ATELIER NOMADE – Entre refuge et Liberté
Nuages de mots
REFUGE : intimité, bougie, intériorité, ressource, retrouver, mon antre, récupérer, nid, grotte, cabane, abri, se blottir, repli, couette, pénombre, recours, secours, port d’attache.
Ce qui nécessite un refuge ?
La peur, le froid, l’absence, la guerre, la tempête, la haine, la souffrance, la tourmente, la maladie, la perte, la maltraitance, l’indifférence
Choisir un refuge les yeux fermés et le décrire.
Sur mon refuge
En face, le ciel et les nuages filant l’horizon.
Sous moi, les tuiles grises et leurs attaches métalliques.
A ma droite, la cheminée, seule forme de premier plan s’imposant à mon regard.
En moi, une solitude aimée, un centrage recherché, un horizon complice.
L’air tout autour.
L’altitude nécessaire, sans doute.
La respiration libérée, sûrement.
Je ne savais pas ce qui me poussait à ouvrir la fenêtre
et rejoindre mon toit…
Il faut du temps parfois pour comprendre la relation aux lieux, aux choses, aux êtres
qui jalonnent le fil rouge de la vie.
Introduire un personnage fictif, décalé – décrire le sentiment de liberté.
« La liberté c’est être soi-même dedans et dehors ».
Etre à l’air libre,
En position ressource.
Dans la maison, la réalité
fragile, aléatoire, déroutante,
est laissée à distance.
Sur mon refuge,
Je m’en libère, je la laisse de côté.
Je suis juste le ciel.
Le moi est au repos,
Les doutes endormis.
Reste le cœur qui bat,
Dans ce tout mystérieux.
Mais qui va là ?
Brisant ma retraite intérieure,
Pénétrant cet espace choisi,
Que je croyais n’être qu’à moi.
De sa démarche velour,
Il me nargue.
Son regard m’éclabousse…
C’est sûr, il est le roi des lieux.
Mais… suis-je ridicule !
Ce lieu n’appartient à personne.
La liberté c’est être soi-même dedans et dehors !
Adresser une lettre à quelqu’un en souvenir d’un sentiment de liberté
« On ne s’était jamais sentis si libres, si vivants, de la tête aux pieds, à l’unisson, reliés entre nous par les mêmes veines, irrigués du même fluide voluptueux ».
Ma chère Alyette,
Je suis sur le toit de la maison.
En pensées, puisqu’elle n’est plus.
Tu sais la magie de la mémoire et la surprise des souvenirs enfouis qui émergent parfois.
Il y en a un qui a explosé ce matin à la surface.
Et ce souvenir bonheur
a laissé échappé
une dose d’endorphine, un souffle chaud de gratitude.
Il a labouré un sillon, provoqué en moi une longue onde de plaisir
qui audace mon envie de vivre.
T’en rappelles-tu ?
Nous 2 à Londres – adolescentes.
Dans cette famille d’accueil,
en bas des escaliers de bois rutilant,
Ce fou rire qui nous avait pliées en 2,
qui nous avait tordu le ventre, ouvert les entrailles.
Je ne me suis jamais sentie si vivante.
Une explosion, une implosion, un trop plein libéré, une onde de choc
et cette sensation de lâcher prise viscérale
de la tête aux pieds
à l’unisson
reliées entre nous par la folie de ce rire
Ce rire ENORME,
Ce rire hoquet
Ricochet
Ce rire qui nous terrassait,
qui ne nous appartenait plus,
qui liait notre amitié
mieux que tout ce que nous avions connu
jusqu’à présent.
Nous étions, je le jure,
Irriguées du même fluide voluptueux.
Isabelle
la Toile
Dans ma tente-refuge, je suis allongé ; les yeux grand ouverts, je divague après la longue étape du jour.
Un papillon de nuit s’est invité dans la toile, ou plutôt sur la toile, puisqu’il danse en ombres chinoises dans le cône de projection de ma frontale, telle une silhouette dessinée par Lotte Reininger. Le sphynx calme ses ailes fébriles un instant. Arrêt sur image…
Va-t-il me proposer de résoudre l’énigme du film de ma vie ?
Non, il reprend le cours de ses déplacements cahotiques et s’efface en hors-champ.
Mon livre tenu à bout de bras, j’ai du mal à me concentrer sur le scénario en floutage caméra
Je tourne la tête de côté et c’est une autre historiette qui prend le relais à cour ; coup de zoom sur une minuscule fourmi funambule, arpentant un fil qui pend.
Un timide croissant de lune s’est levé à jardin, prêtant son obole blafarde à ces micro-spectacles intimistes.
Duo sous Canopée
La fatigue finit par avoir raison de moi. Je m’entends ronfler, puis…
La fermeture éclair de ma tente s’actionne comme par enchantement et ma compagne s’invite dans mon cocon privatif. Elle qui a cheminé auprès de moi la veille et les jours précédents ne s’était jusque là jamais permis de franchir le seuil de ma douce cahute et voici qu’à présent ma tendre Philomène se tient devant moi dans sa robe grise. Elle me dévisage de ses yeux de velours aux longs cils carboniques, passe sa tête dans l’entrebâillement, la secoue énergiquement de droite à gauche et m’apostrophe bruyamment, me signifiant sur un ton de reproche assumé : « La liberté c’est être soi-même, dedans et dehors. »
Je me réveille en sursaut…
Le jour du dehors filtre déjà dedans ma niche. Au pieu, mon ânesse fait un raffut du diable, ce que j’interprète en langue asinienne comme: « Debout, fainéant, il est l’heure de lever le camp.
les Eaux-Fortes
C’est de mon refuge du jour que je t’écris. J’ai fait ce soir une infidélité à ma toile chérie, profitant de l’accueil paisible de Notre Dame des Neiges qui abrita autrefois en son sein le bienheureux Charles, un trappiste à la mentalité d’aventurier, un presque trappeur en somme. Je suis installé sur une lourde table monastique. Ce périple, j’ai choisi de le faire à pied, mais j’aurais, pourquoi pas, pu adopter un mode de déplacement fluvial, barque ou canoé.
Elavérin ou ligérien, j’avais le choix du vecteur.
Je nous revois là-bas, dans les terres arides du nouveau monde, c’était il y a…
Ma mémoire est incertaine, mais mon cœur, lui, s’en souvient. Nous avions utilisé toutes sortes de moyens de déplacement pour suivre la piste des navajos, tantôt chevauchant nos petits chevaux indiens pacifiques à travers la mythique Monument Valley, tantôt pilotant une jeep fougueuse défiant la piste rocailleuse qui menait à la mesa d’Island in the Sky, la bien nommée. Te souviens-tu de ce coucher de soleil sur Delicate Arch où nous avions croisé le redoutable serpent à sonnettes et fait fuir un coyote un peu trop curieux. Et je ne te parle même pas de ce grizzly plus qu’entrevu dans le légendaire parc du Yellowstone.
Mais ce qui reste profondément gravé en moi, c’est cette descente de la gorge royale de l’Arkansas. En guise de prélude, notre guide nous avait rappelé l’accident fatal qui s’était produit deux semaines plus tôt sur ce parcours. La fugue ? Nous n’y songions pas un instant, tant le courant passait entre nous. Fondus sous notre uniforme fluorange, nous n’avions pas eu le temps de nous faire du mauvais sang que déjà nous étions engagés dans le premier rapide de la série. Epaule contre épaule, ballottés par les eaux blanches en fusion, suspendus aux ordres de notre maître-barreur : – À droite, à droite, plus vite, à gauche maintenant, hurlait-il dans le fracas des eaux déchaînées.- nous faisions corps avec l’embarcation, attentifs l’un à l’autre, cherchant à nous maintenir sur le fil de l’eau et à ne pas décoller de notre tapis flottant, jouant les équilibristes sur un câble de vie tendu entre deux méandres. Et lorsque, soulagés d’avoir esquivé le mur et la vague, nous laissions derrière nous les flots furieux pour retrouver un lit plus calme, t’en souviens-tu comme les sourires illuminaient nos faces trempées par les embruns ? Dans ces moments-là, on ne s’était jamais sentis si libres, si vivants, de la tête aux pieds, reliés entre nous par les mêmes veines, irriguées du même fluide voluptueux.
Que de souvenirs qui affluent en moi, dans cette abbaye ardéchoise nichée dans l’or des genêts, si propice à la mémoire !
Patrick
JE SUIS GARDIENNE
Je suis gardienne, quel mot étrange, cela implique que je rende un certain nombre de services. Me lever à minuit ou deux heures du matin pour réveiller les grimpeurs et leur préparer un petit déjeuner, accueillir les promeneurs qui ont pris le premier train du Montenvers et sont friands d’anecdotes. Astiquer le refuge de fond en combe, donner à manger aux marmottes et aux choucas. Lever les couleurs et y rajouter un fanion féministe pour interpeller les cordées et qu’ils ne discutent pas que de 8 ou 9B qu’ils viennent de gravir. J’adore tous ces rôles car j’aime me montrer, avoir de l’importance, croire que je suis reconnue, indispensable, que l’on m’aime. Je porte beaucoup de masques, pas ceux du confinement de 2020. Ceux de l’hypocrisie, de la comédie, des simagrées. Mes parents m’ont inculqué le culte de l’argent et suivant que vous serez riches ou misérables, mon attention sera différente : vous mangerez près du feu à la cuisine, vous coucherez dans la chambre de la gardienne et elle sur une table à la cuisine. Vous aurez des vêtements de rechange. Pourquoi l’école ne m’a jamais fait méditer sur «la liberté c’est être soi même au-dedans comme au dehors ». Car des qualités je n’en manque pas, je suis courageuse, inventive, créative, téméraire, sans peur.
LA RONDE DES CŒURS
Il a neigé et depuis 15 jours. Impossible de mettre le nez dehors. Le silence règne et seules les avalanches qui dévalent dans un bruit assourdissant viennent le perturber et me font sursauter. Parfois, un petit mulot sort de la cuisine et semble ne pas me reconnaitre car je suis engoncée sous un monticule de couvertures. J’ai de grosses moufles pour t’écrire, car le froid est glacial. Heureusement que je peux lire et écrire. Je vis tout à la fois : des moments sidérants d’angoisse, de paix, de joie et même d’éclats de rire. Mes pensée folles vagabondes et font ressurgir des souvenirs heureux qui me réchauffent le cœur. Te souviens- tu de ces petits mulots ? Toi seul, très courageux, essayait de les attraper. Nous les mettions dans des bocaux avec un coton d’éther pour une mort plus douce, puis préparions une cérémonie bouddhiste avant de les bruler pour qu’ils se réincarnent en petits princes montagnards. Ces petites bêtes ne nous dégoutaient pas, mais avant leur hibernation elles grignotaient les planches, les couvertures.
Te rappelles-tu nos bambées, nous étions des cordées joyeuses. L’aventure nous enivrait, et nous plongions dans l’ivresse. Tu étais le plus valeureux, le héro. Tu connaissais mieux que nous toutes les techniques de l’escalade, car tu voulais faire de la montagne ton royaume, ton Olympe. Nous étions libres et ce fut nos premiers flirts. Tu tirais sur la cordes, ça voulais dire « je t’aime à la folie « , tu faisais des poses imprévues, pour t’assurer que les lanières de mes crampons tenaient bien et te relevais avec des yeux plein de lumière. Tu me pardonnais mes imprudences : sauter une crevasse béante. Tu exprimais ta colère si d’autres s’y aventuraient. Tu sais, jamais nous ne nous étions sentis aussi libres, si vivants de liberté, emplis de la tête aux pieds par les mêmes fluides voluptueux. C’était la ronde des cœurs, des vrais moments de grâce, nous étions jeunes et nous étions heureux.
LE REFUGE DE L’ENVERS DES AIGUILLES
De tous mes exploits, il en est un que j’aime à me remémorer. J’ai gardé un refuge durant 42 ans dans la vallée de Chamonix. C’est la Mecque de l’escalade moderne, classé par l’UNESCO comme Capitale de l’Alpinisme. Ce n’est pas un petit abri, c’est une construction en pierre de taille et ceux qui l’ont édifiée sont des bâtisseurs de cathédrales. Le reste des matériaux a été monté à dos d’homme. Un de mes oncles a porté 3O tonnes, il s’appelle Ulysse, je le nommais l’Atlante du mont BLANC, car comme le Héro de la guerre de Troie qui sillonna les mers, lui arpentait la Mer de GLACE, une mer gelée, qu’il arpentait non pas en quête d’exploits à accomplir comme Homère, mais comme gagne pain. L’architecture du bâtiment est simple : une entrée où on laisse ses grosses chaussures pour enfiler des sabots, des toilettes, – ce qui est rare pour l’époque-, une grande salle de séjour avec des poutres où trônaient des écussons offerts par Wibault un artiste-peintre, très coté. Une minuscule cuisine avec un beau fourneau à bois, et, à l’étage 3 dortoirs avec des bas-flancs. Au sous-sol, entièrement dans la roche : une cave. Ce lieu est hautement symbolique car mon désir d’écrire, de pratiquer des ateliers d’écriture, me vient de ce paradis car je me disais que je devais en être l’historienne. Sa construction a débuté en 1942, c’est un ministre de l’éducation national qui en a donné l’ordre. Ce lieu a abrité des chantiers de jeunesse sous Pétain, puis servit aux résistants pour combattre les italiens pendant la guerre….Au fil du temps, il est devenu un point de départ pour les plus belles et plus difficiles ascensions, pour les «conquérants de l’inutile « comme les nommait Lionnel Terray. Il a été un lieu œcuménique et de protection pour les montagnards, une vierge sur le Grépon, un Christ en métal monté par le secours en montagne, et un pont entre l’orient et l’occident car les bouddhistes de Kutolsheim avaient peint un immense Boudha, sur un rocher derrière le refuge.
Elisa
Bonjour Julie,
En ce moment je me remémore souvent cette belle soirée, qui était le point d’orgue venu saluer la fin de notre stage de cet été. Rien que le fait d’invoquer à nouveau ce souvenir impérissable me donne du baume au cœur comme tu n’en as même pas idée.
C’était vraiment une nuit baignée de magie, faite de l’agrégat improbable de tous nos brins de créativité mis bout à bout, enchevêtres…
Qui aurait pu penser un seul instant, que ce patchwork si improvisé et imprévisible allait aboutir à ce si beau feu de la Saint Jean de l’âme, cette symbiose si inhabituelle vu du balcon étroit de ce qui passe pour être la vie ordinaire. Tout avait l’air si évidemment, naturel et simple, comme si nos poumons et nos cerveaux, nos cœurs entrechoqués et nos entrailles à ciel ouvert n’avaient eu que seul but pour advenir au monde…comme si nous avions été conçus uniquement avec le dessein de célébrer cet unique instant fugace.
Tout sonnait si juste, là où se dresse d’ordinaire que des rocs menaçants. Tout était ruisselant d’eaux vives, que rires et sourires, pour n’être plus que sur-rires aux éclates d’étoiles, comme les soirées d’été peuvent comme personne si savamment les révéler au grand jour.
Je garde encore l’arrière-gout délicieux de cette impression de tournis qui s’est emparée de nos corps et esprits… la ronde ne nos individualités virevoltantes ne formant plus alors qu’une seule et même emprunte, une seule et même trace…un unique faisceau filant à toute allure.
On ne se connaissait que d’hier et pourtant nous rimions si profondément les uns avec les autres dans cette ritournelle endiablée.
Ce n’était à l’évidence qu’une parenthèse, mais qui témoigne pourtant qu’une telle osmose est possible sur ce terreau terrestre trop souvent stérile.
Même si le cours des choses m’a ramené depuis lors à mon lot quotidien embourbé, je sais qu’il existe quelque part au fond de moi un écho qui subsiste inviolé de ce moment envolé. Un sillon a été labouré et une ligne qui file droit sans ciller écrite à tout jamais.
Rien que de replonger dans ce souvenir me gorge d’espoir, et souhaitant que cette ronde des cœurs soit devenue demain notre pain quotidien, et non pas uniquement un heureux accident.
Cette pensée m’arme de confiance en l’avenir, et je vais m’atteler à bien veiller à ce que cette graine de tournesol qui a été mise en terre puisse sagement éclore durablement…cela sera alors comme des retrouvailles bénies avec une veille amie latente.
Ton cher et tendre,
Yoan