Une étincelle de magie dans la vie ordinaire

ORDINAIRE ORDINAIRE… selon Tonio

« ORDINAIRE « 

ordonnance, maladie, convalescence, revenir à l’ordinaire, à l’ordre, désordre, ordonner, coordonner, ranger et déranger, dérailler, jouer, s’amuser, sautiller, s’envoler, être libre , rire, re-spi-rer !

Playdoyer pour ou contre l’ORDINAIRE :

Oui, ordonner, mettre de l’ordre, organiser ma vie…mais j’aime improviser, m’échapper. Nous étions faire quelques achats « de première nécessité » de l’autre côté de la frontière, et voilà que j’aperçois la neige sur les hauteurs de la Forêt Noire. « Et si on montait là-haut… allons-y ? » Le vent dans la forêt, éclairée par la neige. Un ciel gris, mais la neige à perte de vue sur les collines. On a fini par avoir froid, l’auberge était fermée. Retour à la maison. La tête vidée, lavée, reposée par le blanc de la neige.

Ode à l’ordinaire

Ordinaire, ordinaire, comme un ver, petit ver de terre, verre en verre, verre de cristal, terre de cristal, lucide, froide et étale. Fragilité de l’instant, ordinaire, ordinaire, la vie de tous les jours, la vie des amours. Donner des mots et du temps, prendre le temps d’écouter l’amie. Elle qui pleure la vie et la mort subie, elle toute angoisse devant la mort, le traitre blotti. Elle s’effondre de peur de cette lourde vie, alors être dans l’ordinaire avec mon amie, ma chère et fragile amie.

O = eau, océan; R = roulis, rêve, rouler; D= demain; I= île dans l’océan; N=naviguer, nager; A= aérien; I-îlot, island, Insel ; R= rapidement; E= échapper, éloigner, étranger

Il était une fois dans un monde ordinaire un enfant …  Déjà un peu plus grand, peut-être même un adulte. Et cet enfant voulait voir l’océan, il voulait voir les roulis, les vagues, et entendre leur roulement. « Demain, j’y vais ! »

Il naviguait alors jusqu’à une île, « eine Insel im Ozean ». Il avait réussi à s’échapper, léger comme une mouette. Heureux de cette nouvelle liberté, aérienne, bien qu’un peu seul sur la plage secouée par le vent. Mais voilà qu’arrive au bout de la digue, un vieux chien, un nouvel ami ?

Station service Mobiloil de Trudo de E. Hopper

Les adieux

« No, Harris, no, I’m really sorry… mais je n’en peux plus. Je m’en vais, Harris darling, un jour tu comprendras. Je dois partir, j’étouffe. Ma place n’est plus ici. Harris, please, ne m’en veux pas, laisse-moi y aller. I’m so sorrry, darling. « 

Elianor avait pris son sac et claqué la porte d’entrée. Subitement, il avait réalisé qu’elle avait préparé ce sac de voyage depuis un certain temps déjà. Qu’elle avait même pris son manteau de pluie beige et le petit chapeau gris.

Le vieux chien avait sauté sur le fauteuil près de la fenêtre et, comme Harris, il regardait Elianor s’éloigner sur la route goudronnée. L’air au-dessus de la route noire vibrait, depuis des mois le soleil de midi cognait dur.

Elle doit aller vers l’arrêt de bus, pensait Harris, le seul endroit d’où elle pourrait partir de leur petite maison. La maison que le couple habitait depuis trente-cinq ans, cette maison où elle avait mis au monde leur fils, John, il y a trente ans, et cette maudite maison où elle avait pleuré tant et tant d’heures.

Il est tard. La nuit vient de tomber, Harris sort vérifier une dernière fois la pompe à essence. Ça aussi c’est son job, la pompe apporte un petit supplément.  De temps en temps, un voyageur vient faire le plein. Dans cette région où les champs s’étendent à perte de vue, peu de voitures s’égarent. La pompe à essence met un peu de beurre dans les épinards. Avant, les champs de maïs rapportaient pas mal, mais le soleil d’été brûle de plus en plus souvent sur pieds les céréales qu’il vendait à bon prix il y a encore quelques années. Depuis la mort de son père Harris senior, il avait dû céder la moitié des champs à son frère aîné. Et là, devant le notaire, il n’y avait rien à discuter.

Avec la chaleur des nuits d’été, il faut vérifier que les becs des pompes soient bien raccrochés. Un accident est vite arrivé. C’est la dernière chose qu’Harris fait tous les soirs avant de se coucher, avant de lire quelques lignes dans sa bible et d’éteindre. Le chien revient avec lui dans la maison et se couche à la cuisine. Le vieux chien se couche toujours sous la table, comme si c’était sa niche. Un chien errant qui un jour les avait choisis comme sa famille. Un bon chien, fidèle comme la faim.

Harris monte dans la chambre, se rince la bouche, pose son dentier jaunâtre dans un verre à eau à côté du lit et prend sa petite bible en cuir noir. La nuit est étouffante, rien à faire. Il se relève et prend une douche. Même l’eau de la douche est tiédasse, la vieille canalisation chauffe.

Il ouvre sa bible, Mathieu 6, 14 : “Si vous pardonnez aux hommes leurs offenses, votre Père céleste vous pardonnera aussi ; mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père ne vous pardonnera pas non plus vos offenses“.

Harris regarde le ciel noir d’encre devant la fenêtre ouverte, pas un souffle d’air. Au loin, aboie le chien du voisin, enfin, si on peut dire voisin de quelqu’un qui habite à deux kilomètres et demi.  La chaleur stagne dans la chambre, dans la cour, dans le jardin trop sec, dans les champs arides et dans la plaine brûlée. Harris entend son cœur battre dans son crâne.

« Pardonner, yes I will . » Harris avait beaucoup pardonné, il était patient et même tellement patient et généreux qu’on le prenait des fois pour un idiot.

Il avait pardonné que sa mère lui ait toujours préféré son frère, que son père le battit pour rien, qu’Elianor aille si souvent à l’église qu’il avait dû admettre qu’elle y retrouvait le père Charles, et que ce n’était pas que pour prier, répéter les gospels pour le dimanche suivant, décorer l’autel pour Thanksgiving ou se confesser.

Harris avait encaissé et pardonné toute sa vie. Et maintenant qu’il fermait ses yeux, il entendait la porte qu’Elianor avait claquée. Comme une gifle.

Elianor avait pris une chambre dans le petit motel près de la plage. Le matin, elle entendait la rumeur des vagues, même si la chambre la moins chère ne donnait pas sur la mer, elle pouvait entendre le grondement des rouleaux. Le ciel au-dessus des garages était d’un bleu navy. Ce fier et lumineux bleu de la marine américaine. Elle n’avait presque pas dormi, tout était revenu, comme l’odeur écœurante et acre des égouts remonte les jours d’orage. La naissance de son bébé, Johnny, son beau garçon, son petit toujours impatient, son fils espiègle et joueur. Puis, il était devenu son grand John, étudiant fier et droit dans son uniforme de l’Ecole de la marine. John parti au Vietnam, laissant un grand vide dans la maison. L’attente des cartes ou rares lettres.

Un midi, la lettre est arrivée, cette enveloppe verte olive annonçant qu’il était tombé dans un combat, là-bas. Elle se souvint qu’une nuit noire était tombée sur ses yeux et qu’elle s’était réveillée allongée sur leur lit. Le vieux Doc Miller se penchait sur son bras, il lui avait pris la tension.

« C’est l’émotion, ma pauvre Elianor, c’est l’émotion. Un si jeune homme, pardonnez-moi, mes amis, je suis touché. Toutes mes condoléances, vraiment de tout cœur toute ma fidèle amitié vous accompagne, Harris et toi. « 

Doc Miller lui avait ordonné quelques jours de repos, ne pas sortir avant la cérémonie, le plus possible se reposer et boire beaucoup de thé frais. Eviter le soleil. Doc Miller avait demandé à son épouse d’aider Elianor à préparer son départ.

Elle se souvenait juste de la sonnerie aux morts, le son aigu d’une trompette et ensuite le défilé cadencé des « boys »de la Marine. Ils avaient mis un drapeau sur son cercueil. Les « boys » portaient le même uniforme que John. Quelqu’un avait fait un discours – aucun souvenir, pas un mot, il ne restait qu’un grand vide dans sa mémoire. 

Les amis de John, ses camarades, tous aussi jeunes étaient là, silencieux. Leurs visages pâles et graves comme coupables. Tout cela était là dans sa tête, comme un bloc de béton. Ce jour-là, son cœur s’était rétréci. Il était rentré dans sa coquille d’escargot, elle étouffait sous la chape de chagrin. Elainor aurait voulu se coucher avec son bébé dans sa tombe.

De de retour chez eux à l’ombre du grand chêne près de l’église, il y avait eu le défilé des habitants, leurs pauvres mots de condoléance qui n’en finissait pas. Elle avait dû prendre une chaise pour ne pas s’évanouir à nouveau.

Elle pouvait encore entendre les pas rapides de John qui descendait l’escalier. Elle pouvait encore voir ses grandes mains qui lui tendaient l’assiette. Elle pouvait encore entendre son rire quand le chien attrapait le ballon au vol. Elle l’entendait pleurer quand il était tombé de son premier petit vélo.

 » Je suis morte avec mon fils », elle l’avait souvent pensé sans jamais oser le dire à son mari. Ce pauvre Harris encore plus ridé, taiseux et maigre depuis la mort de son unique fils. A quoi bon maintenant la ferme, les champs, tout ce dur travail qu’il ne pourra transmettre à personne.  Dans ces années-là Harris avait dit à Elianor :  » Ecoute-moi bien, Elianor, je donnerai tout à l’Eglise. Toi, tu auras la maison, ma retraite et mes économies. Mais les champs, la grange, le tracteur et les machines, je donnerai tout aux pauvres. Au moins, j’aurai fait une chose utile dans ma vie.  » Voici ce qu’il avait dit, son vieux Harris, inconsolable du chagrin de leur unique fils que la guerre leur avait pris.

A l’église Harris avait bien entendu les mots de consolation du pasteur.  Mais si, il le reverra, son grand John. Le Seigneur nous accueillera dans sa vaste demeure et que là-bas nous serons tous unis dans l’Amour inconditionnel et éternel, dans la belle fraternité de la plus grande des familles, celle de notre Seigneur. Oui, il y aura petit John et aussi sa mère Eliette, son père Harris senior, son premier chat Milky, le cheval de son grand-père Doland  …

Un grand ciel bleu envahissait la chambre d’Elianor au motel. Elle avait pris un verre de café glacé, au moins ce petit cadeau, elle pouvait se l’offrir. Sortir, marcher, boire un café glacé avec une boule de vanille sur la dune et regarder les vagues.

Puis elle avait marché une heure sur la digue le long de la plage et ses pas l’avaient ramené vers l’arrêt de bus. Elle était remontée dans le bus. Sa maison était là-bas.

De loin Elianor voit la voiture du Doc Miller devant leur maison. Cette voiture noire vibre au soleil de midi. Comme un grand cercueil noir, pense-t-elle le temps d’un éclair. Alors elle court, elle trébuche, elle tombe sur le macadam, elle saigne du genou, elle avance en boitant vers leur maison.

Le chien lui fait la fête, il lui fait mal en griffant son genou blessé. Elle entre dans le couloir sombre et voit le Doc sortant de la cuisine, le visage grave, refermant sa sacoche.  » Ma pauvre Elianor, Harris n’est plus avec nous. Viens ma chère Elianor, donne-moi le bras, viens t’asseoir au salon, nous allons ensemble dire une prière pour ton mari Harris. »

 » Notre père …. ».  Elianor écoute la voix du vieux Doc Miller dire calmement cette prière. Elle ne retrouve pas une phrase de cette prière mille fois récitée depuis son enfance. Elle n’en reconnait pas un seul mot. C’est comme si elle ne l’avait jamais entendu.

 » Notre père …  » Elianor revoit son père, le jour elle entrait à son bras dans l’église pour épouser Harris. Je n’ai eu qu’un père pense-t-elle, et c’est mon père, celui qui m’a appris à rouler à vélo. Celui qui m’a appris tous les noms des plantes de la ferme.

A présent elle se sent vide. Elle se voit de l’extérieur, une forme immobile, comme une montre qu’on aurait oublié de remonter.

Elle prend une grande inspiration. Le Doc dit toujours sa prière. Alors elle sent doucement, tout doucement quelque chose qui s’enlève de ses épaules. Elianor sent qu’elle marchera sur une longue route, seule, avec le vieux chien à côté d’elle. Sans but, juste marcher.

Tonio

ORDINAIRE, ORDINAIRE, selon Sabé

Ordinaire – grille de mots

O – Océan

R – Rails

D – dérouté   (verwirrt!)

I – intimité

N – nul

A – aspirer

I – indicateur

R – rouler

E – exemple

Il était une fois dans un monde ordinaire…

dans l’intimité d’un petit port à l’autre bout de l’océan surgit de nulle part : cette vieille barcasse bleue, signe indicateur secret de la prochaine livraison.

À coté du village portuaire, des wagons qui ne roulent plus sur les rails garantissent la meilleure planque et en vu de ce gardien dérouté, la contrebande devient parfaite.

Exemple de survie.

Pour ou contre l’ordinaire

Vivre. Chaque jour. De jour en jour, pendant cette année bouleversante. La vie de tous et de chacun.

L’extraordinaire devient le quotidien, l’ordinaire. Suis-je pour ou contre ?

Hors  de question, l’extraordinaire est ordonné.

Je préférerais choisir.

Et à la fois, je ne suis pas capable de choisir, de préférer l’un plus que l’autre.

Un jour pareil à l’autre, ce long enchaînement : se lever, manger, travailler, se coucher sans interruption, me tue. Il n’y a plus de créativité, plus d’enthousiasme, plus de nouveaux souvenirs, mon cerveau s’endort, ma vie s’endort, je m’endors, morte quoique vivante.

Hélas ! Mais cet extraordinaire nous sert une variante chaque jour.

Effarouchée par tous ces changements de vie, du travail, des règles, des loisirs, des relations et même des amitiés, quand aucun planning ne survit plus la prochaine semaine, le prochain jour, parfois même pas la prochaine heure – je suis épuisée. Tout cet extraordinaire me fatigue.

Je cherche mes repères dans l’ordinaire, le rythme de mes jours. Inspirer. Souffler. Activité et repos. Réflexion et lâcher prise … afin d’affronter l’extraordinaire.

L’un n’est pas vivable sans l’autre.

Ordinaire ordinaire

suivant les traces de nos mères

nourrir, sourire, servir

à la vie, la soutenir

Ordinaire ordinaire

la vie à venir,

contre tout désespoir

voir – il y a un futur

Ordinaire ordinaire

porté par nos pères

leurs efforts, leurs pleurs

bien cachés – aimés

Ordinaire ordinaire

de jour en jour

encore – un – pas –  pour

nourrir, sourire,

un jour mourir

dé-couvrir

d’ordinaire

vers le ciel cette échelle

d’étincelles 

Station service Mobiloil de Trudo de E. Hopper

Essence

« La vie ordinaire est une vie de détails, une vie vue de près, de beaucoup trop près, ça colle, on s’englue, et on fini par ne plus bouger … » *

… ne plus bouger. Ne plus bouger que ces quelques pas entre les trois pompes à essence, ma petite cabane et le dépôt à sa gauche. Quelques pas autour. Je ne me promène même pas dans la forêt, cette forêt trop dense, trop sombre, trop terrifiante qui abrite ces créatures maudites.

Je n’avais jamais voulu rester ici. Arrivé à cette station il y a 2 ans, je comptais y travailler quelques semaines, le temps que ma famille me rejoigne pour ensuite vivre dans notre nouvelle maison déjà louée dans la ville à 10 miles d’ici. Une nouvelle vie devait commencer pour nous, mon épouse devait intégrer l’école qui enfin l’avait accepté comme maitresse, mon fils était déjà inscrit à son nouveau club de rugby… Et jusqu’à ce que je trouve un bureau qui m’embaucherait, j’acceptais de travailler comme pompiste auxiliaire, puis on verrait.

On n’a rien vu. Le jour de l’arrivée de ma famille, j’étais de l’équipe du matin. Ils voulaient passer chez moi avant de gagner la ville. Quand j’avais presque terminé mes heures, ils m’ont averti qu’ils arriveraient même plus tôt que prévu.

Presque.

Car lorsque je les ai vu s’approcher. De loin. Un de ces chiens sauvages, mi-chien, mi-loup, émerger au bord de la forêt et sauter sur la route. En un clin d’œil, impossible d’arrêter la voiture. Tout allait trop vite. Un bruit sourd du choc du chien contre la carrosserie, un deuxième bruit effrayant lorsque la voiture se collait contre l’arbre. Je restais figé sur place.

Je n’ai jamais déménagé dans la nouvelle maison. Ils m’ont autorisé à m’installer dans la petite cabane blanche. Il n’y a plus d’équipes, c’est moi qui suis en charge de la station, jour et nuit, pour les rares clients qui y passent.

Je me tiens debout. Je fonctionne. Enlever le robinet, remplissage du réservoir, reposer le robinet, encaisser les Dollars, regarder s’éloigner les voitures vers cette ville.  Les matins et les soirs, je nettoie toute la station, je balais la rue, je ramasse des bouts de papier jetés par des clients négligemment; je polis les pompes, je range dans la petite boutique les bidons de coca dans les étagères, je vérifie l’illumination de la station, chaque ampoule, je monte sur l’escabeau coulissant et j’essuie la poussière de l’enseigne lumineuse.

Me voici, immobilisé dans les gestes de mon quotidien. Je ne regarde pas vers l’autre bord de la route dont les derniers rayons du soleil qui se couche montrent le même vide comme d’ordinaire. Dans quelques instants, je trouverai refuge dans ma cabane, juste un dernier tour pour que tout soit propre. Mais c’est quoi ça ?!? Quelqu’un a coincé un papier entre les jerricanes d’huile – un papier…? Une lettre – qui m’est adressée… à moi…

Sabé

*Incipit, extrait de Adèle van Reeth : « La vie ordinaire »

ORDINAIRE, ORDINAIRE, Selon Yoan

Ode à l’ordinaire

Ordinaire, Ordinaire ! tu piques les orgueilleux jamais alignés sur le Présent ;

Ordinaire, ordinaire ! ton ronflement répétitif fait disjoncter les agités du bocal ;

Ordinaire, Ordinaire ! dans ton regard tu figes les faux-semblants à ton rythme semblable ;

Ordinaire, Ordinaire ! comme tu es reposant par ton pas nonchalant ;

Ordinaire, Ordinaire ! il me faut tellement d’autres ressources pour te saisir que mes effets de toge ;

Ordinaire, Ordinaire ! sans les stimulus de la cité tu me laisse nu et vrai ;

Mettre mon souffle au creux de ton thorax olympien me régénère et cela me propulse dans l’extraordinaire ;

Ordinaire, Ordinaire ! non seulement tu ne refrènes aucune de mes pulsions, mais tu es au contraire mon accélérateur de particules de Vie.

Soleil du matin de E. Hopper

Vous vous mettez dans la peau du peintre qui est en train de créer son œuvre, de saisir cet instantané et d’imaginer la vie ordinaire que vit son personnage, l’étincelle de magie qui pourrait surgir à tout instant

« Le couché de soleil inversé »

« La vie ordinaire est une vie de détails, une vie vue de près, de beaucoup trop près, ça colle, on s’englue, et on finit par ne plus bouger. »*

La femme représentée sur te tableau semble à première vue comme hypnotisée et paralysée par le spectacle qui s’offre à elle au travers de cette fenêtre, lucarne sourde, à défaut d’être aveugle, sur le monde extérieur qui n’attend pas après elle.

Elle se sent démunie face à cette autre réalité qui la défie dans sa torpeur, et cela  l’englouti à cet instant présent. Dans le confort douillet de sa chambre, elle imagine sans mal le sentiment de peur qui agite cette humanité complexe. Un sentiment d’impuissance la percute et la désarme, car elle se sent toute petite et inutile  devant  la fourmilière qui s’agite au-dehors, et à laquelle elle ne prend pas sa part ici-même.

Elle se questionne sur sa contribution à ce monde, qu’elle perçoit de sa chambre comme un théâtre de marionnette.

Elle contemple ce miroir et cherche à saisir quelques échos de la ville. Elle se demande en son for intérieur en quoi elle contribue à ce spectacle si lointain.

Elle se dit finalement que l’existence n’est qu’une représentation à l’infinie de la commedia dell’arte amalgamée à de la réalité à vif… du fictionnel parfois sordide, mélangé à des sentiments vrais et authentiques. Elle ne sait plus très bien faire la part des choses, mais accepte d’être vulnérable et inutile.

Que peut-elle bien pouvoir apporter concrètement, claquemurée dans sa tour d’ivoire et impassible ? Ne faut-il pas juste humblement se laisser  submerger par ce tableau vivant.

Elle sent bien que le fait de ne pas avoir d’emprise directe immédiatement sur le cours des choses et le lot de sa condition trop humaine.

Sa passivité, son arrêt sur image, est tout le contraire des apparences trompeuses, car elle se questionne avec sincérité sur le bienfondé de ses interactions avec ce monde. Elle se confronte à sa propre ombre qui lui tient compagnie, en usant de l’introspection, vraie richesse méconnue.    

La femme sent que son immobilité est  précieuse par certains égards, et n’a rien d’immorale ou coupable. Ce  moment de fixation lui permet de contempler le monde, tel qu’il est en Vérité, sans les artifices ordinaires de l’agitation.  Elle se dit que c’est comme regarder un coucher de soleil à l’envers, avec dans ce cas-là le regard des Dieux et non l’inverse. Peu importe si ces derniers nous trouvent désolant, gauche et futile, car leur mansuétude à notre égard sera toujours plus puissante que leur consternation.

Aussi infime que soit son emprise sur le temps présent, le recul de cette femme offre au monde du sens et elle le sait au fond d’elle comme une vérité absolue. Ce n’est peut-être que le propre sens qu’elle y met ou y trouve, pour autant elle participe à sa manière à poser un regard attendri sur ses semblables, et le si peu rejoint alors le « tant et plus ».   

Yoan

*Incipit, extrait de Adèle van Reeth : « La vie ordinaire »

Photo extrait du film de Wim Wenders, Les ailes du désir

ORDINAIRE, ORDINAIRE, Selon Clarisse

Éloge de l’extraordinaire

Seuls les Flamands chantés par Brel ou les mangeurs de pommes de terre peints par Van Gogh peuvent avec une platitude exaspérante se contenter de l’ordinaire. La beauté de l’homme est de toujours aspirer à l’extraordinaire. Jusqu’à la folie parfois… Tel Don Quichotte sillonnant La Mancha, il est de notre devoir de tenter de nous extirper de la gangue de l’ordinaire. Si nous nous étions contentés de l’ordinaire, il y a fort à parier que nous aurions disparu depuis des siècles. L’humanité, c’est la quête parfois démente d’un possible non encore advenu, non ?

Et si vraiment on veut trouver un refuge et se faire un nid, pourquoi ne pas recourir au provisoire ? Prendre une roulotte plutôt qu’un appartement et un amant plutôt qu’un mari ?

Ordinaire, ordinaire

C’est lourd et gluant et bas comme la terre

C’est gris, ennuyeux et bien trop pépère

pour me plaire

Juste bon pour se taire

Ordinaire, ordinaire

J’en voudrais un solaire

Un chaque jour différent

comme le printemps

Même si ça rend dément

Ordinaire, ordinaire

Pourtant de toi je suis tributaire

Sauf à finir tristement solitaire

car tu règles nos vies

Bien qu’j’en ai pas envie.

Soleil du matin

Je suis là, figée sur ce lit, dans cette chambre d’hôtel impersonnelle, seule face à la ville immense et hostile. La chaleur étouffante de cette fin d’après-midi m’englue. Oui, “la vie ordinaire est une vie de détails, une vie vue de près, de beaucoup trop près, ça colle, on s’englue, et on finit par ne plus bouger.”*

Voilà dix ans que je le retrouve là, dans cette même chambre, tous les samedis entre 10h et 12h.

Voilà dix ans qu’il me dit que c’est provisoire, qu’il va bientôt divorcer, qu’on s’installera ensemble.

Voilà dix ans que je fais semblant de le croire, parce que c’est si confortable d’avoir des certitudes, tellement réconfortant d’avoir une relation, fût-elle bancale, plutôt que de se retrouver seule avec soi-même…

Mais ce qui était extraordinaire – notre rencontre “coup de foudre”, le piment de l’amour adultère, l’excitation exacerbée de l’attente – a désormais pris la couleur terne de l’habitude, d’une vulgaire liaison, d’un ridicule triangle bourgeois.

Et aujourd’hui, en ce jour anniversaire, j’ai décidé de dire “ça suffit ! ”, de me lever de ce lit et, par la magie de ma seule volonté, de reprendre mon autonomie. 

Clarisse

*Incipit, extrait de Adèle van Reeth : « La vie ordinaire »

ORDINAIRE, ORDINAIRE, Selon Beevy

Il était une fois dans un monde ordinaire une anomalie d’intérêt général. Comme à son habitude, le gouvernement, avait fait preuve de raideur à l’annonce de cet évènement extraordinaire. Mais là, pas de tergiversation possible et malgré la rigidité des dirigeants, il fallait se rendre à l’évidence : c’était bien un Inuit qu’on avait retrouvé dansant nu sur le parvis de la cathédrale. « C’est bien original ! » s’était exclamée la ministre de l’écologie des opinions durables.

Il faut du courage pour vivre l’ordinaire. Le détailler, le regarder de près, nécessite tout à la fois expertise et distance. Mais comment prendre de la distance quand on a le nez collé à la vitre ? Commet observer son propre rythme sans perdre son souffle ? Comment, jour après jour, aimer la musique du quotidien sans la trouver lancinante ni répétitive ?

Je me lève. C’est le jour. Rien de remarquable. Et pourtant. L’engagement qui est le mien, dans cette vie, avec cette routine, ces contraintes, appellent une certaine forme de dépouillement. L’ordinaire m’émeut, me heurte et me fragilise à la fois. Je l’aime comme je le fuis. Il est mon agenda intérieur. Il me dérange dans mes aspirations les plus folles. Il est d’intérêt général. Je ne peux faire sans lui. Je dois faire avec lui. Je l’aime comme je le fuis.

Ordinaire Ordinaire

Il ne manque pas d’air cet ordinaire

Toujours là à me rappeler ce que je dois faire

Comment je dois me comporter et de quelle manière

Ordinaire Ordinaire

C’est une mère et un père

Le fondement les repères

Ni tyrannique ni autoritaire

Juste là comme un Roi

Ordinaire Ordinaire

Je me débats je me laisse faire

C’est que je dois aimer ça l’ordinaire

Cette musique répétitive ce quotidien

Les contraintes ces petits riens

Ordinaire Ordinaire

Si on y pense c’est extraordinaire

Tout le courage qu’il faut et dont on a besoin

Pour affronter chaque jour le quotidien

Ordinaire Ordinaire

Il ne manque pas d’air cet ordinaire

A s’inscrire dans ma vie mine de rien

A la rendre rien de moins

Qu’extraordinaire

Beevy

ORDINAIRE, ORDINAIRE, Selon Hugues

Humble

Simple,

Clair

Evident

Religion

Militaire

Exceptionnel

Extraordinaire

Contrordre

Ecrire un texte comprenant ces mots que vous avez choisi sur le thème Ordinaire.

Il était une fois dans un monde ordinaire, des ordres répétitifs dû à des autocrates et des soi-disant scientifiques fit de ce monde un vrai désordre ou tout devenait instable. Même les gens neutres, qui faisaient autorité, perdaient leur idéal de vie en réaction avec cet évident capharnaüm qu’était devenu ce monde.

Acrostiche ORDINAIRE

Ordre

Répétitif

Désordre

Instable

Neutre

Autorité

Idéal

Réaction

Evident

ORDINAIRE

Jeune j’étais ébloui pas les vies extraordinaires des grands artistes, des grands hommes et des femmes d’exception… Le rêve d’une vie de baroudeur et de grand sage m’attirait comme si le cauchemar d’une vie ordinaire me terrorisait.

Mais les ans ont passé. Avec l’âge, j’ai appris la patience. Et avec la patience est venue l’humilité… L’humilité d’une vie simple, ordonnée et bien rangée. J’ai choisi mon camp ! Finis les rêves tonitruants d’impossibles histoires pétaradantes tout autour du monde, voire de l’espace. J’ai compris que derrière ce rêve d’adolescent boutonneux et peureux, se cachait en fait la vraie mort, celle de l’âme perdu dans la fébrilité de la fuite du temps vers le futur ou pire le passé.

C’est dans l’introspection, la méditation et l’oraison que j’ai finalement trouvé mon bonheur… Le bonheur simple de ne plus fuir le temps présent, mais de faire corps avec… avec ce présent ou une mort minuscule se loge dans chaque instant de temps. Apprendre à apprivoiser la mort qui se cache dans l’éphémère ! Voilà le grand rêve que je fais en ces jours de confinement ou le virus tueur rode partout. Elle est prête, l’extraordinaire maladie à s’abattre sur ma tête de mécréant quand je m’éloigne trop du petit sentier humble que me trace cette force d’Amour universelle… Celle qui prédestine à la marche du monde ordinaire.

Apologie ou critique de l’ordinaire.

L’humilité de l’Ordinaire

Fut un temps lointain et passé,

Ou l’extraordinaire rêve

M’éveillait moi le passionné

Pour toute ma vie sans trêve.

Puis lentement les ans sont passés

Et avec ces années la patience

S’est installé dans ma vie illuminée.

L’humilité est venue, fruit du sens.

Extraordinaire ou Ordinaire

Dilemme sans réponse claire.

Finie la course peureuse de l’éternité

Finie, la quête sans fin extraordinaire

Finie la rechercher d’ivresse éthérée

Finie la fuite des temps éphémère

Extraordinaire ou Ordinaire

Dilemme sans réponse claire.

Enfin est venue le temps de vie vraie

Enfin est apparue l’oraison stellaire

Enfin est revenu la mort tant aimée

Enfin est l’éternité de l’atmosphère…

Hugues

ORDINAIRE, ORDINAIRE, Selon Patrick

Nuage de mots en rapport avec ordinaire :

basique, banal, train-train, quotidien, prisonnier, authentique, routine, normal, simple, contraintes.

Acrostiche sur Ordinaire puis placer tous les mots dans un texte en écriture automatique commençant par « Il était une fois dans un monde ordinaire ».

Orange

Raconter

Destin

Imaginaire

Naturel

Artificiel

Idée

Ressentir

Elargir

Trajectoires

Il était une fois, dans un monde ordinaire, un homme et une femme dont le destin allait se croiser. Quoi de plus naturel, me direz-vous, mais dans un monde imaginaire ça ne l’est pas. En effet, il est permis d’y raconter n’importe quoi, y compris les choses les plus artificielles. L’idée même d’une rencontre entre deux êtres n’est pas si évidente si on y réfléchit, car en période de confinement, il est difficile d’élargir son cercle de connaissances. Il faut vraiment ressentir une attraction universelle comme l’orange de Newton la ressentit mécaniquement pour la terre où poussent les orangers.

Pour ou contre l’ordinaire

Echappatoire

Contre la dictature du lien quotidien

Qui l’air de rien nous traite de vauriens

Contre la normalité de la routine assassine

À laquelle la société nous destine, nous confine,

Fuir la banalité de l’étreinte qui éreinte

Pour épouser l’empreinte des ardeurs éteintes

La vie n’est pas cette musique basique

Le chemin authentique ignore le viatique.

« Je ne suis pas le numéro zéro » s’écrie le prisonnier.

En traçant le Z de Zorro de la pointe de son pied.

Du train-train des rudes habitudes imposées

Les contraintes sans crainte il faut faire exploser

Exprimer tout ceci depuis mon asile fut facile

Le réaliser ? Plus indocile sera l’exil.

Transformer le texte précédent pour le rendre (plus?) poétique en utilisant une construction anaphorique : Ordinaire, ordinaire…

Réconciliation ?

Ordinaire, ordinaire,

Tu régentes notre quotidien.

Ordinaire, ordinaire,

Ne sommes-nous donc que des vauriens ?

Ordinaire, ordinaire,

Parfois ta normalité nous endoctrine.

Ordinaire, ordinaire,

Es-tu bien ce à quoi la société nous confine ?

Ordinaire, ordinaire,

Chacun vit la banalité de tes contraintes.

Ordinaire, ordinaire,

Sous tes braises percent des ardeurs éteintes.

Ordinaire, ordinaire,

On voudrait te réduire au basique,

Ordinaire, ordinaire,

Je cherche la voix de l’acide authentique,

Ordinaire, ordinaire,

Prisonnier de mon matricule,

Ordinaire, ordinaire,

Je me rêve en héros à particule.

Ordinaire, ordinaire,

Libre de délaisser ta geôle enfin

Ordinaire, ordinaire,

Il suffit de troquer le masque contre un chemin

Ordinaire, ordinaire,

De fer à la manière d’un pré vert,

Ordinaire, ordinaire,

D’élargir son regard à la terre entière.

Ordinaire, ordinaire,

Avec toi je veux bien composer

Ordinaire, ordinaire,

Pourvu que tes frontières je puisse exploser.

Ordinaire, ordinaire,

Pardon d’avoir été si critique,

Ordinaire, ordinaire,

Un jour il faudra que l’on s’explique.

Patrick

ORDINAIRE, ORDINAIRE, selon Régine

Ordinaire, ordinaire

Tu me réconfortes

Car tu sais que je suis forte

Incapable de me mettre en pause

Il faut tout le temps que j’ose


Ordinaire, ordinaire

Tu siffles à mes oreilles ce temps de pause

Puis là où tu veux, je me dépose

J’irai, soit, le temps d’une courte escapade

Puis reviendrai l’esprit agité, avec en main toujours cet iPad


Ordinaire, ordinaire

Comment fais-tu pour me priver de mes émotions ?

Alors que je passe ma vie à m’engager dans cette construction ?


Ordinaire, ordinaire

Je me glisse en toi comme dans un bain

Comme tu sais ce qui me fait du bien

Et puis soudain tu m’agaces sans fin !


Ordinaire, ordinaire

Je suis lassée tes répétitions

Fatiguée de ta séduction

Coupable de te pas arriver à t’aimer

Responsable de te fuir

Pourtant je t’ai cherché

Et j’ai échoué.

Régine

Entre refuge et liberté

ATELIER NOMADE – Entre refuge et Liberté

Nuages de mots 

REFUGE : intimité, bougie, intériorité, ressource, retrouver, mon antre, récupérer, nid, grotte, cabane, abri, se blottir, repli, couette, pénombre, recours, secours, port d’attache.

Ce qui nécessite un refuge ?

La peur, le froid, l’absence, la guerre, la tempête, la haine, la souffrance, la tourmente, la maladie, la perte, la maltraitance, l’indifférence

Choisir un refuge les yeux fermés et le décrire.

Sur mon refuge

En face, le ciel et les nuages filant l’horizon.

Sous moi, les tuiles grises et leurs attaches métalliques.

A ma droite, la cheminée, seule forme de premier plan s’imposant à mon regard.

En moi, une solitude aimée, un centrage recherché, un horizon complice.

L’air tout autour.

L’altitude nécessaire, sans doute.

La respiration libérée, sûrement.

Je ne savais pas ce qui me poussait à ouvrir la fenêtre

et rejoindre mon toit…

Il faut du temps parfois pour comprendre la relation aux lieux, aux choses, aux êtres

qui jalonnent le fil rouge de la vie.

Introduire un personnage fictif, décalé – décrire le sentiment de liberté.

« La liberté c’est être soi-même dedans et dehors ».

Etre à l’air libre,

En position ressource.

Dans la maison, la réalité

fragile, aléatoire, déroutante,

est laissée à distance.

Sur mon refuge,

Je m’en libère, je la laisse de côté.

Je suis juste le ciel.

Le moi est au repos,

Les doutes endormis.

Reste le cœur qui bat,

Dans ce tout mystérieux.

Mais qui va là ?

Brisant ma retraite intérieure,

Pénétrant cet espace choisi,

Que je croyais n’être qu’à moi.

De sa démarche velour,

Il me nargue.

Son regard m’éclabousse…

C’est sûr, il est le roi des lieux.

Mais… suis-je ridicule !

Ce lieu n’appartient à personne.

La liberté c’est être soi-même dedans et dehors !

Adresser une lettre à quelqu’un en souvenir d’un sentiment de liberté

« On ne s’était jamais sentis si libres, si vivants, de la tête aux pieds, à l’unisson, reliés entre nous par les mêmes veines, irrigués du même fluide voluptueux ».

Ma chère Alyette,

Je suis sur le toit de la maison.

En pensées,                         puisqu’elle n’est plus.

Tu sais la magie de la mémoire et la surprise des souvenirs enfouis qui émergent parfois.

Il y en a un qui a explosé ce matin à la surface.

Et ce souvenir bonheur

a laissé échappé

une dose d’endorphine, un souffle chaud de gratitude.

Il a labouré un sillon, provoqué en moi une longue onde de plaisir

qui audace mon envie de vivre.

T’en rappelles-tu ?

Nous 2 à Londres – adolescentes.

Dans cette famille d’accueil,

en bas des escaliers de bois rutilant,

Ce fou rire qui nous avait pliées en 2,

qui nous avait tordu le ventre, ouvert les entrailles.

Je ne me suis jamais sentie si vivante.

Une explosion, une implosion, un trop plein libéré, une onde de choc

et cette sensation de lâcher prise viscérale

de la tête aux pieds

à l’unisson

reliées entre nous par la folie de ce rire

Ce rire ENORME,

Ce rire hoquet

Ricochet

Ce rire qui nous terrassait,

qui ne nous appartenait plus,

qui liait notre amitié

mieux que tout ce que nous avions connu

jusqu’à présent.

Nous étions, je le jure,

Irriguées du même fluide voluptueux.

Isabelle

la Toile

Dans ma tente-refuge, je suis allongé ; les yeux grand ouverts, je divague après la longue étape du jour.

Un papillon de nuit s’est invité dans la toile, ou plutôt sur la toile, puisqu’il danse en ombres chinoises dans le cône de projection de ma frontale, telle une silhouette dessinée par Lotte Reininger. Le sphynx calme ses ailes fébriles un instant. Arrêt sur image…

Va-t-il me proposer de résoudre l’énigme du film de ma vie ?

Non, il reprend le cours de ses déplacements cahotiques et s’efface en hors-champ.

Mon livre tenu à bout de bras, j’ai du mal à me concentrer sur le scénario en floutage caméra

Je tourne la tête de côté et c’est une autre historiette qui prend le relais à cour ; coup de zoom sur une minuscule fourmi funambule, arpentant un fil qui pend.

Un timide croissant de lune s’est levé à jardin, prêtant son obole blafarde à ces micro-spectacles intimistes.

Duo sous Canopée

La fatigue finit par avoir raison de moi. Je m’entends ronfler, puis…

La fermeture éclair de ma tente s’actionne comme par enchantement et ma compagne s’invite dans mon cocon privatif. Elle qui a cheminé auprès de moi la veille et les jours précédents ne s’était jusque là jamais permis de franchir le seuil de ma douce cahute et voici qu’à présent ma tendre Philomène se tient devant moi dans sa robe grise. Elle me dévisage de ses yeux de velours aux longs cils carboniques, passe sa tête dans l’entrebâillement, la secoue énergiquement de droite à gauche et m’apostrophe bruyamment, me signifiant sur un ton de reproche assumé : « La liberté c’est être soi-même, dedans et dehors. »

Je me réveille en sursaut…

Le jour du dehors filtre déjà dedans ma niche. Au pieu, mon ânesse fait un raffut du diable, ce que j’interprète en langue asinienne comme: « Debout, fainéant, il est l’heure de lever le camp. 

les Eaux-Fortes

C’est de mon refuge du jour que je t’écris. J’ai fait ce soir une infidélité à ma toile chérie, profitant de l’accueil paisible de Notre Dame des Neiges qui abrita autrefois en son sein le bienheureux Charles, un trappiste à la mentalité d’aventurier, un presque trappeur en somme. Je suis installé sur une lourde table monastique. Ce périple, j’ai choisi de le faire à pied, mais j’aurais, pourquoi pas, pu adopter un mode de déplacement fluvial, barque ou canoé.

Elavérin ou ligérien, j’avais le choix du vecteur.

Je nous revois là-bas, dans les terres arides du nouveau monde, c’était il y a…

Ma mémoire est incertaine, mais mon cœur, lui, s’en souvient. Nous avions utilisé toutes sortes de moyens de déplacement pour suivre la piste des navajos, tantôt chevauchant nos petits chevaux indiens pacifiques à travers la mythique Monument Valley, tantôt pilotant une jeep fougueuse défiant la piste rocailleuse qui menait à la mesa d’Island in the Sky, la bien nommée. Te souviens-tu  de ce coucher de soleil sur Delicate Arch où nous avions croisé le redoutable serpent à sonnettes et fait fuir un coyote un peu trop curieux. Et je ne te parle même pas de ce grizzly plus qu’entrevu dans le légendaire parc du Yellowstone.

Mais ce qui reste profondément gravé en moi, c’est cette descente de la gorge royale de l’Arkansas. En guise de prélude, notre guide nous avait rappelé l’accident fatal qui s’était produit deux semaines plus tôt sur ce parcours. La fugue ? Nous n’y songions pas un instant, tant le courant passait entre nous. Fondus sous notre uniforme fluorange, nous n’avions pas eu le temps de nous faire du mauvais sang que déjà nous étions engagés dans le premier rapide de la série. Epaule contre épaule, ballottés par les eaux blanches en fusion, suspendus aux ordres de notre maître-barreur : – À droite, à droite, plus vite, à gauche maintenant, hurlait-il dans le fracas des eaux déchaînées.- nous faisions corps avec l’embarcation, attentifs l’un à l’autre, cherchant à nous maintenir sur le fil de l’eau et à ne pas décoller de notre tapis flottant, jouant les équilibristes sur un câble de vie tendu entre deux méandres. Et lorsque, soulagés d’avoir esquivé le mur et la vague, nous laissions derrière nous les flots furieux pour retrouver un lit plus calme, t’en souviens-tu comme les sourires illuminaient nos faces trempées par les embruns ? Dans ces moments-là, on ne s’était jamais sentis si libres, si vivants, de la tête aux pieds, reliés entre nous par les mêmes veines, irriguées du même fluide voluptueux.

Que de souvenirs qui affluent en moi, dans cette abbaye ardéchoise nichée dans l’or des genêts, si propice à la mémoire !

Patrick

JE SUIS GARDIENNE

Je suis gardienne, quel mot étrange, cela implique que je rende un certain nombre de services. Me lever à minuit ou deux heures du matin pour réveiller les grimpeurs et leur préparer un petit déjeuner, accueillir les promeneurs qui ont pris le premier train  du Montenvers  et sont friands d’anecdotes. Astiquer le refuge de fond en combe, donner à manger aux marmottes et aux choucas. Lever les couleurs et y rajouter un fanion féministe pour interpeller les cordées et qu’ils ne discutent pas que de 8 ou 9B qu’ils viennent de gravir. J’adore tous ces rôles car j’aime me montrer, avoir de l’importance, croire que je suis reconnue, indispensable, que l’on m’aime. Je porte beaucoup de masques, pas ceux du confinement de 2020. Ceux de l’hypocrisie, de la comédie,  des simagrées. Mes parents m’ont inculqué le culte de l’argent et suivant que vous serez riches ou misérables, mon attention sera différente : vous mangerez près du feu à la cuisine, vous coucherez dans la chambre de la gardienne et elle sur une table à la cuisine. Vous aurez des vêtements de rechange. Pourquoi l’école ne m’a jamais fait méditer sur «la liberté c’est être soi même au-dedans comme au dehors ». Car des qualités je n’en manque pas, je suis courageuse, inventive, créative, téméraire, sans peur. 

LA RONDE DES CŒURS

 Il a neigé et depuis 15 jours. Impossible de mettre le nez dehors. Le silence règne et seules les avalanches qui dévalent dans un bruit assourdissant viennent le perturber et me font sursauter. Parfois, un petit mulot sort de la cuisine et semble ne pas me reconnaitre car je suis engoncée sous un monticule de couvertures. J’ai de grosses moufles pour t’écrire, car le froid est glacial. Heureusement que je peux lire et écrire. Je vis tout à la fois : des moments sidérants d’angoisse, de paix, de joie et même d’éclats de rire. Mes pensée folles vagabondes et font ressurgir des souvenirs heureux qui me réchauffent le cœur. Te souviens- tu de ces petits mulots ? Toi seul, très courageux, essayait de les attraper. Nous les mettions dans des bocaux avec un coton d’éther pour une mort plus douce, puis préparions une cérémonie bouddhiste avant de les bruler pour qu’ils se réincarnent en petits princes montagnards. Ces petites bêtes ne nous dégoutaient pas, mais avant leur hibernation elles grignotaient les planches, les couvertures.

Te rappelles-tu nos bambées, nous étions des cordées joyeuses. L’aventure nous enivrait, et nous plongions dans l’ivresse. Tu étais le plus valeureux, le héro. Tu connaissais mieux  que nous toutes les techniques de l’escalade, car tu voulais faire de la montagne ton royaume, ton Olympe. Nous étions libres et ce fut nos premiers flirts.  Tu tirais sur la cordes, ça voulais dire « je t’aime à la folie « , tu faisais des poses imprévues, pour t’assurer que  les lanières de mes crampons tenaient bien et te relevais avec des yeux plein de lumière. Tu me pardonnais mes imprudences : sauter une crevasse béante. Tu exprimais ta colère si d’autres s’y aventuraient. Tu sais, jamais nous ne nous étions sentis aussi libres, si vivants de liberté, emplis de la tête aux pieds par les mêmes fluides voluptueux. C’était la ronde des cœurs, des vrais moments de grâce, nous étions jeunes et nous étions heureux.

LE REFUGE DE L’ENVERS DES AIGUILLES

 De tous mes exploits, il en est un que j’aime à me remémorer. J’ai gardé un refuge durant 42 ans dans la vallée de Chamonix. C’est la Mecque de l’escalade moderne, classé par l’UNESCO comme Capitale de l’Alpinisme. Ce n’est pas  un petit abri, c’est une construction en pierre de taille et ceux qui l’ont édifiée sont des bâtisseurs de cathédrales. Le reste des matériaux a été monté à dos d’homme. Un de mes oncles a porté 3O tonnes, il s’appelle  Ulysse,  je le nommais l’Atlante du mont BLANC, car comme le Héro de la guerre de Troie qui sillonna les mers, lui arpentait la Mer de GLACE, une mer gelée, qu’il arpentait non pas en quête d’exploits à accomplir comme Homère, mais comme gagne pain. L’architecture du bâtiment est simple : une entrée où on laisse ses grosses chaussures pour enfiler des sabots, des toilettes, – ce qui est rare pour l’époque-, une grande salle de séjour avec des poutres où trônaient des écussons offerts par Wibault un artiste-peintre, très coté. Une minuscule cuisine avec un beau fourneau à bois, et, à l’étage 3 dortoirs avec des bas-flancs. Au sous-sol, entièrement dans la roche : une cave. Ce lieu est hautement symbolique car mon désir d’écrire,  de pratiquer des ateliers d’écriture, me vient de ce paradis car je me disais que je devais en être l’historienne.  Sa construction a débuté en 1942, c’est un ministre de l’éducation national qui en a donné l’ordre. Ce lieu a abrité des chantiers de jeunesse sous Pétain, puis servit aux résistants pour combattre les italiens pendant  la guerre….Au fil du temps, il est devenu un point de départ pour les plus belles et plus difficiles ascensions, pour les «conquérants de l’inutile «   comme les nommait Lionnel Terray. Il a été un lieu œcuménique et de protection pour les montagnards, une vierge sur le Grépon, un Christ en métal monté par le secours en montagne, et un pont entre l’orient et l’occident car les bouddhistes de Kutolsheim avaient peint un immense Boudha, sur un rocher derrière le refuge.

Elisa

Bonjour Julie,

En ce moment je me remémore souvent cette belle soirée, qui était le point d’orgue venu saluer la fin de notre stage de cet été. Rien que le fait d’invoquer à nouveau ce souvenir impérissable me donne du baume au cœur comme tu n’en as même pas idée.

C’était vraiment une nuit baignée de magie, faite de l’agrégat improbable de tous nos brins de créativité mis bout à bout, enchevêtres…

Qui aurait pu penser un seul instant, que ce patchwork si improvisé et imprévisible allait  aboutir à ce si beau feu de la Saint Jean de l’âme, cette symbiose si inhabituelle vu du balcon étroit de ce qui passe pour être la vie ordinaire. Tout avait l’air si évidemment, naturel et simple, comme si nos poumons et nos cerveaux, nos cœurs entrechoqués et nos entrailles à ciel ouvert n’avaient eu que seul but pour advenir au monde…comme si nous avions été conçus uniquement avec le dessein de célébrer cet unique instant fugace.

Tout sonnait si juste, là où se dresse d’ordinaire que des rocs menaçants. Tout était ruisselant d’eaux vives, que rires et sourires, pour n’être plus que sur-rires aux éclates d’étoiles, comme les soirées d’été peuvent comme personne si savamment les révéler au grand jour.

Je garde encore l’arrière-gout délicieux de cette impression de tournis qui s’est emparée de nos corps et esprits… la ronde ne nos individualités virevoltantes ne formant plus alors qu’une seule et même emprunte, une seule et même trace…un unique faisceau filant à toute allure.

On ne se connaissait que d’hier et pourtant nous rimions si profondément les uns avec les autres dans cette ritournelle endiablée.

Ce n’était à l’évidence qu’une parenthèse, mais qui témoigne pourtant qu’une telle osmose est possible sur ce terreau terrestre trop souvent stérile.  

Même si le cours des choses m’a ramené depuis lors à mon lot quotidien embourbé, je sais qu’il existe quelque part au fond de moi un écho qui subsiste inviolé de ce moment envolé. Un sillon a été labouré et une ligne qui file droit sans ciller écrite à tout jamais.

Rien que de replonger dans ce souvenir me gorge d’espoir, et souhaitant que cette ronde des cœurs soit devenue demain notre pain quotidien, et non pas uniquement un heureux accident.

Cette pensée m’arme de confiance en l’avenir, et je vais m’atteler à bien veiller à  ce que cette graine de tournesol qui a été mise en terre puisse sagement éclore durablement…cela sera alors comme des retrouvailles bénies avec une veille amie latente.

Ton cher et tendre,

Yoan

La couleur de nos jardins

Surprise au jardin

Arrivée devant le portillon de bois tout branlant, je le pousse et pénètre dans un lieu que je n’avais encore jamais visité.

Mes yeux caressent les roses qui m’accueillent en dressant fièrement leurs têtes ourlées. Des légumes, des plantes aromatiques, des fleurs de toute sorte s’offrent à moi, plantés dans un désordre qui fait toute sa beauté et sa richesse.

Les couleurs s’entremêlent, les effluves m’enivrent.

Doucement j’avance. Un calme étrange règne en ces lieux, uniquement dérangé par le vrombissement des abeilles, des guêpes et autres insectes.

Je distingue, au fond de ce paradis, un cabanon. On le dirait en pain d’épices, fenêtres ornées de rideaux Vichy, volets décorés de cœurs.

La porte ouverte m’invite à rentrer. C’est drôle cette impression soudaine de ne plus être seule….

La pénombre m’enveloppant, je ne distingue rien si ce n’est un vase offrant un bouquet de pivoines roses aéré de gypsophiles, une merveille…

J’entends soudain de drôles de petits bruits, des petits gloussements et voilà que mes sœurs bondissent de sous la table où elles se cachaient !

 « Joyeux anniversaire Petite sœur » !

Elisabeth K, 20 juin 2020

Jardin  buissonnier

La porte grise du jardin étant  entrouverte, je décide d’y pénétrer car ce jardin m’a toujours intriguée avec ses sculptures et ses herbes folles.

Je passe  timidement le portillon, et regarde à droite, à gauche : personne. J’ose m’aventurer un peu plus loin. Une odeur de lilas flatte mes narines. Je ne tarde pas à découvrir deux cages à oiseaux sans vie. Une table git à côté. Elle est renversée sur le flanc et ne semble pas avoir bougée depuis des siècles. La végétation et la rouille l’ont colonisée.

Je tourne à droite et découvre alors un parterre  fleuri, éclatant de vie. Des capucines s’enracinent sur des morceaux de bois qui sentent l’humidité. Des lys multicolores et multi-têtes leur font face et les surplombent de façon hautaine et dédaigneuse. Des tulipes fanées et flétries exhibent leurs pistils, dernier témoignage d’une splendeur passée. Je dépasse le parterre et m’émerveille devant un catalpa qui a fleuri, majestueux centenaire.

Il abrite des oiseaux mais aussi un écureuil qui me regarde furtivement et disparait, visiblement gêné par ma présence. Une pie me toise et me regarde d’un  air méfiant, avec défiance. Qui est cette inconnue qui ose venir sur mes terres ?

Je passe mon chemin ayant le sentiment d’être une intruse. Je m’avance doucement, sans faire de bruit et aperçois alors le potager. Les aubergines sont si petites e : je me demande qui s’occupent d’elles. Elles ont l’air fragile et seules. Non, elles ne sont pas seules, la consoude veille sur elles, tel un ange-gardien. Les feuilles des courgettes se recroquevillent avec la chaleur et la menthe poivrée libère une fraiche senteur.

Un craquement me fait sursauter. Je cherche sa provenance quand j’aperçois un petit pont japonais surplombant un ruisseau. Au bout du pont, j’entrevois une silhouette. Une femme vêtue d’une tenue ample et jaune-soleil est assise en tailleur et semble méditer. Le temps est suspendu. Je respire et en silence je profite avec elle de ce moment de communion avec la nature, puis repars sur la pointe de  mes gros orteils afin de ne pas être trop en retard à l’école.

Viviane

Jardin d’enfance

Descendre au jardin.

Petit escalier extérieur accessible depuis la maison de campagne, au coeur d’un minuscule village normand. Heugon.

Descendre ces quelques marches était comment pénétrer dans la joie, le chant des oiseaux, la liberté. Ce carré de verdure créé par les mains de mon père, médecin… des fleurs. Il y a mis toute son âme, tous ses espoirs. Des roses roses embaumes au milieu des pivoines fuchsias et blanches. Je cours vers la balançoire. Je vais y passer des heures programmant les défis de plus en plus fous. Je croyais m’envoler, ou, au moins, faire le tour de la branche à laquelle elle était attachée. Mes pensées décollent, s’envolent, explosent de bonheur. Mes pieds, au contact de l’herbe me rassurent, lorsque je descends. Mais je remonte aussitôt voir l’horizon, les vaches et laisser mon imagination explorer les moindres recoins de ce territoire. Je veux cette maison dans ma vie future. C’est la seule chose que je voudrais de mes parents. Mon père dit qu’il voudrait être enterré là. Je passe un petit portail et débouche sur un autre jardin rempli de pommiers. Puis, un autre jardin avec au fond, la grange. J’entre, toujours un peu apeurée, mes pieds nus dans la paille. Je grimpe et m’assieds au rebord de la fenêtre, sans fenêtre, la vue plongeante sur la nature. Je rêve d’en faire ma maison, un jour, quand je serais grande. Tout est possible.

Je ne rencontre personne. Le vide. L’oublie. Et puis au moment de repartir, je découvre cette clé sous la paille. Une grosse clé en fer forgé. Je ne sais pas qu’elle porte elle va ouvrir, mais je la mets dans ma poche et repars vers la maison.

Régine, 20 juin 2020

Parc de La Bergerie, 11h 30

Le jardin de mon enfance

Je descends les escaliers à arrière de la maison. Dans la cour, il fait toujours plus frais qu’ailleurs. C’est le côté Nord où les rayons de soleil se font rares. Derrière la maison, une pente donne sur le niveau supérieur du jardin. Et au pied de la pente, se trouve la remise de mon père qui abrite le bois de cheminée pour l’hiver. Sur le côté, la remise de nos voisins, identique à la nôtre.

Après avoir contourné ces deux vieux bâtiments – en bois également – on se retrouve au pied de la pente.  Six marches d’un escalier en pierre – et on accède aux ifs. Il faut alors se mettre à 4 pattes, ramper sous la vieille haie en if, afin de se faufiler dans notre cachette. Un trou formé de branches, les aiguilles tapissant le sol.

C’est notre séjour, la cuisine, notre foyer tout à la fois.  C’est là que nous nous installons. Nous – la fille de nos voisins et moi-même. Quand, de temps à autre, mon cousin nous rend visite, je l’y amène. Chaque personne ayant le droit d’y pénétrer est obligée de garder le secret. Un secret illusoire, car ma mère sait très bien où nous sommes.

Aujourd’hui, mon cousin qui est venu pour passer le weekend chez nous. Il a 8 ans, j’en ai 9.

Cette fois-ci c’est lui qui va me confier un secret …

Sabé

Et puis soudain, après un dernier virage, un dernier carrefour, la voiture s’élançait dans « l’avenue de Paris » et, avant même d’être garés devant, nous devinions déjà la grille rouge du 28.

La voiture enfin stoppée sous le cerisier, nous nous éjections en vrac et le rituel commençait.

Entre les deux gros buissons de buis au parfum qui disait « Vous êtes arrivés », s’élancer sur la vieille allée au béton fendu par endroits, longer les vieux rosiers oubliés par la taille depuis trop longtemps et rendus à la sauvagerie des aubépines qui les avaient fait naître, contourner, juste après la vieille pompe, les énormes touffes de romarin exhalait de délicieuses promesses, laisser sur la droite le potager quadrillé de planchettes et les buissons sournois des groseilles à maquereaux et foncer en vainqueur, dans une dernière ligne droite entre les lauriers, pour être la première à se jeter dans les bras grands ouverts de Mamie.

Mais, ce jour-là, un obstacle imprévu s’était jeté en travers de cette progression immuable. Traversant avec insolence un royaume qui lui était habituellement farouchement interdit, un chat, insulte suprême faite au propriétaire des lieux, se pavanait sur l’allée.

Papy allait être furieux. Le séjour s’annonçait chaotique.

Texte jardin- 20/06/20- Parc de La Bergerie- Magali

D Day ou la résistance par las fleurs

Aujourd’hui je me sens bizarre, excitée. Fébrile comme pour un premier jour d’école.

Nous sommes le 11 mai 2020, je jour du déconfinement. Je retourne à ma boutique de fleurs, ma petite entreprise. Elle m’a tellement manqué mon activité.  Tout comme mes clients.

Mes fleurs m’attendent : je les ai toutes commandées par internet. Qui l’eut cru ? Moi qui rechigne à me mettre sur l’ordinateur.

Des questions m’assaillent comme une armée qui ne laisse aucun répit.

COMMENT  accueillir mes clients afin de ne pas leur faire prendre de risques?

Mon havre de paix est petit mais il est un océan de plénitude dans lequel je me sens libre, belle comme mes fleurs, mes chères amies : Rose, Capucine, Hortense, Marguerite et Angélique.

Je n’ai pas envie d’enlaidir mon comptoir avec des plaques de plexiglas. Non, non et non. Résiste ! Comme dirait France Gall « Prouves que tu existes !!

COMMENT payer les loyers en retard ?

Je plonge mon visage dans un bouquet de roses Piggy. Elles me redonnent un élan de vie et d’optimisme.

Encore un soldat embusqué dans mes pensées.

EST-CE-QUE mes clients vont revenir ?

Je prends conscience que je suis en état de siège. STOP ! Il me faut avoir confiance en l’avenir.

Mais COMMENT avoir confiance avec cette crise économique qui nous menace ?

Soudain, j’entends la clochette du magasin. Mme Lamartine me fait un grand sourire et me dit : « Bonjour Myriam, je suis très contente de vous voir et de constater  que vous allez bien. Pourriez-vous me faire un bouquet qui fait du bien au moral, s’il vous plait? »

Viviane

Libérée délivrée : la fleuriste déconfinée 

55 jours ! 55 jours que je me confine, que je me ronge les sangs ! La nuit je me réveille en sursaut, assaillie par une armée de chiffres, attaquée par quelque huissier hurlant… La sueur me dégouline de partout !

Ouf ! ce n’est qu’un cauchemar ! Demain, 11 mai 2020, enfin j’ouvre ma boutique, je lève le rideau.

En attendant de me lancer dans l’action, j’essaye de dormir. Il est six heures ! je saute sur mes pieds, une bonne douche chaude finit de m’apaiser momentanément.

Au petit-déjeuner, en super organisatrice que j’étais AVANT, je m’arme d’un stylo et de mon carnet. Par quoi commencer ?

  • Filer au Marché-gare de Cronenbourg faire mes achats
  • Tout présenter de belle manière
  • Ne rien oublier, tout oublier
  • La clé, la carte bancaire….

Je vais y arriver mais j’ai l’impression de ne plus savoir…

Ça y est, tout est en place, arrangé à mon goût : roses Miss Piggy, pivoines rose thé, œillets lie-de-vin, coquelicots géants, sans oublier les plantes aromatiques, les potées de géranium rouge d’andrinople, mon préféré. Les senteurs et les couleurs se mêlent harmonieusement.

Il est 10 heures, allez, c’est parti, j’ouvre. Mon cœur bat la chamade.

Mes clients seront-ils au rendez-vous ? Mille questions m’assaillent telles des flèches acérées qui viennent me piquer partout.

Je lève le rideau et, que vois-je ? Madame Casse-pieds accompagnée de Monsieur Je-sais-tout ! Oh non, pas eux !

Bon, sourions, voici Monsieur Soleil. Qu’il me fait du bien celui-là !

La matinée s’écoule agréablement. Je repousse sans cesse l’ouverture de la pile de courrier. Je l’attaque finalement tout en picorant mon déjeuner.

Une facture, une deuxième, une troisième. Mon estomac se serre. De nouveau les chiffres valsent sous mes yeux.

Du calme Myriam ! respire.

« J’épluchai alors une pomme rouge du jardin quand j’ai soudain compris que la vie ne m’offrirait jamais qu’une suite de problèmes merveilleusement insolubles. Avec cette pensée, est entré dans mon cœur l’océan d’une paix profonde ». (Christian Bobin – Noireclair)                                                                                  Elisabeth K, 20 juin 2020

Dans la peau d‘une fleuriste

Nous sommes le 11 mai. Ma tasse de café devant moi, je suis assise à la table de ma cuisine. Il est 5h du matin. Le jour se lève. Et avec lui mon excitation. Je n’ai presque pas dormi de la nuit.

Hier, j’ai travaillé  dans mon magasin. Je l’ai nettoyé à fond, j’ai réorganisé les éléments de décoration qui ornent les étagères, j’ai enlevé la poussière partout. Le petit atelier, derrière la boutique, n’était pas aussi poussiéreux. Au moins là pendant le confinement, j’avais pu continuer à créer les quelques bouquets pour les entreprises qui tenaient le coup. Au moins là, j’ai eu la possibilité de garder le contact avec mes plantes. Les tulipes, les narcisses, toutes les fleurs du printemps. Passées.

Maintenant, c’est au tour des pivoines. J’en ai commandé 7 boîtes. Trop ? Assez ?

Comment va se dérouler cet après-midi??? Heureusement, j’ai encore la matinée pour me remettre en route, pour lier les bouquets pour l’entreprise que je livre chaque lundi. On s’accroche aux habitudes.

Mais cet après-midi, après la pause déjeuner, pour la première fois depuis 8 semaines je vais surtout ouvrir la porte en grand, au public.

Qui va venir ? Qui va oser ? Allons-nous fêter nos retrouvailles ? Où va-t-on commencer très doucement ? Aurai-je à faire à des clients hésitants, encore intimidés, incertains par rapport au contact avec l’extérieur ?

Qui va gagner la bataille entre la peur et l’envie de fleurs fraîches ? L’appétit pour la vie?

J’hésite sur la quantité à commander. Si j’en commande trop, je vais devoir les jeter – ce qui me fait mal au cœur – et me mènerait à chaque fois un peu plus à la ruine financière. Si j’en commande trop peu, au bout  de deux heures je devrais faire patienter les clients jusqu’à la prochaine livraison. Et peut-être les perdre…

Depuis les quatorze années que j’ai ma boutique, j’ai toujours eu la bonne intuition. J’espère qu’elle ne m’aura pas quittée…

Sabé

La fleuriste

6 heures. Je viens d’arroser abondamment le potager à saturation. Maintenant que la terre est nourri, je me pose sur la table ronde du jardin et prends mon petit-déjeuner. Le soleil se lève, sur la gauche et me touche par un premier rayon. J’adore ce moment. C’est souvent là que je prends conscience de la chance que j’ai d’être en vie. Ce matin il règne un tumulte certain dans ma tête. C’est le premier jour du dé-confinement et je ne sais pas ce que je vais trouver au dehors, dans la rue, dans la ville. Heureusement la boutique est au bout de la rue. Je peux y aller à pieds. Le trajet est un peu comme le chemin des écoliers.

Ce matin il n’y a personne. C’est presque angoissant. Mes repères n’arrivent plus à s’ajuster à cette réalité irréelle. Pourtant, rien n’a changé, ou presque. Après cinquante cinq jours de confinement je me demande si je suis la même. Ai-je vraiment envie d’aller ouvrir cette boutique ? Que vais-je y trouver ? Des fleurs mortes, séchées, une odeur de pourrie ? Un tas de courriers, de publicités, de factures à payer ? De la poussière, la saleté de la vitrine ? Tout cela n’est rien. Ce qui m’effraie le plus, c’est de découvrir que je n’ai plus l’envie, le désir; celui qui m’a tellement mise au parfum de ma vie, les jours d’avant ! Si je n’avais pas cette boutique, sortirais-je pour acheter des fleurs, là, en ce jour d’après le confinement ? Non. Certainement pas. Et pourtant j’en achetais chaque semaine, avant ! C’était avant. Maintenant, je ne sais plus ce dont j’ai envie. Je ne sais plus me projeter, aimer ce que j’aimais. Je ne sais plus.

Je grimpe les deux petites marches de la boutique, j’ouvre la porte le coeur battant. J’entre comme dans un conte. Chaque plante, chaque fleur est là à m’attendre. Elles se sont maintenues comme elles pouvaient jusque là. Je les regarde dans les yeux, m’interrogeant sur ce qu’elles avaient bien pu vivre durant ces longs mois. Mais au fond, c’est moi que j’interroge ! Que s’est-il passé ? Je suis moi et une autre à la fois. J’ai troqué mes certitudes contre la peur. Celle de mourir, comme elles. Je suis devenues elles.

Régine

20 juin 2020 – Parc de La Bergerie, 11h 30

A l’horizon de nos rêves

Mon jardin
Quand je vais dans mon jardin, je vois de belle allées bétonnées couleur grises, qui entourent quatre ilots où poussent des légumes et des plantes variées. Au fond de ce jardin, se trouve une petite remise contenant le matériel de jardinage et à coté de cette remise un robinet pour remplir un arrosoir, ainsi qu’un siphon. Le tout est entouré d’un mur de la même couleur que le sol d’une hauteur d’environ 2 mètres. Il n’y a pas de mauvaise herbes ou d’insectes dans les ilots, chaque chose y est à sa place et fait ce qu’elle doit faire. En apparence ce jardin pourrait être parfait.
Mais il ne fait pas toujours bon être dans ce jardin. Sous cette « perfection » ne se cache il pas en réalité une absence de vie ? Ou est la fantaisie, la créativité, l’inconnu ? Quel intérêt de répéter inlassablement les mêmes gestes pour obtenir les mêmes résultats ? Est-ce vraiment là ce que j’attends d’un jardin qui ne remplit qu’un rôle « récréatif » ? Pourquoi une telle « aseptisation » et volonté de résultats ?
Je me sens à l’étroit dans ce jardin. Bien qu’éclairant suffisamment ce qui y pousse, le soleil ne réchauffe pas mon cœur lorsque je suis dans ce jardin. Les murs l’empêchent de rayonner de toute sa majestueuse force. Je rêve de briser ces murs et cette « perfection ». Je rêve d’un jardin qui serait véritablement vivant et s’ouvrirait sur toute la beauté de la nature : le ciel, l’eau, les oiseaux, le vent, les insectes et la douche chaleur du soleil.

Albert

Ce que je ferais avec une grosse somme d’argent

Par une belle matinée de printemps, le soleil dépassant déjà de l’horizon, les pneus de ma voiture émettent leur bruit si caractéristique sur le gravier, alors que dans un dernier virage, j’arrive sur ma place de stationnement. J’adore ce bruit. Bien sûr, le gravier a ses inconvénients, surtout avec cette voiture « tape à l’œil » que je possède maintenant, mais il faut bien savoir faire des compromis ! Cette voiture est aussi une vitrine rassurante pour bien des gens.

Je verrouille ma voiture à l’aide de son « bip », et m’avance maintenant en direction du portail en fer forgé gris, entouré de murs blanc surmonté de chaperons gris eux aussi. Je profite pleinement de ce moment. La brise légère, la douceur de la température, le bruit de mes pas sur le gravier, le sentiment qui m’habite en cet instant est assez indescriptible.

Au départ ça me semblait une idée folle. Je ne savais pas trop comment j’allais la réaliser. Mieux que personne je connais les réticences et limitations de notre société… Et bien entendu combien de personnes m’on dissuadé de me lancer dans une telle aventure. Et que dire des difficultés administratives ! Mais j’ai tenu bon, portée par la conviction profonde du sens que mon initiative avait pour la société et par mon mental -enfin apprivoisé-. Oui, il faut vraiment savourer ce moment. Le graver dans ma mémoire.

Je déverrouille la grille qui s’ouvre sans un bruit. Dommage ! J’aime bien le grincement des grilles. S’offre alors à moi la vue d’une allée pavé entourer toujours du même gravier, et sur chaque coté du gazon, puis des conifères proprement taillés, et enfin des haies le long des murs. Ce paysagiste s’est vraiment surpassé !

Je poursuis ma progression sur l’allée et m’arrête un instant. La douce odeur du gazon et des conifères se répandant dans mes narines, agrémenté de l’air encore frais de la matinée. Et là encore je marque cet instant en me disant « Ca y est ! ». Et oui ça y est ! Mon cabinet de soutien aux créateurs, inventeurs, – bref à tous ceux qui veulent innover, changer des choses et qui ont besoin de soutien financier, ouvre aujourd’hui. D’ailleurs je devrais me hâter un peu !

Il est temps de se diriger vers le bâtiment qui est au bout de l’aller. Les murs sont la aussi blanc, une baie vitrée avec une porte sur la gauche au rez de chaussée et au second niveau un balcon donnant sur les fenêtres de mon nouvel appartement. A droite du bâtiment un jardin à la japonaise : bassin avec des carpes, avec des pierres permettant de le traverser et dans l’angle du mur une petite cascade avec une table a proximité, le tout légèrement ombragée par quelques arbres. Le bruit de l’eau est si apaisant… Un bon endroit de ressourcement et -je l’espère- de signature d’affaire fructueuses !

Mais pour l’instant, il est de temps de me rendre dans mon bureau. Alors que je me rapproche de la porte vitrée, l’excitation me gagne. Dans quelques minutes mon premier client arrivera. J’ai hâte ! Entendre parler de projet divers et variés, les questionner, les améliorer, les réaliser…. Ça va être génial !

Et puis, il me faudra bien sur percer à jour les profiteurs et autres mythomanes, mais ça va être amusant de les percer à jour :p J’ai tellement appris maintenant. Je ne me ferai pas avoir facilement et même si c’était le cas, j’apprendrais alors quelque chose de plus ! Je pénètre maintenant dans le bâtiment. Sur la droite, quelques sièges entourent une table basse avec quelques magazines, et quelques plantes siègent là.

Je continue mon chemin, en passant devant la porte menant à mon appartement et arrive dans mon bureau. Lumineux, spacieux, une table vitrée avec une lampe, un ordinateur des feuilles et quelques stylos. J’ai voulu rester sobre. Les armoires qui se rangent le long du mur qui fait face au bureau sont là pour le superflu. Mais ce n’est pas ce que mes clients verront en premier quand ils rentreront. Si les deux chaises pour mes clients sont confortables, mais sobre, on ne peut pas en dire autant de mon fauteuil. Comme pour la voiture, je l’ai voulu tape à l’œil. Accessoirement, il est aussi très

(trop ?) confortable. Pas sur que j’ai tellement envie de le quitter.

Je prends place, et encore une fois je savoure le moment… Et puis qui sait ! Maintenant que j’ai concrétisé ce projet je peux peut-être même rêver plus loin ! Et pourquoi pas initier un nouveau mouvement politique ? Le changement pour la société n’en serait que plus grand ! Mais je m’égare, je m’égare ! Time for buisness now ! Mon premier client va arriver.

Je ferme les yeux, je respire profondément, je maintiens les yeux fermé quelques secondes et lorsque que je les ouvre à nouveau, mon esprit est là, présent, concentré, prêt pour cette nouvelle aventure. Comme on dit par ici : Jetzt geht’los !

Albert

Dans mon jardin, je vois par une lucarne, le lilas violet en fleur, le potager en friche, les cerises qui se colorent, le vent qui agite les branches du pommier.

Je me dis : c’est beau un pommier en fleur ! Cette énergie au bout de la branche, éveille en moi un sentiment de plénitude, un élan de vie, une douceur bienfaisante.

J’aime l’odeur de la terre après la pluie, le soleil qui colore ma vie et mes tomates.

Dans mon jardin, je n’essaye pas de dompter la nature rebelle mais je la laisse s’exprimer, je l’observe et l’écoute. Je sais qu’il faut lui faire confiance.

Je me sens connectée, vivifiée et bien vivante dans mon jardin.

Viviane

O DACIIIEUX

Atteindre les cieux ou osez les atteindre.

Se donner la possibilité.

Quel beau mot.

Suis-je audacieuse ?

Je ne sais pas, je ne crois pas.

Mon besoin de sécurité m’en empêche.

Mais je tente puis m’arrête dans certains élans.

Ecrire pour tenter puis raturer et recommencer.

Viviane

Dans mon jardin…

Je vois les allées alignées du jardin de mon père,

Où nous passions nos étés à exprimer, enfants, nos galères, 

Cueillettes forcées de groseilles, petits pois et haricots verts, 

Des vacances entières à scruter le monde infini des insectes et autres vers de terre

Il fait toujours beau et chaud, là-bas, 

Le son des grillons, le chant des oiseaux, 

Les batailles d’eau avec le tuyau

Galère rime avec poussière

Je sens ces odeurs de fruits et de fleurs,

L’odeur de nos peaux qui ont pris la chaleur, 

La grenadine tiède des fins d’après-midi,

Grâce à toi, Sabine, ces souvenirs reviennent à la vie….

Carole

Mon rêve…

Ce rêve, c’est mon escalier, celui qui me fait grandir, une marche après l’autre.

C’est l’escalier parfois instable, celui sur lequel certaines marches sont manquantes, 

Et qui pourtant, malgré ces obstacles, ne m’empêche pas d’avancer la tête pensante…

Ce sont les mêmes marches que j’ai gravi au PEROU, celles qui mènent tout droit vers le MACHU PICCHU, 

Sur ce sentier d’une vie,  de magnifiques découvertes, de belles rencontres, des lieux incroyables, des visages indélébiles, et des émotions pures…

même si parfois le souffle, s’essouffle, une fois en haut, la vue est magnifique, pleine de sens, 

Que l’on regarde devant, que l’on regarde derrière. 

Mon rêve serait de vivre ma mission sur terre, 

De permettre à des personnes essoufflées par le voyage, épuisées dans leur escalier, de se faire confiance, de s’aimer assez pour continuer….

J’aimerai leur permettre de voir d’en haut comme la vie est belle, comme leur chemin est beau…

Sans oublier que finalement le haut de l’escalier n’est en fait qu’un palier!

L’essentiel c’est notre présence lorsque chacun de nos pieds se pose délicatement sur ces marches.., c’est ce qui rend l’escalier si précieux! 

Carole

Dans mon jardin intérieur

Dans ce jardin, je vois une petite fille rieuse, pleine de joie et d’enthousiasme, courir pour essayer d’attraper des papillons. Je la regarde avec tendresse mêlée à une pointe de tristesse et de nostalgie.

L’odeur de l’herbe fraîche envahit ses narines. Elle s’émerveille de la beauté de ce paysage sauvage, devant ces animaux volants, rampants, si étranges et merveilleux, sortis tout droit d’un conte fantastique. La sensation de liberté et de légèreté l’emplit. Quel bonheur de sentir la caresse du vent sur son visage, la rugosité de l’écorce de l’arbre sous ses doigts. C’est comme si elle se sentait pleinement unie à ce monde. Je la vois entretenir un dialogue étonnant avec cette nature qui l’entoure.

Sophie

« La maison qui mène à soi »

Je suis face à cette grande bâtisse, ce lieu que j’ai imaginé, construit pas à pas avec énergie, passion, amour et qui fait aujourd’hui parti de moi. Carrefour de rencontre des pratiques spirituelles, créatives et culinaires.

Il me ressemble, est à mon image.

Espace d’apaisement où chacun peut déposer les armes, se retrouver, se ressourcer, permettant une reconnexion à soi-même, à la terre et au monde qui l’entoure.

Maison où le lien se crée, où chacun est libre d’être lui-même et peut Se Dire en toute authenticité. Juste quelques jours pour soi en pleine nature, pour accueillir la bienveillance, l’amour de l’autre, la main tendue, mais aussi pour s’accueillir, s’aimer, s’accepter, se questionner et se donner l’énergie pour s’épanouir, voilà ce que je souhaite offrir dans mon refuge hors du temps.

Sophie

Ces livres qui nous relient

Le livre qui se livre !

Et si j’étais un livre…

Dans la peau d’un livre…

Prends-moi, allez…. laisse-toi tenter ! Je vois bien que tu hésites encore. Regarde bien ma couverture et touche-la, vois comme elle est douce et attractive. Voilà ! C’est bien, je t’ai accroché. Maintenant, feuillette. Allez, feuillette-moi ! Oui, comme ça… ah, tu as repéré mes facéties typographiques, hein ! Je savais que ça te titillerait, ça. Et approche ton nez maintenant, tu sens ma bonne odeur de neuf, parfums d’encre et de papier mêlés ? Je DOIS être à toi. Tu me désires tant déjà, ne résiste plus. Je vais t’offrir tellement de surprises, d’émotions jamais ressenties. À te faire frissonner de plaisir, tu ne seras pas déçue, je te le promets. Avec moi, tu vas le connaître, l’extase du lâcher-prise, l’excitation des neurones, la libération des affects ! Alors, vas-y, qu’est-ce que tu attends ! tu y es presque, tu es à la caisse…Oui ! Je suis à toi ! Oh, dévore-moi, maintenant. Mummmmm, mummmm….

Clarisse

LE LIVRE EN GUERRE CONTRE LE COVID

Moi, un des livres parmi les milliers de la librairie, je ne comprends pas ce qui se passe, mon patron est-il mort ?  S’agit-il d’un attentat ou d’une grève, peut être une fermeture définitive, une liquidation ? Depuis plusieurs jours, aucun bruit, pas de lumière, le rideau est baissé. J’entends les autres chuchoter nous sommes  « confinés » et pourquoi ? Il y a le corona virus et le ministre ne considère pas que nous sommes des produits de première  nécessité. Voila bien une invention des politiques. Je suis furieux, en colère, j’enrage,  je sens de la violence en moi, l’angoisse m’étreint,  sans nous le monde serait horriblement triste, c’est un besoin fondamental. Je suis prisonnier, personne  pour m’acheter, m’admirer, me chérir, m’aimer, m’offrir, me traiter comme la prunelle de ses yeux. Comment imaginer qu’en me confinant le monde ira mieux,  c’est vraiment irrationnel, c’est même idiot.  Certains disent même : « quand tu es malade ne vas pas chez le médecin mais chez le libraire. » Ca mérite peut-être une introspection de ma part. Qui suis-je ? Le voyage, le rêve, les souvenirs, les retrouvailles, la consolation, le refuge, le partage,  pour l’écolier l’apprentissage de la lecture,  pour les syriens des armes pour résister, la détente et mille autres choses. Je suis triste, inconsolable, frustré, c’est pire  que les époques ou l’on brûlait les bibliothèques, condamnait  ceux qui lisaient.  Pour me calmer,  alors « moi »  je me mets à fredonner : « Monsieur le Président je vous fais une lettre que vous lirez peut être : ROUVREZ LES LIBRAIRIES, rouvrez les librairies, car on peut vivre sans la richesse, sans la gloire, mais on ne peut pas vivre sans le LIVRE. »

Elisa

Petite histoire d’un livre

Voilà dix bonnes années que je m’ennuyais dans le noir, incommodé par l’odeur âcre du carton qui me tenait lieu de maison. Et puis soudain, hier matin, une main est venue m’extraire de ma geôle de papier mâché pour m’installer au milieu de mes semblables dans une immense bibliothèque.

Imaginez ! D’un coup, me voilà fier et digne, trônant pile entre « La Prisonnière » de Proust (quelle coïncidence) et « Les Fleurs du Mal » du grand Charles.  

Pourtant, j’ai la boule au ventre. J’ai mal aux mots.

Pourquoi ne me prend-on jamais au pied de la lettre ? Pourquoi me pose-t-on d’un endroit à l’autre sans jamais me feuilleter, m’effeuiller ? Mon titre peut-être n’est-il pas assez noble, ma couverture trop sombre ?

Je m’ennuie, malgré la richesse de mes camarades qui se languissent autant que moi, mais qui semblent s’être habitués à leur statut de déco chic.

Je les jalouse. Peut-être ont-ils été lus, eux ?

Las, par la vitre de cette bibliothèque un peu guindée, j’observe le corps qui prolonge la main qui m’a placé là : il est assis, immobile derrière une étrange machine ; il semble lire pourtant… oui oui, je le vois, il ME lit ! Mais en pianotant sur une surface plane, lisse et argentée

Je réalise subitement que j’ai dû rester trop longtemps enfermé à l’abri du  monde et que durant tout ce temps, je suis devenu l’ancêtre d’une espèce nouvelle.

 Je me suis dématérialisé.

Face au virus, la bibliothèque est notre forteresse dérobée.

Nadine

« la lettre de doléance  » …d’un livre ou la consigne : je suis le livre … » je veux séduire le lecteur »


Doléance, douleur, mal-être, ETRE,
symptômes, folie … éphémère, MERE, terre, ver de terre, verres partagé, joie de retrouvailles, prendre dans ses bras, bras, brassée, une brassée de fleurs, bouquet de fleurs, brasse, natation, flotter, se laisser porter, être léger, légère, sans souci, « le château Sans Souci « , l’hiver, le givre, le froid, le vent du nord , glacial, soleil, crissement des pas , une main chaude dans la poche de l’autre, avancer ensemble, se tenir, l’horizon, ouvert, respirer, re-spi-rer, répéter, une répétition, les répétitions de situations dans une vie, tourner en rond, sortir du cercle, passer pardessus des frontières, les limites, être sans limites , mite, mythes, Ulysse, l’Odyssée, le voyage d’une vie, partir … sans revenir .

Tonio

De la part de „Tom Sawyers Abenteuer“ de Mark Twain

Ah ! Tu m‘as découvert dans la bibliothèque de ta mamie ?! Et tu n‘as pas l‘habitude de lire des histoires sur papier – mais tu as pourtant lu le mot „aventure“ sur mon dos ?! Et voilà – sers-toi de moi ! Sers-toi de la fantaisie de mon auteur de l‘avant-dernier siècle en sachant que ta grand-mère l‘a fait à ton âge.
À l‘époque, je l’ai emmenée au Mississippi. Déjà quel drôle de mot avec ses doubles consonnes qui le rendent un peu énigmatique, qui évoque un fleuve large, les eaux coulant sous la chaleur de l’été, des pastèques, le chant des grillons et à son bord un garçon…
Pieds nus, il s’est échappé de l‘étroitesse régnant de chez sa tante Polly et il attend ses meilleurs amis – Becky, la fille sage, toujours bien habillée et propre, raisonnable mais pas toujours et Huckleberry, cet ami fidèle, aventurier libre, vêtu en culotte usée toujours sordide.
Tous les trois prêts à se lancer dans une nouvelle aventure, le plus souvent involontaire, au risque de recevoir une fois de plus une bonne correction …

Outlander“ de Diana Gabaldon

Oups! Vous m‘avez surpris…
J‘ai un peu honte, excusez mon apparence. Comme j‘ai passé plusieurs mains, ma reliure est devenue usée, mon dos cassée, quelques pages sont écornées.

Hélas ! Il y a dix ans à peu près ma vie était assez mouvementée. Je ne retrouvais plus du repos. Mes lecteurs – à vrai dire surtout des lectrices – m‘amenaient partout. Au début, elles me cachaient dans un enveloppe vite fait d‘un journal, parfois d‘un papier plus élégant, afin de cacher à la personne assise en face d‘elles dans le tram, le train ou des salles d‘attente, sur les bancs publiques, bref, pour cacher aux autres qu‘elles lisaient une littérature considérée comme profane.
Je porte dans moi de la fantaisie, l‘amour, les mythes, … à la fois romantique, sauvage et compliqué.
La lectrice, lorsque elle était … disons démasquée, se trouvait aussitôt dans un cercle de grands fans…
Suivaient mes sœurs cadettes, les tomes 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, … (on attend toujours le dernier). Tous ensemble nous avons mangé des milliers d‘heures à un large publique.

Quelques années plus tard on a pris l‘intrigue pour en produire une telenovela. Elle aussi a connu un grand succès, pourtant je regrette tout ce qui s‘est perdu. Ça commence par la couleur ambre des yeux de la héroïne principale, ses connaissances détaillées des plantes et des herbes médicinales, des descriptions vétilleuses de la médecine du 18ième siècle, les nuances de la conversation et les discussions allant jusqu‘au fond des conflits de ce couple à travers le temps. Puis alors la complexité de la vie d‘une ferme dans les Highlands d‘Écosse, secouée dans les batailles de la rébellion jacobite, combat féroce et infructueux pour l‘indépendance, et des personnages à caractère si multidimensionnelle… Bref, tout cela ne pouvait pas transparaître dans les films, évidemment la mise en scène de mes 850 pages se heurtant aux limites du genre …

C‘est la vie. La vie d‘un livre se composant de périodes de succès, quelques années au repos dans une bibliothèque, dans les cartons lourds de déménagement, puis de temps en temps sorti de nouveau, relu, prêté de nouveau, …
J‘aime bien ma vie de livre.

„ Gramp – ein Mann altert und stirbt“ de Mark Jury et Dan Jury

Comme je fus content lorsque Mark et Dan en 1978 trouvèrent enfin une maison d‘édition !

Ces deux jeunes hommes, ces photographes courageux, créatifs et prêts à documenter une histoire émouvante. L‘histoire de leur grand-père et oncle qui trouva au sein de sa famille un endroit, un refuge même, pour vieillir avec sa maladie d‘Alzheimer et y mourir dans la dignité.
Je témoigne d‘une famille qui se battit pour Gramp, le vieil homme, et pour son droit de rester auprès de ses proches aux confins de sa vie. Leurs photos et leurs textes parlent de cet effort, ces joies et de la richesse de cette épreuve qu‘ils traversèrent ensemble.

En 1982 une maison d‘édition allemande publia ma traduction par E. Ortmann.

Aujourd‘hui je suis tombé dans l‘oublie, à l‘exception de quelque exemplaires qu‘on trouve avec de la chance dans les bouquineries.

„Unsere Welt neu denken“ de Maja Göpel

Je suis une invitation à vous pour repenser notre monde. J‘étais redigé au sujet de la crise climatique, cependant mon invitation est aussi valide dans la crise actuelle qui porte un autre nom et nécessite le même effort de réflexion, même s’il est beaucoup plus complexe.
Je vous propose un regard sur notre monde moderne et je vous fournis un tas d‘informations que je vous invite à regarder de plus près. Nature et vie – Homme et comportement – Croissance et développement – Progrès technologique – Consommation – Marché, état et bien commun – Justice – Pensée et action.
Cela vous tente ? En fait, une fois la crise surmontée, il nous restera un plus grand défi – celui de ne plus détruire notre planète, lieu seul et unique pour nous à y vivre.

Sabé

Nos bibliothèques face au confinement

La bibliothèque, notre « forteresse dérobée » – Nos livres, nos « armes d’instruction massive »

MERCI AUX PASSEURS DE LIVRES DE DARAYA

Je suis née pendant la guerre, à Chamonix, en 1943
Je pleurais beaucoup, on disait : sa mère n’a pas assez de lait pour l’allaiter suffisamment. Moi je pense que je pleurais car déjà je comprenais que la guerre était horrible, qu’il y avait les camps de concentration, des milliers de Juifs  déportés,  l’innommable.

Mon  grand père Melchior est mort en 1950 des suites de ces blessures dans les tranchées  à Verdun. Je  pleurais,  on disait c’est la première fois qu’elle est confrontée à la mort d’un être aimé c’est logique. Moi je pleurais  les catastrophes, les  souffrances, les traumatismes, les veuves et les orphelins.

Mon papa a combattu en Indochine,  jusqu’aux accords de Genève en 1954,  moi je pleurais car je ne comprenais  pas qu’on puisse tuer tant de vietnamiens, plus d’un million tout cela pour une guerre coloniale. Je  n’arrivais pas  à sécher mes larmes, on disait elle est triste car son papa n’est pas là.  On émettait des opinions, des points de vu,  jamais on ne cherchait les causes,  des théories des lois.

A l’école républicaine j’ai appris les fables de la Fontaine : « les animaux malades de la peste », déjà des virus. Et surtout la déclaration des droits de l’Homme. Les gifles pleuvaient car je posais des questions, je ne comprenais rien,  pourquoi on ne pratique pas l’égalité, la fraternité,  pourquoi on  exploite les hommes ? On pensait que je ne savais pas ma leçon que j’étais sournoise ou que je me réfugiais dans  des interrogations pour détourner l’attention et ne pas avoir à copier 200 fois ma leçon. Comment aider son prochain, comment combattre les inégalités ? Pourquoi des gens n’ont pas à manger? Le courage s’apprend il ?

 La paix est signée tout ira bien, c’était la réponse éternelle. Je l’ai cru et je me suis blottie dans les livres. J’aime les livres pour le toucher des couvertures,  le grain du papier, d’ailleurs je fais de la reliure,  je collectionne les livres de montagne, c’est  une passion.  Aux bibliothèques idéales  je rencontre les écrivains,  j’adore.  J’ai des livres partout dans toutes les pièces ce n’est pas une denrée rare. Je n’hésite pas à m’acheter un ouvrage même si je dois me priver cruellement de nourriture. Chacun sa drogue, son addiction.

Un jour Sabine  à l’atelier d’écriture a  lu  les passeurs de livres de Daraya, quelle vive émotion, qu’elle trouble étrange. Ces jeunes  ont ramassé dans leur ville détruite par les bombardements incessants des livres parmi  les décombres. Et ils se retrouvent pour les lire. C’est  leur lutte, leur arme d’instruction  massive,  un acte politique pour la paix,  la démocratie.  C’est  leur façon de s’évader de leur enfer,  de sortir de leur isolement et de partager avec d’autres l’apprentissage  de la lecture pour ceux  qui n’ont pas eu la chance d’être scolarisés. Quelle héroïsme, quelle bravoure, votre aventure est exaltante car dans l’adversité  vous ouvrez une troisième voie. Vous vous battez avec votre cœur, vos idées, vos expériences devront nous faire réfléchir, c’est vous que l’on devrait aussi applaudir le soir à nos fenêtres car vous ne perdez pas vos repères malgré la durée de ce conflit interminable et monstrueux. 

Et moi je n’ai pas versé de larmes pour vous,  quand les médias nous bombardaient d’information, j’ai exprimé mon indignation,  ma révolte intérieure,  ma  honte mais c’était trop loin la Syrie, et puis j’ai un agenda surchargé, je dois impérativement faire ceci et cela, je dois être efficace, entreprenante, je ne veux rien sacrifier à toutes les futilités qui me sont proposées. Je me suis seulement impliquée à une très petite échelle en faisant des cours d’alphabétisation aux réfugiés  syrien, en faisant des dons  aux humanitaires. J’ai soulagé ma conscience, et me suis consolée en pensant qu’à l’échelle  de l’humanité je ne peux pas changer le monde. Mais le corona virus m’a confiné, et cela  devient un temps pour enfin réfléchir.  Alors face à ma bibliothèque je sais que chaque livre sera «une alerte». Alerte pour me signaler que je ne vais pas attendre que les choses redeviennent comme avant mais grâce à vous, je me promets de chercher vraiment quel geste posé. Alerte pour pratiquer l’altruisme. Alerte pour simplifier mes actions, et comme le colibri qui s’active pour jeter de l’eau sur l’incendie je prends la résolution «de faire ma part» , grâce à vous, merci infiniment.

Elisa

Les livres, nos armes d’instruction massive.

Très chers amis,

L’oppression s’insinue bien souvent de manière invisible. L’ennemi vous est connu, il est montré du doigt, nommé. Il rode dans les airs et combat sur les ruines de vos villes, de vos vies. Mais il est l’arbre qui cache la forêt. Car l’oppression, la dictature commencent avant tout par l’ignorance et la censure.

Je pense Autodafé.

La censure qui tue les gens dedans, qui veut les dessécher de l’intérieur en les privant de nourritures terrestres quand chaque livre est un festin pour l’âme et pour l’esprit. Chaque récit est un repas qui repousse la famine des idées. La faillite des idées. La langue ne ment pas, Klemperer l’avait bien compris.

Il pense Manipulation. Alors oui chers amis, remplissez votre bibliothèque, dévorez- là, extirpez-en votre révolte. Nourrissez-vous pour échapper à La peste, à tous les archipels du Goulag, aux mains sales et à la Foret Profonde. Avalez les mots pour vomir votre oppression. Donnez à vos livres une raison d’exister pour qu’un jour, bientôt, à coups d’armes d’instruction massive explosent les murs du souterrain qui les protègent, mais les insultent.

Nadine

Une bibliothèque et ses lives du « confinement », une « arme de destruction massive » ( ref. à Daraya) , ce qu’est un livre, des livres en temps de « siège » …


Confinement, cloitrée, cloitre, couvent , nonnes, les clarisses, St Francois et ses oiseaux, ses frères, ses soeurs, j’aime le confinement, la lecture, le calme, une certaine lenteur, ralenti, convalescence, reconstruction, le fil des jours, les journées denses, intenses, le regard plus aiguisé, le sens de l’observation plus attentif, plus ouvert, le silence sans la rumeur de la ville, vivre les fenêtres ouvertes , le chant des oiseaux, tout un monde de chant – à la première écoute indéchiffrable, repérer les voix, les mélodies, les notes, comprendre la ligne mélodique, chante-t-il en fa, en sol . .. et là un dièse, une syncope, un martèlement, une note répétée, une percussion, un son fluté .. puis sa réponse, de loin, en écho, le dialogue des merles, en écho, ils se parlent, dès l’aube, un accueil, un nouveau jour commence …

Tonio

 “Les passeurs de livres de Daraya” : réflexions en période de confinement

“Face au virus, la bibliothèque est notre forteresse dérobée”. Mais de quel virus parle-t-on ? De celui de la discrimination sociale ! La bibliothécaire de Cronenbourg m’a ainsi raconté que certains, parmi les adhérents, lui avaient fait part de leur souhait de faire déplacer les locaux de la bibliothèque vers le quartier Saint Florent, beaucoup mieux fréquenté selon eux que celui où ils se situent actuellement. Or, c’est justement un des seuls lieux où, parfois, les différentes populations du faubourg se croisent. Quelle idée pathétique ! Et comment a-t-elle pu germer dans ces têtes qui, pourtant, doivent se pencher régulièrement sur d’admirables ouvrages, pleins de générosité et d’empathie avec l’autre? Les livres seuls ne suffisent-ils donc pas à ouvrir l’esprit et le coeur ? Ne sont-ils hélas pas pour tous ces “armes d’instruction massive” que nous désirons qu’ils soient ?

Clarisse

„Dire presque la même chose“ de Umberto Eco

Bonjour ma belle, bienvenu à ton bureau! Si tu veux, je t‘accompagne aujourd‘hui aussi dans ton travail qui te passionne autant, qui fait vibrer tes neurones, qui te fait voyager entre les mondes, entre les cultures, entre les langues.

Je te propose les réflexions de mon auteur au cours d‘une longue vie consacrée à l‘écriture, aux langues, à l‘art de la traduction.

Je me mets de côté de Swetlana Geier, qui t‘a appris des règles fondamentales de la traduction. Prendre du recul face au texte, te laisser t‘imprégner de ses idées, de son atmosphère, son style, son intonation, son rythme. L‘univers du texte de départ et reproduire sa complexité avec la plus grande fidélité possible dans la langue cible.

J‘aimerais bien (comme l‘avait déjà fait „In other words“ de Mona Baker) te fournir des éléments nécessaires pour que tu puisses travailler avec la plus grande diligence. C‘est ça, l‘art de la traduction, là, où il faut surmonter pas mal d‘obstacles, des différences interculturelles, la sémantique, des associations et références divergentes, des différences entre le monde d‘une langue et d‘une autre afin d‘enrichir le deuxième avec un texte qui, si tu te consacres entièrement à la tâche, sera „dit dans d‘autres mots“ et qui restera cependant „presque la même chose“ …

Sabé

Ce livre qu’on a pas encore écrit…

Quatrième de couverture d’un livre qui s’invente

Quatrième de couverture du livre que vous souhaiteriez avoir écrit

Les tribulations d’une urne

en 80 jours autour du monde

À partir d’un jeu de cadavre exquis nous suivons le parcours, plein d’aventures loufoques à crever de rire, d’une urne funéraire.

Un livre où se plonger absolument, si on ne souhaite pas mourir idiot !

L’auteure

C. Lamaure

Autodidacte, elle a multiplié les petits métiers, femme-sandwich, magicienne, thanatopractice, y trouvant une source inépuisable d’anecdotes joyeuses et farfelues qu’elle nous transmet désormais. Pour notre plus grand bonheur !

Clarisse

RETOUR EN AUTOBUS

Après avoir raté l’autobus, elle décida de tout reprendre à zéro : elle fit demi-tour, poussa pour la première fois la porte d’un café, commanda un double scotch et composa le numéro de téléphone d’Amélie Nothomb.

Avec Retour en autobus, Domitille Masquez signe ici son troisième roman, sans doute le plus intime. Fille de libraires espagnols, elle puise ici dans ses souvenirs et dans ceux de tout un pays qui oscille entre franquisme et movida.

Nadine

UN VACCIN CONTRE LE COVID OU LA FIN DU MONDE….

Dans un saisissant décor d’apocalypse  des chercheurs de tous les laboratoires du monde reçoivent des Dieux de l’Olympe une énigme afin de trouver un vaccin pour lutter contre le covid  19. Quel pays va relever le défi ? Une lutte sans merci  commence ou tous les coups sont permis. La médiocrité, les petitesses mais aussi les joies et les noblesses de l’engagement pour peut être guérir l’humanité de ce fléau.

ELISA, romancière et dramaturge, a reçu de nombreux prix, elle s’implique dans des associations accompagnant la mutation de notre société vers plus d’écologie et surtout de lien social.

J’emprunte à Ph. Jacottet « Pensées sous les nuages « 
Une rencontre avec l’oeil du poète. Un regard « Vous voyez là c’est mon frère. Et là, c’est moi , enfant » . Mais qui est cet auteur, de quelle vie est-il question ? Un opérateur, un spectateur, un photographe ? Quelqu’un qui nous invite à saisir, à regarder « par un petit trou  » … le trou de la serrure !

Tonio

Le carnet qui voyage

Inspirés des lectures extraites du récit « Tour du monde en 80 jours sans un centime » de Muammer Yilmaz et Milan Bihlmann (Michel Lafon), du Journal d’Anne Franck, du carnet de voyage intitulé « D’eau et d’encre » de Danièle Frauensohn et Abel Antonysamy, du roman « Journal d’une voisine » de Doris Lessing (Albin Michel), nous partons avec l’atelier le Carnet qui voyage au fil de jeux d’écriture…

Quelques incipites seront intégrer dans les compositions :

« C’est curieux ce besoin de noter les choses, comme si elles n’existaient pas avant d’être consignées » Doris Lessing – Les carnets de Jane Somers – Journal d’une voisine

« C’est une sensation très étrange, pour quelqu’un dans mon genre, d’écrire un journal. » Anne Franck

TEXTES DE L’ATELIER : Le carnet qui voyage

Atelier Le fil rouge

22 02 2020

Clarisse

RETOUR EN URUGUAY

Lettre à l’arrivée

Ma petite Emma chérie,

Je sais combien tu aurais aimé m’accompagner, trésor, mais le lycée est trop important cette année pour toi. Par contre, parole de grand-mère, je te promets de te tenir informée au jour le jour de mes impressions, de mes émotions et – qui sait ?- des aventures que je vais vivre à Montevideo…

En voilà déjà quelques unes !

Sitôt remise du jetlag, je suis allée sur les pas de ton grand-père et j’ai voulu voir ce merveilleux Teatro Solis dont il avait initié la rénovation avec tant de passion. Finie, la coquille vide qu’il avait connue ! Le théâtre est splendide, il en serait à coup sûr satisfait. Puis avec les amis, ces adorables amis uruguayens dont la langue chante avec volupté, nous avons longé le Rio della Plata. Tu serais terriblement déçue : son eau beigeasse ne donne guère envie de s’y tremper. Pourtant je l’ai fait ….. et en suis ressortie couverte de limon ! (Oh, je t’entends d’ici te moquer de ton insouciante grand-mère, vilaine !)

Petit arrêt ensuite au marché couvert, où tout est mouvement, couleur, odeur de viande grillée, parfums inconnus. Je vais tenter de t’en faire un petit croquis…

Demain : Colonia. Je te raconterai !

Mais pour l’instant : dodo !

Ta mamie qui t’aime

Carnet de voyage

Colonia, le 23 février

C’est curieux , ce besoin de noter les choses, comme si elles n’existaient pas avant d’être consignées. Colonia semble exactement cela : sortie directement de l’imagination. Comme un souvenir qu’on n’aurait pas vécu, un livre qu’on a imaginé, un film entrevu en rêve. Le temps y est suspendu. Des maisons blanches au style colonial alignées le long d’avenues régulièrement arborées. Un silence étrange. Quelques vieilles personnes se faufilant discrètement d’une maison à l’autre. Des voitures anciennes garées là de toute éternité. Et le Rio della Plata. Beige, paresseux, épais comme du café au lait sous un ciel lourd et chaud. Je ne sais si c’est encore l’effet du jetlag, mais je me sens comme à l’intérieur d’un rêve étrange et hors du temps.

Et je me pose la question : est-ce que Colonia existe vraiment ? Et sommes-nous effectivement le 23 février ?

Journal

24

C’est une sensation très étrange, pour quelqu’un dans mon genre, d’écrire un journal. Mais je suis heureuse de le faire aujourd’hui pour tenter d’y graver l’incroyable rencontre que j’ai faite ce matin. Il faut savoir que de nombreux bidonvilles cernent Montevideo et qu’il est vivement déconseillé de s’y rendre. D’ailleurs que pourrait bien vouloir y faire une touriste dans mon style ? C’est donc bien involontairement que, après m’être trompée plusieurs fois de rue, je m’y suis retrouvée. Tout à coup, une nuée de gamins dépenaillés, la morve au nez et les pieds nus, a surgi et m’a entourée en me lançant des imprécations en espagnol qui ne semblaient pas être exactement des mots de bienvenue. J’ai vite senti la panique m’envahir : ils arrivaient de tous côtés, de plus en plus nombreux, criant, ricanant. Puis soudain, à peine plus grande qu’eux, une jeune femme s’est détachée du groupe et dans un français impeccable m’a dit : “ Ils vous proposent un petit spectacle. Ça vous dit ?”

Encore un peu effrayée mais déjà curieuse, j’opinai. Ils me firent asseoir sur un ballot crasseux mais confortable. Le silence se fit.

Et commença alors une adorable série de numéros de jonglage, de clowneries joyeuses, de lancers de diabolo, de jets de balles ou d’anneaux. La jeune éducatrice me dit en aparté :

“ C’est ce que j’ai mis en place pour les sauver de l’ennui, de la drogue et du désespoir…”

19 Juillet 2020

Chère Anne,

Les mots commencent déjà à s’échapper sur cette page alors que je suis en chemin vers cette ville de ton pays dont tu m’as tant parlé. Je les amène à moi, les mirages de ces terres, qui n’étaient présents que dans mes livres accumulés au cours de ces derniers mois. Je visualise les piques des églises partout et cette lumière qui vacille dans les rues, les rues étroites aux éclats du passé.
Il me semble déjà tout percevoir.
Cette petite ville jamais rencontrée, pourtant si grande dans mon esprit.
Ton pays est déjà dans mes yeux.
Je crois que je suis tombée amoureuse au-delà de ce que j’aurais pu imaginer. J’imagine et j’entends parfois ce langage magnifique, mystérieux, rude mais doux, au creux de mes rêves. Comprendre sans comprendre, laisser le sens s’échapper sans jamais complètement décrocher. Intégrer la mélancolie de tes racines mais aussi ses chuchotements et cette poésie dans les moindres conversations.
J’aurais aimé le vivre avec toi, ce voyage si important.
Je sais que tu es prise par tes envies d’ailleurs, aussi.
Deux amies en exil, qui cherchent chacune un chemin, dans le pays de l’une et de l’autre. Je suis pourtant persuadée qu’on finira par trouver un sens à ces vagabondages. Et je le sens, quand un lien est plus fort qu’une langue, qu’une frontière, qu’une vie entière.

S’il te plait, écris-moi vite.
Je suis à présent dans le train. Les mots entrent dans le réel.
Les paysages prennent la couleur d’une histoire oubliée par le reste du monde.

Juliette.

Krakòw (Cracovie), Pologne, 20 Juillet 2020

Chère Anne,

C’est curieux, ce besoin de noter les choses, comme si elles n’existaient pas avant d’être consignées. Je n’ai jamais vraiment pris le temps de retrouver mes pensées. Mes seules projections nostalgiques se faisaient dans mon âme mais n’étaient pas permanentes. Ce voyage change tellement les choses, les choses en moi et les choses du monde…
Il fallait que je les écrive au-delà des lettres que je t’envoie.
J’ai trouvé un beau carnet rouge dans un marché aux puces il y a quelques heures et j’ai été doucement envoûtée par l’idée de l’exercice. Ce voyage est si précieux, alors je marque à jamais cette douceur qui m’entoure sur quelques feuilles de papier.
Je suis maintenant sur la place principale au cœur de la ville de Krakòw, sur une petite terrasse vivante et colorée. Je suis happée par les visages aux yeux marqués, noirs de nuit ou bleus translucides, à la fois introvertis et chaleureux. J’essaye de saisir leur vie par le simple regard.
« Dzień dobry » (Bonjour), « Dziękuję (Merci) », la langue roule sur ma langue, mélangée à mon fort accent français, ce qui ne manque pas d’attirer la curiosité. Les conversations bourdonnent dans mes oreilles, beaucoup de polonais mais aussi un peu de russe et de l’anglais. J’ai mon café près de moi, des êtres avec une incroyable joie de vivre m’entourent progressivement. Des groupes d’amis, des enfants, des plus vieux. Je me sens bien. Il y a une légère brise et le soleil brûle les façades de tous ces bâtiments aux teintes infinies de beige, rose pastel, vert ancien…
Le mélange des matières et des atmosphères est époustouflant, tout en délicatesse. On a envie de découvrir les moindres secrets de toutes les boutiques, de tous les restaurants, de s’arrêter et de poser des questions aux propriétaires ou de se laisser aller à converser avec des inconnus.
Je n’ai jamais connu ça dans aucune ville. Je n’ai jamais été complètement seule, dans aucune ville. Je dois t’avouer que je ne pensais pas que ce voyage allait être si déstabilisant.

S’il te plait, écris-moi vite. Que fais-tu en terre bretonne ?

Juliette


Pologne, 28 Juillet 2020

Chère Anne,

C’est une sensation très étrange, pour quelqu’un dans mon genre, d’écrire un carnet de voyage. C’est une sensation très étrange car cela m’apprend une magie que j’avais oublié depuis mon enfance. Au fur et à mesure que j’écris, au fur et à mesure que cette partie de l’Est de l’Europe se dévoile, une porte s’ouvre, jusqu’à me présenter sa lumière intérieure et sa force.
La Force, je l’ai rencontrée cette semaine. J’avais décidé d’aller plus près du ciel, dans la forêt polonaise, dans les villages au cœur des inspirations que tu m’avais raconté.
La Force s’appelle Ewa. Elle me prépare un thé alors que je suis en train de transposer mes pensées. Elle s’occupe de sa maison à l’énergie emplie de calme et d’odeur de camomille. Elle n’a pas d’âge mais ses yeux bruns aux reflets verts parlent plusieurs échos. Elle est seule, je ne sais pas depuis combien d’années. Je me souviens de cette rencontre si singulière, qui sortait d’un univers parallèle.
Elle est assise sur une simple chaise en bois, près d’un chemin de randonnée à la lisière de son village et elle vend à qui le souhaite des fleurs de son petit jardin, comme une prolongation de sa force et de sa vie. On dirait une apparition, un ancrage avant de me perdre dans la forêt. En m’appliquant sur les mots polonais, j’entame une conversation pendant une éternité.
Ses histoires parlent du gris, de la guerre et d’oppression.
Ses histoires parlent de sa famille et de ses enfants qui habitent ailleurs maintenant, qui ne veulent plus revenir.
Ses histoires parlent de sa foi et de ses rêves et de ses peines et de ses poèmes (oui, elle a publié quelques recueils !) et de ses amours perdus.
Avant ce voyage, je n’aurais pas osé saluer cet étrange personnage, mais tout a changé en à peine une semaine. J’ai vu Ewa, la Force, j’ai ressenti toute sa lumière et je suis rassurée pour toujours. Je vais rester encore une nuit, et puis demain…

S’il te plait, écris-moi vite. Que fais-tu à présent en Provence ?

Juliette

Aéroport de Varsovie, 06 août 2020

Exil, exil

Un petit mot pour des milliers de kilomètres
Des peurs emportées avec un sac à dos
Je me suis laissée aller dans cette ouverture
Abandonnant déjà mon ancienne vie

Une immense espérance a traversé mon corps
Et le désordre de mes bouts de papier

Dans mon esprit ils sont apparus comme le Lien
Entre la terre et les étoiles
Cette immensité de l’Est que je ne connaissais pas
A chamboulé mes visions

Une immense espérance a traversé mon corps
Et le désordre de mes bouts de pensées

Aux montagnes et aux légendes
Aux musiques lancinantes au cœur de Warszawa
Aux histoires d’enfance et aux souvenirs de l’été
Aux cafés des voyageurs
À la force des plaines venteuses

Un petit mot pour des milliers de kilomètres
Des vœux emportés avec un sac à dos
Je me suis laissée aller dans cette ouverture
Vers la jolie Krakòw et ses douces merveilles.

Juliette

Ma douce soeurette,

Le jour, l’heure, l’instant est enfin venu de mon départ.

Comment te laisser – mais comment rester ?

Toi qui as tant partagé mes désirs d’ailleurs, toi qui sais les fourmis qui grignotent mon cerveau lorsque je suis à quai, je sais que tu comprendras.

De toute manière, tu as une très mauvaise excuse ! Tu as trop de travail…

Je ne te fais aucun reproche soeurette, mais je troque ton paperboard contre mon boarding-pass et je me casse. Loin. A perpète. A Papeete.

Ecoute, le lagon m’appelle. Non ! Ecoute bien …

Allez ma douce, abandonne ton agenda, ton emploi du temps qui déborde et viens t’enivrer d’iode.

Je t’emmènerai en pirogue.

Non ?

Tu as une très mauvaise excuse.

Prends soin de toi ; qui trop du travail abuse

S’épuise.

Je t’enverrai chaque semaine une lettre qui fera un demi-tour de la Terre.

Puisse-t-elle au bout de son périple te trouver sans regret.

                 Ta sœur de cœur.

                            ********************

                                                 Papeete, le 17 mars 2019

UN LIEU

C’est curieux ce besoin de noter les choses, comme si elles n’existaient pas avant d’être consignées.

Pourquoi ne pas garder la beauté, la singularité de cet instant dans ma chair, mes pupilles ?

La réponse me semble évidente tout à coup : mon émotion est si grande que je ne peux la contenir dans mon petit corps. Je dois la partager, la déposer quelque part, la coucher sur le papier. Accoucher mes émotions pour les exhiber aux yeux de tous, les partager.

Mais que dire après Bougainville de ce paradis ? J’ai peur subitement que mes mots soient fades à décrire l’horizon, si bleu, si lointain derrière la mer étale.

Je cherche, je fouille. Quel mot sera digne  de la douce essence du frangipanier au soleil levant ?

Par quelle métaphore pourrais-je traduire ce bien-être qui m’envahit à observer ces femmes brunes drapées d’un simple tissu à fleurs ?

Leur beauté, leur déhanché

Leur allure, leur chevelure 

Pour la première fois, il me semble que le dictionnaire est pauvre. Qu’il ne contient pas le verbe adéquat pour la larme de bonheur qui perle à l’idée que c’est ici, ici et nulle part ailleurs que je me sens chez moi. Dans ce chapelet d’îles où vert et bleu s’arrachent la vedette, où la couleur bat le pavé et la douceur tout le reste ; dans ce chapelet d’îles où la bonté est religion et la lenteur une obligation.

Dans ce chapelet d’îles où j’ai été piquée au tiaré,

je reviendrai. Je le sais. 

                     ************************

                                          Rangiroa le  28 mars 2019

UNE RENCONTRE

C’est une sensation très étrange, pour quelqu’un de mon genre, d’écrire un carnet de voyage… d’autant plus que jamais je ne pourrai oublier ce séjour. Même lorsque mes muscles seront rabougris, lorsque mes yeux seront épuisés et que je demanderai à mes petits enfants de parler plus fort, la beauté de cet endroit sera l’ultime empreinte de ma jeunesse.

En survolant l’atoll déjà – il y a trois jours – j’ai senti comme un gros poisson dans mon ventre. Imagine : une bande de terre flotte paisiblement sur le Pacifique. Waou… comment ça tient si peu de terre sur autant de mer ?

L’aéroport n’est pas plus grand que ton deux-pièces parisien mais au lieu de ta concierge, une vahiné, un  air de ukulélé, un collier de fleurs de tiaré .

Grisée, émerveillée, intriguée, je pose mon pied sur l’atoll comme Armstrong sur la lune. Ca ne bouge pas, ça tient ! Dans le lagon, des milliers de Némo font la nique à Disney.

Autant pour noyer le poisson dans mon ventre que par addiction, je décide d’aller boire un café sur la première terrasse.   

Autour de moi, tout n’est que  beauté, calme et volupté.

Le luxe est plus discret, niché  sans doute dans quelque hôtel surfait…

C’est de ce café où je griffonne que sans prévenir mon corps frissonne. Submergée par un bien-être étranger, je réalise que je viens de faire une rencontre qui n’a que trop tardé.

Ici, je me suis trouvée. Enfin.

Nadine

C’est curieux, ce besoin de noter les choses, comme si elles n’existaient pas avant d’être consignées.
Ce midi, je monte sur le pont et laisse mon œil divaguer à cent quatre-vingt degrés, écarquillant au maximum mon champ de vision. L’océan change à chaque instant dans la blancheur zénithale d’un ciel d’une pureté plus que parfaite. Comment pourrais-je coucher sur mon carnet les mille variations des vagues qui se construisent et se détruisent dans un mobile perpétuel. De mon promontoire flottant, l’idée de ne jamais baigner deux fois dans la même eau m’obsède, l’océan me possède car je ne peux le circonscrire. Comment traduire en mots ses bouleversements subtils, ses inconstances permanentes, le vaste flot sans cesse se réinvente, flux et reflux, et devant son spectacle ma raison divague. Il résiste à ma volonté de le décrire, n’en finit pas de se dérober. L’étuve tropicale qui m’enveloppe est à peine adoucie par les alizés obstinés qui président au concert des claquements de haubans, des ululements de drisses , des sifflements de grelins. Le navire agit comme un élément perturbateur, un îlot de résistance qui objecte sa matérialité à cet environnement aéraquatique.

Dans ce désert hypermarin, je la guette, crois l’apercevoir par moment, mais ce n’est qu’une mirage, la terre promise ne se laisse pas conter encore, rebelle à croquer.

Patrick

À  la librairie café Le Fil Rouge, à Cronembourg.

Premier atelier en mars 2020

Texte 1 :

Titre : L’intime contre l’oublie

Un carnet pour faire naître ses idées…

Puis les retrouver…

Dans mon carnet

Les rencontrer, à nouveau,

dans le fond de mon sac, grâce à une page cornée

Un carnet pour se relier, renaître

Un carnet pour s’incarner.

Texte 2 :

En souvenir d’un second voyage à Bali

Titre :Au Café des Trois Singes

Enfin me voilà posée à la terrasse du Café des Trois Singes. Depuis notre dernier séjour il est devenu très fréquenté et perd un peu de sa saveur authentique. La table sur laquelle le j’écris est sale, jonchée de gouttelettes d’eau, et ça me fait mal de devoir poser mon carnet tout neuf dessus ! Je commence pourtant à m’habituer à la moiteur de l’île, et au Ginger Café ! Un délice qui me ramène le souvenir de ton rire, lorsque tu étais à la table voisine, il y a déjà six ans. À l’époque nous nous amusions des pousse-pousse passant dans la rue pour rejoindre la place du marché. Il y a aujourd’hui quelques jeunes couples. L’un d’entre eux est penché sur Le Guide du Routard. L’autre tire sur une cigarette électronique. Le troisième fait défiler les images de son smartphone. À vrai dire je me demande un peu ce que je fais là. Si nos souvenirs ont réellement une existence ? Ce qui m’a poussée à parcourir tous ces kilomètres pour revenir ici ? Est-ce pour mieux me faire croire à un avenir ? Est-ce dans l’espoir de rencontrer quelqu’un ? Ou est-ce pour me perdre dans le dédale de ces rues, renfermant plus de solitude que de mystère.

Milieu du séjour…

C’est une sensation très étrange pour quelqu’un de mon genre, d’écrire un carnet de voyage…

Je voudrais te raconter ma rencontre avec cet homme surprenant ! Nous étions le dernier jour du voyage et je continuais à venir, quasiment à la même heure, à la terrasse du Café des Trois Singes, tel un rituel. Après trois mois passé ici, je dois dire que je ne remarquais plus les choses autour de moi de la même manière. Il s’était passées tellement de choses depuis ce voyage, depuis mon arrivée. L’homme est venu me donner un objet. Sans dire un mot il l’a posé sur ma table. Comme j’étais en train d’écrire je n’ai aperçu que sa main. Longue et fine me suis-je dit. L’objet était petit, rond, et peint de couleur vives. Je ne sais pas ce que c’était. Je le regardais d’abord avant de le prendre entre les mains, tout en cherchant du regard où était passé celui qui me l’avait déposé. Interloquée je finis par demander au serveur du café qui était cet homme.

– Vous ne l’avez jamais vu ici ? C’est l’homme de la chance. Quand il fait cela c’est qu’une nouvelle voie s’ouvre à vous. Il ne parle jamais. On n’a jamais su si c’était parce qu’il est sourd. Toutes sortes d’histoires sont racontées à son sujet, mais une chose est sûre si vous avez cet objet, c’est que la chance s’ouvre dans votre vie, demain.

Régine

Mon Olivia,

J’ai pris mes billets, déjà. Le départ n’est prévu que dans six semaines, mais la hâte et l’euphorie m’on prisent. Je ne pouvais plus attendre.

Je vais prendre le Bus. Il roulera dix heures mais au moins, il est direct. Pas de changement comme avec le train. Mes deux valises sont bien trop lourdes, je ne pourrais pas les tirer seule. Et dans la cohue d’une gare bondée, encore moins.

On va m’accompagner à la station du départ du bus et quelqu’un viendra aussi m’aider à l’arriver. J’ai déjà tout prévu. J’aurai voulu que ce soit toi.

Je vais voyager seule, mais c’est le cœur léger que je pars. C’est un voyage avec moi-même et vers moi-même, tu le sais bien. Si seulement tu avais pu être là. J’aurais voulu pouvoir partager ça avec toi.

Je suis sereine et c’est l’effervescence en moi. Je sens que ce voyage sera la plus belle des retrouvailles.

Tu te souviens quand on y avait été toutes les deux, cette innocence, cette légèreté ?

Quelle liberté.

Assises dans la douceur de mai, dans un parc vert pelouse, et ces éclats de rires ? Le doux soleil qui réchauffait nos corps. C’était beau. C’est ce que je pars retrouver.

Je t’écrirais chaque jour. Comme ça tu seras avec moi.

Peut-être qu’un jour tu me rejoindras là. Je t’y attendrai.

Mes Amours,

Ta Céleste

Berlin, le 6 avril 2020

C’est curieux, ce besoin de noter les choses, comme si elles n’existaient pas avant d’être consignés.

Je suis arrivée Samedi. Il y a maintenant deux jours que je suis là, et j’ai encore du mal à le réaliser. C’est comme si j’avais toujours été là. Comme si je n’avais jamais quitté la ville, ou plutôt comme si elle ne m’avait jamais quitté. Je crois que c’est ça. Je me sens bien ici. Je me sens entière. Je me sens moi.

J’écris de la terrasse de notre petit café préféré. Celui où on avait été la première fois, un jour glacé d’hiver. Happées par le froid tranchant de février qui prend au corps, on s’y était réfugiées. Le ciel était bleu, la lumière claire, la température glaciale. Mes pieds gelés me faisaient mal, et la douce chaleur du poêle nous avait enlacée de sa chaleur.

Un bon et beau souvenir. La table contre la fenêtre était libre. La meilleure place. On se sentait comme des habituées privilégiées. De là, on pouvait apercevoir l’eau figée du canal dans laquelle se reflétait l’éclat de l’hiver.

Dans la salle, le poêle à bois réchauffait la pièce et embaumait l’atmosphère de cette agréable odeur de bois coupé qui se consume. C’était comme dans un rêve. Je me souviens presque m’être senti flotter au son des crépitements.

Je me rappelle aussi que sur la table, trônait une tulipe, dans un petit vase translucide. Elle était rouge, comme ton pull, et nos joues rosies par le froid.

Aujourd’hui c’est le printemps. Pas de tulipe sur la table. Je me suis assise dehors sur la terrasse couverte du café flottant fait de planches. Il fait beau. Comme la dernière fois. Mais le soleil réchauffe et ses rayons viennent se cogner sur la surface de l’eau. Ils semblent ensuite entrer par effraction dans ma cabane de bois, créant des ondes de lumières mouvantes sur les pans de la terrasse, me catapultant ainsi dans un éclatant monde sous-marin. J’ai l’impression d’être sous l’eau. C’est magnifique. Je pourrais rester là des heures à contempler ce spectacle ondoyant. Ma tasse de thé est encore bouillante et il en sort une vapeur ondulante, qui danse et se pavane vers le ciel. Cet endroit me fait penser à toi, c’est tout comme si tu étais là.

Berlin, le 2 juin 2020

C’est une sensation très étrange, pour quelqu’un dans mon genre, d’écrire un journal. Je n’ai pas l’habitude, mais je vais faire un effort. Je le ferais pour toi, pour moi. Je ne veux pas oublier. Cela fait maintenant plusieurs semaines que je suis là, et je n’avais prévu de point de chute que pour la première quinzaine. Une chambre plutôt correcte dans une auberge de jeunesse plutôt bruyante dans le centre névralgique de la ville, le quartier animé de Kreuzberg. J’ai peu dormi, mais même dans un endroit plus calme, je n’aurais pu résister à l’excitation qui m’en aurait, de toute façon, empêché.

Je voulais tout faire, tout voir, ne rien manquer. Comme pour rattraper le temps de mon absence. Une boulimie de ville. Elle bouillonne, elle bourdonne, elle frémit, elle gronde et résonne. La vie revient, en elle, en moi, à l’unisson. C’est comme si le monde entier était là, dans ses rues, dans ses parcs, sur ses trottoirs. C’est incroyable à voir. Les vélos filent à toute vitesse dans les allées. Les passants fourmillent sur le pavé. Les groupes, petits et grands, grouillent sur le gazon.

Tout le monde est de sortie. Les appartements au fenêtres ouvertes restent déserts. Les gens profitent. Et moi aussi. Je me laisse prendre au jeu de l’euphorie collective et vagabonde au hasard des rues de cette ville aux milles regards. Je croise toute sorte de gens. J’ai l’impression qu’ici, on peut être tout ce que l’on veut. Ça me plait.

Un jour de déambulation, je me suis perdu.  C’est le risque quand on erre les yeux fermés.

La nuit commençait doucement à tomber et une subite envie de rentrer m’a sortie de cette avide hypnose. Mon corps était épuisé, et je m’en rendais brusquement compte. J’avais beaucoup marché ce jour-là, plus que d’habitude, et mes jambes se faisaient sentir. Elles portaient l’effort et la fatigue de plusieurs jours d’errance aveugle. J’ai dû demander mon chemin. Je me rends compte maintenant, que ce fut mon tout premier contact humain depuis dès jours. J’étais restée à l’écart du monde jusque-là. Comme si j’avais reculé d’un pas, en simple observatrice. Comme si je pouvais voir sans être vu.  Comme si je pouvais vivre sans exister.

Mon interlocuteur était un homme, assis sur un banc à une table devant un Späti, petit magasin de quartier comme il y en a tant à Berlin. C’est comme s’il savait que j’allais lui parler. Son regard bienveillant et inquisiteur attendait ma question. Un petit sourire s’esquissa sur son visage. Il a désigné le banc de l’autre côté de la table et m’a indiqué de m’assoir. Je n’ai pas rechigné. Je me suis assise, à bout de force, en face de lui. Il s’est levé et s’est engouffré dans la boutique pour y disparaitre quelques instants. Il en est ressorti, une bouteille en verre à la main, remplis d’un liquide à la couleur du soir. Il me l’a tendu. Puis, c’est là qu’il m’a questionné. Sur ce que je faisais là, d’où je venais, ce que je cherchais. Je lui ai dit : « mon chemin ». Je lui ai parlé de moi, et puis il a commencé à raconter. Il connaissait bien le quartier, habitait la depuis trente ans. Il m’a dit sa vie et à travers ses paroles, j’ai découvert la ville sous un tout autre jour, dans une tout autre lumière. Je l’ai écouté. Avide de ses mots qui me rapprochaient, je le sentais, d’une plus grande vérité, que je n’avais pas encore pu véritablement identifier. Ce soir-là, j’ai pu la toucher du bout des doigts pour la toute première fois.

Céleste

Mon cher Ted,

Je suis désolée de voir que ta vie professionnelle soit aussi chronophage et t’empêche de m’accompagner dans ce voyage en Crête.

Comme discuté hier au téléphone et tous les autres jours où nous préparions ce voyage ensemble à distance l’un de l’autre, je ne manquerai pas de réaliser ce projet en osmose avec toi, dans le cœur.

Première étape : petit village à Souri, chez notre amie Eva. Il est prévu qu’elle me fasse goûter à tous les parfums irrésistibles de cette terre riche et haute en couleurs. Son intention est d’aller à Georgiopolis, naviguer au creux de cette mer sur le thème du repos, bien mérité d’une année très terrible aussi pour moi sur tous les plans comme tu sais… Bref, sourire en retour à ces crétois accueillants comme notre guide Eva…

Deuxième étape : faire le plein de saveurs gourmandes en gravissant toutes ces montagnes vertigineuses pour atteindre la côte sud où nous prendrons tout le reste des embruns, attachées au rêve que tu y as mis, dans tout ce voyage.

Et puis des surprises ! En effet, Eva m’assure de belles surprises qui restent un peu mystérieuses pour moi, d’ailleurs, comme toutes ces personnes mythiques de l’île…

Je te ferai découvrir tout cela à mon retour.

Je t’embrasse très fort.

Allia

C’est curieux, ce besoin de voler les choses, comme si elles n’existaient pas avant d’être consignées.

Coucou Ted,

Arrivée le 15 juin à Héraklion. L’aéroport avec une agitation terrible, le début de la grève, les manifestants, les feux dans la rue, un vrai brasier, l’annonce d’une crise économique !

Après multiples démarches pour chercher une voiture de location, je m’extrais de cette ville en travaux, aux abords compliqués, dans un dédale de rues, cherchant la voie principale. Celle de la route, cette mini autoroute qui est le passage obligatoire pour rejoindre le village de Souri, chez Eva, chez qui nous sommes attendus, enfin, juste moi maintenant.

Ouf, m’y voilà. Je longe la mer d’Ouest en Est, plus de 2h de route. Je me sens déjà déconnectée, dans les nuages, sur cette route accidentée, certes, mais si belle par ailleurs, car préservée des constructions massives, et surtout loin de toute information parasite, loin de toute l’énergie vaine et gaspillée par mes préoccupations quotidiennes, à Paris.

Je m’arrête prendre un jus de fruits pressé au bord de la route, pour 3 fois rien, une dame me servant généreusement me parle en grec, effectivement comme si son petit boulot n’était pas une servitude, mais une chose tout à fait banale dans un pays laissé pour le moins à l’abandon… Je me sens débordée par tout plein de sensations de picotements dans le corps, des picotements agréables, en projection dans mes rêves les plus fous, ceux de vivre une expérience incroyable et intense. Je ne suis pas encore dans le présent, juste comme un enfant impatient, mais je vis quelque part dans un moment unique de bonheur à l’idée de retrouver notre amie rencontrée il y a si longtemps de ça, à la fac ensemble, avec toi, Ted. A l’idée de parcourir l’île, cette île paradisiaque, authentique.

Pendant mon trajet, mon regard reste tout de même concentré sur la route, la fatigue dans les chaussettes, en fin dans mes tongs maintenant, d’être partie à 4h du mat de chez moi. La route est très escarpée, j’entrevois par moments la côte sinueuse, à la roche de millions d’années d’histoire et comme les nuages, j’aperçois parfois des visages, des formes façonnés dans cette roche qui me surprennent et m’emportent dans mon propre imaginaire. En contrebas, parfois, je glisse mon regard vers l’azur, le délice des embruns projetés vers ces roches. Mais mes yeux n’éprouvent aucun vertige. Je suis simplement bien. J’oublie même la fatigue et me voilà transportée dans un rêve éveillé.

C’est drôle, parce qu’arrivant, presqu’à destination, à Georgiopolis, un village de pêche, j’ai une montée d’adrénaline, le cœur qui bat la chamade. Tout d’abord cet endroit est de toute beauté. Et, je me sais toute proche du village de Souri, à 5 km, tout en hauteur, dans les montagnes. Je ne parle pas le grec mais Eva m’a donné beaucoup d’indications, j’ai ma map papier qu’elle m’a concoctée. Et de ce fait je ne me perds pas vraiment mais cette fois-ci j’ai un sentiment de vertige, je sais que j’arrive, que je vais arriver. Que ce moment précis sera le départ d’une expérience, je sens le moment où je quitte le passé et le futur pour n’être plus qu’ici, avec elle, et juste comme nous l’avions imaginé avec toi, Ted, à notre image… La découverte de la richesse de cette île crétoise, à travers elle,…que j’aperçois, maintenant. Notre Eva… Incredible mais vrai !

Tendres bises

Allia

C’est une sensation très étrange, pour quelqu’un dans mon genre, d’écrire un journal (ou un carnet de voyage)

Mon cher Ted,

Un peu le mal de la montagne, enivrée par  ailleurs par ce relief sauvage et hostile, nous faisons une halte entre Souri et la côte sud de la Crête, guidée en voiture par Eva, à qui rien n’est un souci, comme tu sais, positive et amoureuse de son île.

Ce petit village attire mon attention. Si reculé, au milieu de nulle part. Calme, presque trop calme, avec l’écho, l’écho de la montagne pour seul bruit avoisinant. Au hasard des ruelles ensoleillées, torrides, je m’arrête avec Eva, sur la place du village, cherchant un petit coin d’ombre. Ce petit village, où résonne dans mes yeux, la magnificence. Nous nous abreuvons de toutes ces fontaines alignées avec des sculptures de monstres marins et de dieux humains. Comme une providence, mais attention, nous ne sommes ni Dieux ni Hommes ou Femmes, nous sommes alors détachés de toute religion, au contraire, car nous nous enveloppons dans cette splendeur, ces héros et la nature autour. Détachées, mais encrées dans la terre, en symbiose, sans qu’elle nous appartienne, respectant alors ses racines, ses oliviers, ses ibiscus dans les jardins. Nous sommes tellement bien que nous restons silencieuses, longtemps, mais si peu dans ce temps suspendu sans heures, ni minutes, ni secondes. Puis, presqu’aveuglée, je ressens alors mon corps, mes membres, mes organes, et j’ai mal nulle part. Pourtant, comme tournant les yeux à 360°C, j’ai la sensation de m’approcher de senteurs émanant de mon immobilisme et de mon bien être. Je me retourne progressivement vers mon état réel. Et là, je vois cet homme, dans une discrétion telle que j’avais oublié qu’il existait l’humanité autour de moi ! Cet homme, éclairé par le soleil brulant. Extrêmement vieux, ridé, simple dans ses vêtements noirs, un homme m’apparaissant presque comme un homme d’antan, de siècles en arrière, un homme ayant vécu toutes les affres de la vie. J’en perds ma contenance. Je le regarde très intensément. Je ne le dévisage pas mais mon regard reste scotché sur lui. Je me rends compte alors que les senteurs, que je pensais être un trouble de mes sens surdéveloppés dans ce moment immobile, sont bien réelles. Il est debout, avec des branches de thym et de romarin dans ses mains, assez loin. Mon regard, malgré l’éblouissement du soleil, ne croise pas de leurre dans ses yeux, bleu azur de la mer du Sud. A ses pieds, un écriteau que je ne visualise pas. Je ne réalise pas vraiment ce pourquoi il est là. J’ai peur de m‘approcher. Bizarrement, de peur de le trahir, de l’importuner. J’attends un grand moment, je pense que, parmi toutes les photos de l’île que j’ai prises, aussi belles soient-elles, rien n’égalerait ce cliché de lui-même pris  à la volée. Mais je réfléchis. Cela est tellement stupide. Après coup, des années à près, je me dis, je vais garder sa photo dans ma tête, mon cerveau, inscrite surtout, non pas avec précision, avec des détails photographiques, mais je la garderai dans une partie de mon cœur, une partie de lui, une expérience de vie et j’en serai bouleversée, encore, quand je penserai à lui. J’aime la vie plus que tout, c’est ce qu’il me transmet alors dans mon ressenti, au plus profond de moi-même. Puis, je m’approche à quelque mètres de lui, je lui souris ; il me sourit. Et j’en viens à voir l’écriteau devant ses chaussures toutes bosselées car jusqu’alors, de façon étrange, je n’osais pas ou je trouvais presque déplacé de le regarder de la tête aux pieds. Une pancarte, avec le prix dérisoire, évidemment de ces branches ramassées dans la montagne, aride et respirant les bonnes odeurs de la terre brulée, ces aromates comme le parfum délicieux de ces femmes et de ces hommes, jamais dans le désespoir, riches d’eux-mêmes dans leur pauvreté, à même de leurs pieds. Je lui achète des brins de thym au prix annoncé. Je n’ai pas pitié. J’ai beaucoup d’affection pour lui, de l’amour et l’envie d’aimer. Eva m’appelle par un signe de la main, je la rejoins, nous avons de la route devant nous et  d’autres belles surprises nous étant encore réservées, si tu savais, Ted… Et je pense que je ne t’ai pas volé les mots. Je viendrai, ne t’inquiète pas, à mon retour, te conter encore d’autres histoires partagées avec Eva.

Affectueusement,

Allia

                                                                               Strasbourg,  01/10/2020

Bonjour Mathilde,

Ça fait 4 ans que nous envisageons ce voyage en Algérie. Ce pays que tu connais de ton enfance et dont tu m‘as parlé dès que mon intérêt pour lui est né à la rencontre de Miriam. Je vais lui rendre visite, malheuresement tu ne peux pas m‘accompagner.

Comme j‘aurais voulu partager avec toi ce voyage, le temps dans l‘avion, pour arriver à Alger. Tu viens de me raconter ton dernier vol, ton départ de là à l‘âge de 9 ans, avec cette mélodie dans ta tête, ce perce-oreille de Joe Dassin, ce ba-ba-ba-… de l‘été indien… Ta mélancolie d‘un adieu à jamais. Et comment aurais-tu vécu ce retour inespéré?

D‘ici peu de temps, j‘arriverai seule à Alger, ce qui m‘excite et me fait peur à la fois.

Cette conglomération, la foule, autant de gens, de voitures, de sons, d‘odeurs. La langue arabe, ces lettres étranges sur les panneaux.

En même temps j’imagine cette atmosphère vivante, le blanc des maison près de la mer, l’ocre de la Cassbah, les couleurs des tissus au marché…

Autant de fantasmes…

De la réalité, je vais rédiger un carnet de voyage pour toi. Tu le lireras peut-être chez toi avec ton petit-enfant dans tes bras.

Je vous souhaite « bon voyage » à toi et à ta fille, comme l‘accouchement sera aussi un voyage vers l’inconnu… 

         On se tient au courant,

                                                             Bisous, Marianne

Sabine

22/02/20

atelier d’écriture à Cronenbourg

C‘est curieux, ce besoin de noter les choses, comme si elles n’existaient pas avant d’être consignées…

… car là, je vois une scène qui me rappelle l’avant-dernière siècle.

Cette relation homme-femme qui est pour moi, l’Européenne, l’Allemande de l’Est, plus qu’étrange.

On est invité chez la famille d’un oncle à Miriam. Je l’avais déjà vu en Alsace au mariage de sa fille. Lui, étant le « Roi » à la table familiale. Mais aujourd’hui, chez lui, dans sa propre maison, c’est encore pire.

Nous sommes assis autour de la table qui faillit de craquer sous le poids des plats d’une richesse inimaginable – surtout en sucre et gras, oh ma ligne…

Sa femme, muette à ses coté, offre des sourires timides aux convives. Elle l’écoute, voilée.

Mais le voile ne peut pas cacher ses yeux. Intelligentes, vives, curieuses, plein de compréhension. De temps en temps nos regards se croisent.

C’est ma curiosité qui s’éveille. J’aimerais bien faire la connaissance de cette femme, de cette personnalité. Sa position me semble être insupportable. Je me rends compte de mon ignorance sur son monde, sur sa culture.

Il est haut temps de quitter la table commune et de rejoindre les femmes dans la cuisine – dans le monde entier le lieu d’échange entre femmes…

Sabine

22/02/20

atelier d’écriture à Cronenbourg

Lettre d’Adieu

Bonjour Mahfoud,

C’est Fatima qui t’écris…

Ma décision est prise. Tu es heureux en Algérie mais moi en tant que femme, je suis en prison, la prison de la pauvreté. Je sais que tes parents et les miens ont déjà tout préparé pour notre mariage.

Mais j’en ai décidé autrement… Je pars ! Pour la France : Cronenbourg, en Alsace… Un charment petit village proche de Strasbourg, capitale européenne. Il y aura là-bas des brasseries pour boire une bonne bière, les cigarettes seront en vente libre, je pourrai avoir un compte bancaire, un travail et de l’argent bien à moi. Et surtout je trouverai l’amour !

Mon pauvre Mahfoud… Je ne t’aime pas ! Je ne t’ai jamais aimé et je ne t’aimerai jamais. Pour moi, tu es surtout un ami.

Je pars pour trouver l’Amour ! Le Grand , le Beau, l’Éternel…

Je regrette que tu ne veuilles pas m’accompagner. Nous aurions pu vivre heureux là-bas peut-être, chacun avec son épouse et son époux.

Adieu Mahfoud…

Fatima le 11 septembre 2020,

C’est curieux ce besoin de noter les choses comme si elles n’existaient pas avant d’être consigner…

Pourtant, je ne voulais plus t’écrire, Mafhoud, suite à mon départ d’Algérie mais je ressens malgré tout un fort besoin de t’adresser une lettre pour te raconter ce que je vis d’étrange dans ce grand pays de France, mère de notre Patrie…

D’abord je te dirai que je suis bien arrivée à la gare de Strasbourg avec le bus navette de l’aéroport de Strasbourg. Il y avait là-bas pleins de bus, de trains, de taxis, de cyclistes, de trottinettes et bien sûr un flux incessant de voitures en tout genre…

Mon français scolaire ne me permettait pas vraiment d’échanger avec les français : ils ont tous un drôle d’accent là-bas… et ils parlent entre eux avec un étrange langage incompréhensible comme chez nous les Kabyles…

J’ai pris le premier bus indiquant Cronenbourg.

Oh! Stupeur… Quand je suis suis arrivée ce n’était pas du tout le charmant petit village avec des maisons en bois tel que je l’ai vu dans les prospectus. Non pas du tout !

Je suis arrivée dans une énorme cité de buildings en béton hideux. Figure-toi, il n’y avait presque que des arabes… Algériens, Marocains, Turcs, réfugiés Syriens, enfin on ce serait cru dans une ville pire qu’Alger ! Il n’y avait presque que des hommes dans les rues. Les femmes portaient le tchador et avaient l’obligation de porter le voile…

J’ai tout de suite été abordée par des jeunes en haillons qui m’ont fait des propositions indécentes. J’étais horrifiée !

Finalement, voyant que j’étais totalement perdue, un groupe de jeunes, tous drogués, qui traînait dans une cage d’escalier m’ont attrapée pour me pousser de force dans une cave sale, humide et en désordre.

Je ne sais pas trop ce qu’ils voulaient faire de moi mais ils ont commencé à m’arracher mes vêtements… J’ai eu horriblement peur.

Heureusement, un homme Algérien d’une quarantaine d’années est intervenu. Il les a chassés à grands coups de bâtons…

Ça a été mon sauveur…

Fatima 11 Février 2021,

Bonjour Mahfoud,

Je reprends ma plume car c’est une sensation très étrange pour quelqu’un dans mon genre d’écrire un journal de voyage…

Mais Mahfoud, mon rêve s’est enfin réalisé ! Cela fait six mois que je suis en France. L’administration française m’a logée dans un foyer pour jeunes femmes étrangères et pauvres. J’y suis très bien. Je me suis fait des amies.

Je travaille comme femme de ménage chez des docteurs.

Chez l’un d’eux, un français venu d’un petit village, j’ai fait la connaissance de son fils.

Ça a tout de suite été le coup de foudre pour moi…

Il a mon âge, 19 ans et il fait une école de commerce et apprend la langue arabe.

Je suis d’abord devenue un peu son institutrice bien malgré moi. Et en lui, me semble-t-il, est né aussi un sentiment amoureux.

Il est beau, jeune, musclé, il a des yeux bleu-océan ; il est grand, instruit et enthousiaste. Il adore voyager et a déjà fait deux séjours à Alger ; il connaît bien la condition des femmes là-bas et ici dans les « quartiers ». Il est devenu mon protecteur, mon mentor et mon fiancé.

Ses parents ne sont pas opposés à notre union. Ils sont très libérales et laisse leur fils libre de ses choix. Et je crois bien qu’il m’a choisi moi…

Je suis si heureuse Mahfoud !

Je suis libre d’aimer ! Enfin…

Croenbourg…

C’est aussi ça !

Note de l’auteur

Je n’utilise jamais de carnets. Je ne suis pas digit native, j’ai 55 ans mais j’ai fait mien cette culture.

J’écris sur l’application « Memo » de mon smartphone puis je sauvegarde sur disque dur, sur clé usb et sur le cloud. (Peur terrible de perdre des textes)

J’ai écrit une trilogie de 150 pages entièrement sur mon smartphone comme Anna Todd.

Pour moi, le carnet représente une source de pollution du XXème siècle !

Ecrire à un(e) ami(e) qui ne peut m’accompagner

Mon tendre,

voilà je pars dans cette ville que nous avions imaginé visiter ensemble il y a déjà tant d’années.

Partir sans toi qui est retenu ici pour te soigner, quelle tristesse …

Je propose donc de te raconter au jour le jour cette aventure que tu partageras ainsi avec moi par la pensée et en imagination à mes côtés.


Demain : avion.

L’excitation et l’anxiété du départ mêlés : n’ai-je rien oublié ? Vais-je y arriver seule ? Ai-je d’ailleurs envie de partir seule ?

Mais maintenant c’est décidé alors il faut y aller.

Tu me manques déjà.
Le bonheur de partir et s’en aller mais aussi voyager avec la tristesse de ton absence.

Cette intensité se décline souvent ainsi, comme le disait Amigorena découvert et entendu récemment sur les ondes, volupté et désespoir que je confie à notre belle intimité,

je t’embrasse,

Angie

Orme, le 21 février 1943

Eh bien voilà j’y suis.

Si tu voyais cette merveille de ville…

“C’est curieux ce besoin de noter les choses, comme si elles n’existaient pas avant d’être consignées.” (Doris Lessing les carnets de Jane Somers.)

A commencer par la placette antique où se trouve mon gîte.

Une statue en pierre entourée d’une fontaine à goulottes sculptées qui laissent couler un délicat filet d’eau claire s’y dresse solennellement.

Des immeubles plus ou moins alignés, avec leurs fenêtres à meneaux et balustrades métalliques dentelées, sortes d’hôtels particuliers qui pourraient dater de la Renaissance , encadrent la place comme un décor de théâtre.

Nous nous promenons par la pensée dans ce lieu que nous avons rêvé découvrir ensemble car pour moi tu te tiens là, blotti dans ma poche,

je t’embrasse,

Angie

J’ai fait une rencontre qui me déstabilise, que je n’aurais pas faite en temps normal

“C’est un sensation très étrange, pour quelqu’un de mon genre, d’écrire un journal (ou un carnet de voyage.)” Le journal d’Anne Franck

A présent j’erre dans cette ville immense…

Et voilà que cet enfant aux pieds nus dans son pantalon déchiré, avec un sourire lumineux m’entraine d’un pas décidé dans un dédale dont il me fait découvrir la face cachée.

Il me présente à ses copains qui tentent comme lui de me vendre une poterie pour touriste ou un bibelot fabriqué de bric et de broc.

Cette pauvreté inconcevable de celui dont l’objectif du jour est de trouver à se nourrir, pitance qu’il  partagera peut-être avec les siens si elle le permet.
Il me semble que jamais je n’oublierai cette misère dans laquelle ce voyage m’a plongée : vais-je continuer à vivre ma vie finalement si confortable après avoir découvert ces bidonvilles désespérants et désespérés ?

Angie

Transformation

« Parcourir un espace, c’est toujours raconter une histoire. » C. Minard

Au programme :

Une aventure d’écriture entre deux lieux :

  • Visite guidée d’une librairie associative en chantier Le fil rouge. Récolte sur place de mots, d’impressions, d’observations, d’histoires en vrac…
  • Suivie d’un atelier de jeux d’écriture créative dans la partie atelier d’une épicerie zéro déchet Beevrac, pour transformer cette collecte d’instantanées saisies sur le vif en récits, poèmes ou histoires courtes

Cadre :

Certains quartiers dans nos villes se transforment peu à peu : des logements et commercent éco-responsables voient le jour, des manufactures ou ateliers d’artisan se transforment peu à peu en nouveau lieu de partage et d’échange… Le thème de ce premier atelier d’écriture pour le quartier du vieux Cronenbourg est tout trouvé.

Définition

Action de transformer

Opération par laquelle on transforme – Conversion

La transformation des matières premières

Faire des transformations dans une maison (amélioration, aménagement, modification, rénovation)

2) Le fait de transformer : modification qui en résulte (changement, métaphore – développement différenciation)

Transformation chimique : modification de la composition d’un corps, d’un mélange dans une réaction.

3) Modification du patrimoine génétique d’une cellule par introduction d’une information génétique étrangère.

Transformable

Transformateur

Transformationnel

Transformer

Transformisme

Transformiste

EN CHANTIER

DEVANT UN MUR….

AU SOL                                      la dalle

                                                            Béton

Seaux noirs empilées, 10, 6…

DEDANS                                              outils, marteaux, burins

                                             Balayettes

Sacs                                           bleus, blancs

DEVANT 

Le mur

                           Délabré, griffé, empreinte

Traces       

                    Colles, plâtre, tapisserie

FACE A MOI deux yeux me fixent…

                                        Fin de canalisations

Picasso

Nouveaux réalistes

Art brut

Un visage

    Étonné

    Triste

    Interrogatif

A COTE         Tuyaux gris du sol au plafond            

Fils

HAUT BAS

AVANT APRES

 Marie-Odile

Ça ne tenait plus qu’à un fil.

Depuis longtemps il était sur le fil du rasoir . Les banquiers lui avaient mis le fil à la patte, les huissiers lui donnaient du fil à retordre.

Il avait envie de filer à l’anglaise mais c’était sans compter le fil qui le reliait à son quartier.

Il ne dormait plus. Il était difficile de suivre le fil de ses pensées . Il n’y avait aucun fil conducteur. C’était décousu, et s’il avait dû le dérouler, on se serait dit, « c’est idiot, c’est bête, il a pas du inventer le fil à couper le beurre celui là ».

Mais, de fil en aiguille, la bobine se dévidant, les idées étaient venues.Un fil rouge était apparu en voyant cette bobine abandonnée.

Des lettres s’étaient formées dans le fil de ses pensées ; puis des cascades de mots, formant peu à peu des phrases, qui avaient pris place sur des pages , qui s’étaient logées dans des livres.

Les livres s’étaient entassés sur des rayonnages et un beau matin, ce fil qui lui avait donné tant de fil à retordre était devenu un fil d’Ariane, allant de la couture à l ‘écriture puis à la lecture.

Une librairie était née.

Françoise

Ne pas perdre le fil de sa pensée…

               J’arrive devant l’échoppe —3— marches …

Du fil à retordre

Je suis en fauteuil roulant comment faire pour entrer

Ne pas me défiler                                désir de découvrir

La curiosité mon fil conducteur, me fait persévérer.

Du fil en aiguille, on m’aide à entrer …et là

               DECOUVERTE

Lieu en chantier, matières, posées au sol, planche, isolation, échelle

Le visuel                   le plafond se défait, il tient à un fil

Le chantier                     beauté du lieu, empreintes

                 Traces du passé

En imagination                  les étagères, le café, les livres

               LE FIL CONDUCTEUR

Le livre, créer du lien…

Et maintenant sortir, ne pas filer à l’anglaise, PARLER, DIFFUSER

Quartier

École

Marie-Odile

Anémone, perdue dans le fil de ses pensées, passe la porte de la librairie-café. Elle lève les yeux vers les rayonnages et rencontre un livre intitulé « L’inventeur du fil à couper le beurre ». Intriguée, elle s’en empare, le feuillette, et de fil en aiguille, se retrouve assise au sol à en dévorer chaque mot, chaque page. Elle se fond presque dans le décor, le fil du temps semble se défaire, se déliter, se tordre, s’emmêler… Est-elle assise ici depuis dix minutes, une heure ou trois heures ? Impossible de savoir.
Il y a des livres comme ça, qui nous font lâcher le fil d’or qui nous relie à la réalité et au temps du monde. Un fil qu’on lâche, un autre qu’on attrape : celui qui nous lie à notre temporalité personnelle, secrète, unique…

Cindy

Atelier d’écriture, la consigne de l’exercice : Libre – air – riz / vibre et rit : la tambouille des mots ou à chacun sa cuisine ! (clin d’œil à Sabine)

Poussée par mon amour, mon goût des livres. Je suis là devant les portes, impatiente, de commencer mon exploration, de partir à la découverte. Je rentre dans l’espace de la librairie et déjà je suis transportée, par l’odeur si particulière qui se dégage des ouvrages, ce mélange de papier et d’encre, qui tout de suite me met en appétit… C’est avec gourmandise que je m’interroge : quelle sera la saveur de ma prochaine lecture ? Seraient-ce les notes plutôt traditionnelles d’une littérature classique ou celles capiteuses et profondes d’une prose qui porte à la réflexion ? Ou alors, mon choix se portera-t-il sur la légèreté et le côté sucré d’ouvrages divertissants et joyeux ? Peut-être me laisserais-je tenter par les 1000 senteurs du dépaysement et du voyage ? Je déambule dans les allées, au milieu des rayonnages, qui font un espace feutré, chaleureux et accueillant. Cet intervalle, si particulier, qu’il réussit tout à la fois et étrangement, à mêler le sentiment d’une totale sécurité, avec le fait que tout peut arriver. Je me laisse porter, je papillonne, ici interpeller par un titre, une couverture, là par un résumé alléchant, ou encore par un commentaire comme une mise en intrigue qui me pousse à lire quelques passages, comme on goûte un met, une sauce avant de les servir. Et soudain c’est la rencontre, le moment magique, ça y est, il est là entre mes mains fébriles, je le reconnais, c’est une évidence. La magie, en un instant s’opère, tous les ingédients sont là, présents entre ses pages ! Alors je suis embarqée, je pars en voyage, le nez plongé dans les mots qui défilent sous mes yeux et qui ont ce pouvoir extraordinaire de transformer soudainement l’espace qui m’entoure, je suis transportée dans un ailleurs. Ces mots qui disent, qui créent et me font vibrer… ces mots qui me disent, me transforment et me nourrissent. En cet instant, j’existe, je suis au monde… par ces mots, dans ces phrases, je sors de moi- même, les yeux brillants, je plonge dans ce nouveau monde qui s’offre à moi. Grace à cette passerelle je me prépare à la rencontre de l’Autre.
Laurence

D’un lieu à l’autre….

Ne pas perdre le fil

« Imaginer dans une cuisine un plat savoureux de l’enfance et en même temps parler d’un livre que nous avons aimé à un enfant »

Les ingrédients à préparer c’est déjà un voyage …

Épices, coriandre, fenouil Zaatar. L’orient à ma porte et dans mon assiette. C’est comme Isabelle Eberhard, qui animée de curiosité et d’aventure, voyage et ose se fondre dans une autre culture.

Dans mon plat aussi les saveurs se mélangent, saveurs connues, inconnues.

Subtil équilibre

Isabelle une femme qui ose la transformation, le transfuge pour vivre une expérience de l’intérieur.

Changement de posture, se cache sous des couches de tissus, turbans, vêtements.

Elle est un Autre.

Les lasagnes aussi, couches superposées, saveurs uniques, sauces qui se mélangent.

Les couleurs

Afrique du nord, chaleur, couleurs chatoyantes

          Rouge orange   jaune

Et dans mes mains à l’identique

          Rouge orange  jaune

Ce livre, un voyage des mots, incitation au voyage, ouverture d’esprit

Esprit d’aventure, découvrir, ressentir, sentir

Émotion, émerveillement, grâces de ce que je reçois dans ces moments simples

          CUISINE toucher les aliments

                           Être touchée par les mots

           MANGER

Partager un plat          échanger autour d’un plat

Échanges autour d’un livre      rêves         souvenirs

           EMPREINTES   TRACES MEMOIRE

A l’intérieur        lasagnes         couches        superpositions

A l’intérieur de moi

Nommer les choses

Voyage, frontières, passages…PASSEUR ?

Marie-Odile

A partir du livre de Isabelle Eberhard « Le voyage soufi » et les lasagnes au poisson…

Je me souviens qu’elle aime les fruits et les légumes crus. J’avais pour habitude autrefois, de les lui couper en morceaux que je disposais en forme de mandala dans une assiette. Un mandala coloré qui nourrit le besoin d’harmonie et de beauté, avant de nourrir le corps. Elle avait alors deux ans. Aujourd’hui, elle en a vingt. Elle n’est plus l’enfant que j’ai connue. Mais l’enfant de deux ans vit encore quelque part en elle, et c’est à elle que je pense en préparant aujourd’hui à nouveau une assiette de fruits. Elle va arriver à tout moment. Et tandis que je coupe délicatement une mangue, l’odeur me ramène en Asie, où j’ai voyagé il y a longtemps. C’était un voyage initiatique, comme celui que vit Goldmund dans ce livre de Herman Hesse que j’ai tant aimé lire durant mon premier voyage en solitaire. Comme Goldmund, j’ai vécu au jour le jour, me laissant porter par les rencontres, les aventures et les opportunités. »Tiens, je dois bien avoir ce livre quelque part… »Je délaisse un instant le plateau fruité et je me dirige vers ma bibliothèque, où je ne tarde pas à trouver « Narcisse et Goldmund ». Je le tiens entre mes mains et je sens à contact que lui aussi souhaiterait poursuivre son voyage. Nous avons vécu de belles aventures ensemble ; nos chemins se séparent à présent. Sa nouvelle compagne de route frappe déjà à la porte…

Cindy

Quand avait-il cuisiné pour la première fois ? Quand avait-il acheté un livre pour la première fois dans une librairie ? Il ne se le rappelait pas vraiment, ce qui le plongeait dans des abimes de réflexion. Aussi changea-t-il quelque peu le thème de l’atelier d’écriture, qui lui était proposé, plutôt que d’essayer de réécrire la madeleine de Proust. Il se souvenait pourtant des plats que ses parents lui faisaient dans son enfance. Le « porc au lait »‚ dont la recette perdue ne l’empêchait pas de sentir encore la texture grumeleuse de la sauce, de revoir la couleur jaune ambrée du plat et son inimitable gout aigre-doux. Un plat pourtant simple, mais qui lui rappelait la cuisine étroite et allongée où la famille  mangeait. Le « broyer du Poitou »‚ associé pour lui au souvenir des cures thermales que suivait son père à la Roche-Posay, le gâteau traditionnel du Poitou, servi le Dimanche dans les repas familiaux, un fin biscuit, comme un biscuit breton, mais au goût beaucoup plus crémeux sans être gras, bien loin du côté étouffant du fameux Kouing Aman breton. Cela lui fit revenir en mémoire le fameux Pellaprat de ses parents, un livre de recettes de cuisine, entre le livre de recettes utilisables et le ‚ « livre plaisir » qu’on a chez soi, mais qu’on utilise peu car réservé aux cuisiniers avertis, bien avant que la mode à la Tv en soit venue au « top chef »‚ « le chef en cuisine » et autres ‚ …

Jean-Louis

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Un poète gourmet

Où je suis né, l’art culinaire était exclusivement l’affaire des femmes. Quelle ne fut ma surprise, une fois sorti de l’adolescence et après que j’eusse emprunté les sentiers de l’exil pour étudier, de découvrir que des hommes pouvaient en faire leur métier, et que leurs étoiles brillaient au firmament de la gastronomie.

Bien sûr, l’histoire nous apprend que de tout temps, le cuisinier fut à l’honneur dans toutes les cours des souverains et des puissants, employé à flatter leurs palais de mille délices gustatifs. Il en fut ainsi de l’Egypte antique, des palais de Mésopotamie, de la Chine impériale ou de l’Inde des maharadjahs, des Médicis florentins. Plus près de nous, Vattel et ses émules ont fait la renommée des banquets royaux de France et de Navarre.

De nos jours, les grands chefs ont pignon sur rue, stars adulées des émissions de télé-réalité, promus ambassadeurs du bon goût qui a valeur d’atout touristique pour tout pays qui s’en honore. Mais il n’y a pas que les grands chefs qui comptent des virtuoses de la sauce dans leurs rangs.

Il me souvient d’un ami qui, mieux que personne, alliait l’art du mariage des épices et le maniement des mots à travers ses poésies, ses nouvelles et romans, pour vous transporter dans un monde ou tout critique littéraire ou gastronomique perdait son latin. Il ne se voyait pas en chef, malgré une virtuosité certaine, mais plutôt en esthète, en mission de perpétuation d’un art de vivre qui  inexorablement semblait échapper à ses contemporains.

Fin lettré et écrivain de renom[1], il concevait ses plats comme il composait ses livres. A chacun son histoire, pendant des envies ou des besoins d’envolée du moment. C’est dire si chaque repas était un projet soigneusement mûri. Il choisissait d’abord un thème, ce qui dans son univers culinaire était synonyme de saveurs et d’odeurs. Cela renvoyait au dépaysement de Paris vers ses Ardennes natales, ou ces contrées lointaines qu’il savait visiter en explorateur du bon goût, ayant eu la chance de par son métier, de faire plusieurs fois le tour du monde. Certains repas vous renvoyaient à un pays donné, parfois à un endroit précis, ou se rattachaient à des personnes rencontrées dans des circonstances particulières, toutes choses qu’il exposait à la demande avec des mots choisis, toujours drôles et bienveillants.

Une fois qu’il avait dressé l’épure d’une telle promesse d’extases gustatives, il allait s’approvisionner chez des commerçants qu’il savait fins connaisseurs et amoureux des bons produits des terroirs français ou étrangers. Client fidèle, chaque épicier se faisait un malin plaisir de lui mettre de côté ce qu’il y avait de meilleur, car il ne rechignait jamais sur les prix. C’est ainsi qu’il recevait régulièrement des coups de fil qui annonçaient l’arrivée de champignons, de truffes ou de  fruits de mer.

Une fois rentré chez lui, il étalait ses trouvailles sur la grande table de sa cuisine et les humait tour à tour, les regroupant en chapitres suivant les bouquets et le futur émoustillement de ses sens. Tout était ensuite affaire de temps, de relâchement et de poésie gourmande pour le maestro.

Il confiait qu’il imaginait alors tel invité envoûté par tel fumet, tel autre ébahi par telle saveur, et salivait d’avance à leur allégresse de table. L’assaisonnement était fonction de l’ambiance qu’il souhaitait créer autour de ses convives, histoire d’asseoir un repas, comme il aimait à le dire.

Il disait que la connaissance des vins était sans doute son point fort, héritage de son grand-père bordelais qui lui avait appris à les mirer et à les goûter dès l’adolescence. Pour lui, chaque gorgée était une promesse d’évasion vers un terroir précis.

Qu’il fût seul à manger ou en compagnie, que ce fût le soir où à la mi-journée, un repas ne se prenait jamais sans l’éclairage des bougies qui donnaient un reflet particulier à ses trouvailles culinaires. Et jamais deux fois les mêmes bougies, car cela aurait sans doute été une faute de goût !

Léonard


[1] Claude-Michel Cluny (La Grandville, 1930 – Paris 2015), avec qui j’eus le plaisir de faire quelques voyages culturels outre-atlantique. Grand prix de poésie de l’Académie française, prix Renaudot de l’essai, prix européen de poésie Léopold Sédar Senghor, il était poète, critique littéraire, critique cinématographique, nouvelliste et romancier français.

Souvenir de lecture

L’enfance, c’est l’ennui. Il ya a bien sur les jeux dans la cour de l’école, les alliances, les mésalliances, les disputes, les rires. Mais ça ne vient pas recouvrir le gouffre de l’ennui qui se creuse en moi depuis longtemps. La directrice de l’école, qui n’est pas ma maîtresse, repère certainement cela en moi. Comment ? Je ne le sais pas. Peut être une certaine réticence à suivre les autres, une ou deux secondes de décalage quant à rire ou adhérer à ce qui se dit; un regard un peu dans le vague. Elle me convoque un jour. J’arrive les jambes un peu tremblantes car il ne peut s’agir que d’une bêtise, une réprimande. Je suis étonnée de constater qu’elle m’accueille gentiment et me donne une clé. La clé qui ouvre l’armoire vitrée, à deux battants qui protège la bibliothèque de l’école et abrite la collection Rouge et Or, la tranche pastel du Club des 5, du Club des 7. Elle me montre où cette clé est cachée et m’invite à venir chercher des livres dès que j’en ai envie, à condition de les remettre à leur place. En fait, je reconstruis cette dernière phrase. Je ne pense pas qu’elle ait mis une condition à cette faveur. Elle savait avant moi que j’aurais le plus grand respect pour les livres, que ce serait la passion qui me sauverait de la vie quand elle est trop moche pour être vécue. Depuis, je ne pénètre jamais dans une bibliothèque, une librairie, sans un frisson d’excitation mêlé à une grande plénitude. C’est un yoga portatif , sans tapis, sans postures, sans respiration ventrale, si ce n’est un souffle plus court face à un bonheur qui s’annonce.

Françoise

Prologue : à la fin de l’atelier, nous avons lu le texte de Nadine qui aurait voulu y participer, mais n’a pas pu. Sur le thème de « la transformation », elle a composé un dialogue inspiré et nous l’a partagé :

TRANSFORMATION ou papi fait de la résistance

– Mais enfin ma chère enfant, c’était bien mieux avant !

Nos champs, nos villes et même nos animaux.

Tant de belles choses naissaient entre les mains des artisans

Et vois ce monde de béton qui te tient lieu de berceau.

– Mais papi…

– Tu verras petite, tu comprendras en grandissant

Que mes semblables ont abîmé, détruit, pollué, tué

Se croyant alchimistes, ils ont osé se moquer du couchant,

Soleil de nos jours anciens qu’ils se fichent de voir briller

– Mais papi

– Attends belle enfant, je vais te raconter encore comment

Ils ont perdu toute notion de notre belle langue : un vrai big bang !

Ils ont maudit la grammaire, méprisé le verbe et le complément

Délaissé sur l’autel de la modernité une syntaxe exangue

– Mais papi…

– Je t’entends ma douce et serai à toi dans un instant mais d’abord

Je dois te décrire sans relâche la beauté des temps anciens,

Ce continent intérieur que seuls mes souvenirs foulent encore

Terre vierge immaculée de tout chamboulement contemporain.

– Mon bon papi, ta nostalgie est douce mais ton amertume est étrange

Es-tu resté le même et n’as-tu vraiment jamais changé toi-même ?

N’as-tu jamais pensé que même au paradis les anges

Furent tous humains et vivants avant l’ultime requiem ?

– Bien sûr mon enfant, mais cela n’est nullement pareil !

J’évoque là autre chose que moi-même. Si tu veux me convaincre

Il te faudra argument plus cinglant à mes vieilles oreilles

Et je crains que tu sois en peine à trouver le moindre.

– Puisque c’est ainsi mon bon papi que le monde s’envisage,

Je retourne dans le ventre doux de maman et me revoilà cellule

Je gomme tes enfants et te rends à tes ancestraux rivages

Où tu pourrais errer à ta guise tel l’ombre d’un somnambule

– … …. ….

– Car enfin la vie est mutation, la vie est transformation

Que pourrais-je créer sur les seules ruines de ta mémoire ?

Je ne veux naviguer sur les cendres de ta génération 

Que pour porter l’avenir et semer les fleurs de l’espoir.

Nadine

L’ AVANT….

Photos (Marie-Odile Wagner)