
  • J’ai hésité. Rester, oui, mais combien de temps, peut-être longtemps. J’avais le temps, l’envie de soutenir à distance ces amis-futurs-parents, alors je suis restée.
  • Et que s’est-il passé ?
  • Tout s’est accéléré. Le couloir était agité ; j’entendais crier ; l’atmosphère était chargée.
  • Et puis ?…
  • C’est là que c’est arrivé, un instant magique où le temps s’est arrêté, où le silence a dominé, où je ne comprenais pas ce qui se passait. Je ressentais une intensité ; la vie était en suspend.
  • C’est fou ça ?
  • Oui c’est fou, ça a été fulgurant. L’instant d’après, j’ai ressenti la vie refaire vie, l’énergie circulait, l’atmosphère s’allégeait. Je savais, il était né ».

Anne-Sophie

Café-clope

  • Quoi Mamie, tu as été fumeuse, toi, vraiment ?
  • Oui, c’est en révisant mon bac que j’ai commencé ce qui est devenu le rituel du café-clope …
  • Mais c’est mauvais, de fumer !
  • Tu sais, ma chérie, si c’était juste “mauvais”, personne ne fumerait, tu ne crois pas ? Et puis, c’était tout un symbole. Un petit noir et une grande blonde, ça te faisait grandir d’un seul coup, et de pas mal d’années même ! Ça te donnait un look affranchi, tu vois ! D’ailleurs c’était aussi un acte de rébellion : une fille n’était pas censée fumer, surtout en public.
  • Mais tu aimais ça ?
  • Oui, c’était bon ces cafés-clopes quotidiens ! leurs âpretés mêlées, la fumée de l’un répondant à celle de l’autre, chaleur et intensité…. C’est vrai que le tandem devenait bien vite un couple exigeant, puis délicieusement addictif, et pour finir un couple infernal qui réglait ta vie pour longtemps, le café appelant la clope et la cigarette demandant sa dose de caféine !
  • Tu regrettes alors ?
  • Bon, l’habitude naît en un instant alors que le sevrage te prend des années…. et pourtant, non, ma chérie, je ne regrette pas. Parce que c’était bon. Bon d’avoir 17 ans. Bon de se sentir rebelle. Bon d’aller au café et de fumer comme une adulte. Alors, au contraire, je leur dit merci, à ces chers cafés-clopes de ma jeunesse !

Et d’ailleurs, j’ai eu mon bac, non ?

Clarisse

Pourquoi es-tu en train d’écrire ?

  • Tu sais bien, je te l’ai dit mille fois, j’ai eu un accident et je vais pondre un article pour une revue de montagne, de toute façon je suis immobilisée, j’ai des fractures, la montagne c’est fini momentanément.
  • Pourquoi fais-tu de la montagne, toi ?
  • J’adore grimper, pour le «fun ». Pas d’objectif, on monte et l’on redescend.
  • Mais dans quel but ?
  • -Pas de but précis, on est «des conquérants de l’inutile».
  • Mais c’est débile : monter et….. lis-moi plutôt ce que tu es en train d’écrire. 
  • « A cet instant-là, à la vitesse d’un bolide au 24 heures du Mans, je dévale la pente à 45 degrés du glacier de l’Envers des Aiguilles. J’ai perdu l’équilibre après 600 mètres  d’ascension dans un dédale  de séracs, de crevasses. En dévissant, je n’ai pas perdu mon piolet,  il est mon compagnon de cordée le plus précieux car lui seul peut enrayer ou freiner ma chute vertigineuse. J’essaye de l’ancrer dans la glace, mes efforts sont surhumains mais inutiles. Je franchis une rimaye et bascule tête la première, je finis par le lâcher, il voltige comme un acrobate et même s’envole dans le ciel et brusquement plonge et disparait. J’ai perdu mon ami, je suis en colère. Mes ongles griffent la glace. Ma peau sous l’effet abrasif de la glace et des graviers est éraflée, elle saigne et laisse se dessiner un beau ruban rouge. Un grand saut dans le vide, un labyrinthe de glace, sans trace humaine, ni perspective, un peu fantasmatique et monstrueux. C’est un univers glacial, transparent et ténébreux. J’ai peur, la réalité tend à se dissoudre, ce qui m’attend  est tragique. Le silence, un froid sidéral, du bleu partout mon réceptacle est un souterrain mais pas celui « d’Alice aux pays des merveilles », ni « la caverne d’Alibaba ».
  • Mais je ne comprends rien ! Vous montez et redescendez une paroi, un glacier, sans objectif, mais c’est insensé.
  • C’est toi qui m’a appris la montagne, grand père, c’est toi qui voulait que je sois la première femme guide de la vallée.
  • C’est impossible, moi je ne sais que nager et voler avec mon parapente.
  • Tu es l’inventeur des « spits », des «robots guides», des compétions des « premières et des dernières » et les écolos quand ils ont compris que tu dynamitais les sommets pour avoir des itinéraires vierges, ils ont mis un véto.
  • Ma mémoire me fait cruellement défaut, je ne comprends rien.
  • Tu trouvais les guides trop rustres, mais ça n’a pas marché ton brevet car les clientes elles tombent toutes amoureuses de leur guide et coucher avec un robot ce n’est pas jouissif.
  • Ton papier, nul car lâcher son piolet c’est ridicule, et s’en foutre de faire quelque chose qui ne serve à rien encore plus ! Et ne pas mettre de titre à ta « nouvelle», ça va intéresser personne, sans compter que raconter des accidents pour promouvoir la montagne c’est sordide.

Elisa

Tu ne ne connais pas ton papa ?
Non
Comment c’est possible
Il vient d’une autre planète
Tu racontes n’importe quoi
Non, j’te dit que c’est vrai.
Ça n’existe pas d’autres planètes
Si, il existe d’autres planètes
Racontes-moi
Mars, vénus, Jupiter et celle du Petit Prince
Et alors ?
Il n’a pas pu aller avec le Petit prince, sa planète est trop petite. Il y habite déjà avec une rose
N’importe quoi
T’a qu’à pas me croire; Moi je sais que c’est vrai
Mais où il est alors, sur quelle planète
Mon papa est dans la cuisse de Jupiter
Ah bon. Tu l’as raconté aux autres ?
Non

Isabelle

Lui : On se connait ?
Elle : Oui, on se connait. Je suis venue chez vous un jour… D’ailleurs on se disait tu.
Lui : Chez moi ? Comment ça ?
Elle : On s’était rencontré sur la place principale de ton village. J’étais avec un garçon : Nat., et tu nous as invités à venir boire un verre chez toi…
Lui : Ah oui… Les français… Lui, je m’en souviens, mais toi… C’est flou.
Elle : C’est peut-être parce que j’ai été prise par la sensation de disparition dans l’escalier qui menait chez toi…
Lui : Je comprends pas…
Elle :… Oui au moment d’entrer dans ton appartement, je me suis retournée et la vue des montagnes immenses, les sons qui montaient du village en s’enroulant autour des fumées des foyers m’ont fait me sentir minuscule
Lui : Tu avais fumé ?
Elle : Non, pas du tout, mais je crois que j’ai à cet instant-là, pris conscience que je suis le résultat d’un instant fugace.
Lui : Heu… Je ne suis pas sûr de te suivre là…
Elle : Je veux dire que nous autres, on est issus d’une rencontre a un instant T ; Mes parents se seraient aimés la veille ou le lendemain, ce n’est pas moi qui serais là maintenant.
Lui : Ouais ! T’avais fumé !
Elle : En fait ce jour-là, je me suis dit que personne que je connais ne savait ou j’étais, ni avec qui, ni dans quel état, et je pouvais disparaitre sans aucun problème
Lui :… Tu veux dire que tu as eu peur ?
Elle : … Peut-être… En tous cas c’était vertigineux comme sensation. Et puis tu vois, j’ai tout simplement disparu de ta mémoire.
Lui Oui, ou je ne t’ai juste pas imprimé !
Elle :…
Lui :… Bon alors on va le boire ce verre ?

Marie-Julie

Méta-dialogue avec moi-même

Même :           Vous dites que les seuls films que vous aviez vu à l’époque sont des films fixes, un peu comme des diapositives. À quoi vous attendiez-vous donc ?

Moi :               Précisément, je ne savais pas à quoi m’attendre. Pour autant, mon imaginaire d’enfant avait, semble-t-il, interprété l’invitation de mon père d’une certaine manière.

Même :           Vous aviez quel âge à cette époque ?

Moi :               Je ne peux pas vous répondre précisément, si ce n’est par déduction. Nous avons déménagé à K l’année de mon quatrième anniversaire et mon frère a aujourd’hui encore presque deux ans de moins que moi. L’action, si on peut parler d’action, qui se déroule à W doit donc probablement se situer entre le printemps et l’été, mon âge approximatif était donc vraisemblablement d’une cinquantaine de mois.

Même :           Et pourquoi ce souvenir est-il encore présent aujourd’hui.

Moi :               Clairement, la déception que j’ai éprouvé ce jour-là fut considérable. Je pense qu’elle provient d’un malentendu. Le mot film m’a évoqué instantanément une séance de cinéma. J’adorais être immergé dans les aventures de Sylvain et Sylvette, car cela éveillait en moi des sensations fortes : peur, angoisse, soulagement et bonheur. Dans cet exercice que mon père nous imposa ce jour-là, il n’y avait rien de tout cela. J’étais incapable de faire le lien entre cette promesse d’émotions fortes et la platitude de cette scène. J’ai du revoir ce bout de pellicule probablement des dizaines de fois, mais cela n’a jamais atténué ma déception face à l’indigence du scénario.

Patrick

– Mamie, c’est joli, ce chapeau que tu portes aujourd’hui ! Je ne l’ai jamais vu !

– Tu as raison, ma puce, je ne l’ai jamais porté jusqu’à présent.

– Tu l’as depuis longtemps?

– Oui, ma petite, mais je n’ai jamais osé le porter en publique.

– Et pourquoi tu le portes aujourd’hui ? C’est beau d’ailleurs !

– J’ai été inspirée par une mamie encore plus âgée que moi.

– Quel autre mamie ?

– Je l’ai rencontrée hier.

– Hier ? Où ça ?

– Dans la rue. Quand je roulais à vélo.

– A vélo ?

– Oui ! Tu imagines, elle pédalait à vive allure devant moi.

– Elle était donc en bonne forme…

– On peu le dire. Elle a eu un peu de mal à monter sur son vélo, mais après, moi j’ai eu du mal à la suivre.

– C’est drôle, Mamie ! Mais le chapeau ?

– Elle portait un chapeau.

– Mais c’est normal ! Il fait froid !

– Oui, mais elle portait un très beau chapeau. En rouge, tu vois ?

– En rouge ? Comme le petit chaperon rouge dans mon livre?

– Non, ma puce. Beaucoup plus élégant. Comme les femmes les portaient il y a très longtemps. Je l’ai vu dans les films des années 20.

– Il était spécial alors ?

– Oui, un rouge vif et une forme ronde avec un petit bord un peu renversé. Mais c’était surtout ce visage rayonnant que j’admirais en-dessous de ce chapeau.

– Mais comment as-tu pu voir son visage, tu m’as dit que tu étais derrière elle !!

– Ta remarque est très pertinente, ma petite. En fait, on s’est arrêté au même feu rouge et on s’est salué.

– Qu’est-ce qu’elle a dit ?

– C’est moi,qui est engagée la conversation. Je lui ai fait un compliment pour son chapeau et puis nous avons continué la route côte à côte et elle m’a raconté sa vie.

– Toute sa vie ?

– non bien sûr. Mais des fragments très intéressants. Elle a vécu des choses incroyables. Et elle n’a jamais perdu son courage.

– C’est pour ça, toi aussi, tu veux être courageuse ?

            – Un peu comme ça.

– Alors qu’est-ce que je peux mettre sur ma tête, Mamie?

Sabé